Comme toi-même
conception et mise en scène Olivia Seigne et Alexandre Vogel / du 5 au 13 février 2015 / Théâtre Les Halles (Sierre) / Critiques par Deborah Strebel et Jehanne Denogent.
7 février 2015
Par Deborah Strebel
Une fille au masculin, un garçon au féminin

Troisième projet du collectif StoGramm, Comme toi-même présente élégamment la quête identitaire d’un intersexe. Voyage non-linaire dans le vécu d’un jeune adulte, des souvenirs d’antan à aujourd’hui, le spectacle éblouit par l’audace du choix de son sujet et par l’immense délicatesse avec laquelle il le développe.
Le public prend place sur deux gradins dans un dispositif bi-frontal. Au milieu se trouve un espace vide et allongé. Le sol gris évoque le bitume. Des lignes courbes creusent et structurent la surface par endroit. Alors que les lumières continuent d’éclairer les sièges, une mystérieuse personne commence à déambuler, au centre, dans l’ombre, en posant son regard sur certains spectateurs. Il s’agit d’Andrea. Coiffés en une tresse, ses cheveux sont tirés vers l’arrière, laissant apparaître de touffus favoris sur ses joues. Andrea est intersexe. Ses récentes et intenses rencontres avec Lily, lors de plusieurs visites guidées qu’il a réalisées à la Neue Nationale Galerie à Berlin, ont débouché sur un rendez-vous. En s’y rendant, il est très vite rattrapé par ses anciennes angoisses. Comment Lily va-t-elle réagir en sachant qui il est ?
La situation le pousse à une introspection. Via des confidences ou des flashbacks, les instants charnières de son existence tels que des discussions avec ses parents ou encore son premier flirt avec Véronique bercé par la douce mélodie de « Solo Tu » chantés autrefois par Matia Bazar, sont racontés ou joués. Deux comédiennes incarnent magistralement à elles seules l’ensemble des personnages, interprétant tour à tour Andrea, sa famille et ses proches.
Cette figure fictionnelle est inspirée par des personnes réelles, celles qui font partie de la minorité des personnes nées dans l’intersexuation, qui n’ont pas été opérées. Pendant longtemps, envisagée comme pathologie voire même comme monstruosité, la nature intersexuée donnait lieu à une intervention chirurgicale systématique. Dès les années 1990, la communauté intersexe a commencé à revendiquer le droit d’exister dans sa singularité, autrement dit sans intervention médicale et sans classification univoque de genre. Le collectif StoGramm, fondé en 2012 par Olivia Seigne et Alexandre Vogel, a décidé de s’intéresser à ce troisième sexe, suite notamment à la lecture du roman « Middlesex » de Jeffrey Eugenides, écrit en 2002 et traduit en 2003. D’autres sources littéraires et documentaires sont venues alimenter la réflexion.
Sujet encore tabou dans notre société, l’intersexualité est traitée ici avec une grande bienveillance et sans glisser vers le pathos. Il y a un respect sincère envers toute une catégorie d’êtres humains, porté par un travail minutieux et poétique. Le parcours utopique d’un intersexe ayant réussi à surmonter de nombreuses difficultés pour enfin s’affirmer et vivre pleinement est beau et plein d’espoir. Le texte, subtil, réussit à trouver les mots justes et simples pour expliciter des concepts identitaires compliqués.
Le titre du spectacle fait allusion, en une formule qui souligne son universalité, à l’adage biblique « Aime ton prochain comme toi-même ». Pour aimer les autres, il faut commencer par s’aimer soi-même : chacun doit découvrir son identité, sa spécificité, puis l’accepter, l’aimer, pour enfin s’ouvrir aux autres. En fin de compte, c’est peut-être une invitation à réfléchir à notre propre rapport à l’altérité que délivre la pièce.
Appel à la tolérance et à l’ouverture aux autres, ce magnifique spectacle tout en finesse et tout en pudeur est à voir absolument au Théâtre des Halles jusqu’au 13 février.
7 février 2015
Par Deborah Strebel
7 février 2015
Par Jehanne Denogent
XXY

Etre homme. Etre femme. Se sentir homme ou femme. Olivia Seigne et Alexandre Vogel mettent en scène le destin amoureux d’un cas limite, celui d’un(e) hermaphrodite. En parler avec finesse et pudeur mais sans tabou, surtout.
« L’océan
Vaste étendue entourée d’ocres
Oscillant entre la crainte de décevoir et
l’amertume de l’espoir
Ne croyant plus en rien, comme une brume
voilée.
[…] »
Quelques vers pour exprimer un mal profond. Perle intersexe est un texte de Sunny Dagenais. Oiseau curieux, étranger parmi les femmes et les hommes, Sunny Dagenais est un intersexe, dit autrefois hermaphrodite. Les médecins l’ont opéré à la naissance et l’ont fait femme. Biologiquement argumenté, ce choix sera plus tard vécu comme source de schizophrénie d’un point de vue identitaire. Le collectif StoGramm, pour ce troisième projet intitulé Comme toi-même, part de ces mots afin de mettre en lumière un statut indéfini et incompris, celui d’une communauté intersexe méconnue et pourtant bien existante dans notre société. Andrea, joué(e) à tour de rôle par Diane Müller et Aurore Seigne, a décidé de garder l’ambivalence de son corps. Une posture inconfortable pour une société qui se rassure dans la catégorisation.
Depuis plusieurs jours, une jeune femme ne cesse de revenir au musée où Andrea travaille. La pièce s’ouvre sur leur rencontre qui donnera lieu par la suite à une belle histoire d’amour. Le thème de l’intersexualité n’apparaîtra que tard. Bien qu’extraordinaire, il ne doit être ni monstrueux ni tabou. L’hermaphrodisme est un bagage à vivre au quotidien. Le regard que choisissent de porter Olivia Seigne et Alexandre Vogel sur la question est donc infiniment moderne. Il ne cède pas au tragique que l’on trouve parfois dans les textes abordant l’intersexualité, jusqu’à parfois négliger la polémique qui l’entoure. Si la réflexion théorique sur le genre a véritablement pris son essor au 20e siècle avec Foucault ou Simone de Beauvoir, la pièce, elle, adopte un point de vue pratique. L’ambiguïté sexuelle est évoquée telle qu’elle peut être vécue, conçue, imaginée ou perçue.
Le coup de foudre est cependant contrarié par les craintes et ressentiments qu’a Andrea en lien avec son histoire. Lui reviennent certains épisodes de sa vie, décisifs ou traumatiques : le choix de ses parents de ne pas l’opérer, ses premières questions, son corps à l’adolescence, son premier baiser, son premier râteau, la rencontre avec d’autres intersexes, … L’histoire repose sur les épaules des deux comédiennes jouant à la fois le père, le garçon, l’adolescent, l’homme, la femme, sans distinction. L’enchaînement des rôles, comme des scènes, est vif, intelligent et extrêmement dynamique. Le collectif StoGramm cherche également à bousculer la disposition scénique, interrogeant « la structuration de l’espace et sa perception par le spectateur. » Deux rangées de chaises se font face, séparées par un espace scénique tout en longueur. Par cette contrainte spatiale, le jeu doit se faire mobile et souple pour ne pas faire durer les dos au public. L’espace peut évoquer celui d’un podium de défilé. L’attention aux matières, aux costumes et à la matérialité des corps crée en effet une esthétique forte. Mais ceux qui défilent sont habituellement exposés pour leur beauté. Andrea est sous les regards du fait de son étrangeté.
Aux mots de Sunny Dagenais s’ajoutent ceux de Jeffrey Eugenides dans Middlesex, ainsi que ceux d’autres sources littéraires. La recherche sur la langue est centrale. Imagée, délicate et douloureuse, elle a la flamboyance et parfois l’excessivité de la plume du poète maudit. Andrea imagine une autre vie aux gens, collectionne les moments du quotidien simples et beaux, réinvente les tableaux à chaque visite. Face à une réalité difficile, elle se réfugie dans la poésie de son imaginaire. Entre la poésie et le théâtre, le défilé et les doutes insupportables, se glissent encore quelques notes de guitares magnifiques, créant un objet artistique agréable et véritablement hybride.
7 février 2015
Par Jehanne Denogent