La Voix du peuple

La Voix du peuple

par la Cie Les Débiteurs / mise en scène Jérôme Junod / du 27 au 31 janvier 2015 / La Grange de Dorigny / Critiques par Maëlle Andrey et Amandine Rosset. 


29 janvier 2015

Citoyens suisses: vos voix comptent!

© Nuithonie

C’est une Suisse un peu chauvine, désireuse (malgré les déchéances de la société occidentale) de défendre son héritage, son identité et surtout sa liberté d’expression, qui se dévoile sur scène, à travers des témoignages malicieusement amoncelés dans La Voix du peuple. Entre religion, nudité, armée, maraudage de noix, arnaques, immigration, salades, terrorisme, impôts et pollution… des voix se répondent, se confrontent, se confondent, dans une mise en scène truffée d’humour.

En entrant dans la salle de la Grange de Dorigny, les spectateurs découvrent sur scène trois comédiens, assis sur un tabouret à traire et vêtus du costume traditionnel appenzellois. Observant l’entrée du public, ils conversent entre eux. Un quatrième est couché au sol, sur le dos. Il est vêtu de blanc ; une écharpe rouge soyeuse à l’effigie de la Suisse orne son torse. La pièce commence par un chant patriotique : ce soir, la parole sera donnée au peuple. Le personnage en blanc semble ne pas être maître de ses mouvements : son corps se tord dans une mécanique saccadée. Un peu à gauche. Puis à droite. En haut. Puis en bas. Il est le symbole du citoyen suisse « connu pour son masochisme », qui avoue « aimer son pays, mais en avoir honte ». Cette intrigante scène d’exposition enchaîne sur de multiples témoignages. Jérôme Junod a feuilleté avec attention dix ans d’archives de la rubrique « Courrier » du journal vaudois « 24 Heures ». Pour parvenir à mettre en scène avec harmonie, cohérence et poésie les nombreuses opinions issues de ces lettres de lecteurs, il a fait un minutieux travail de sélection et conçu un admirable « patchwork » des valeurs, avis, préoccupations et conceptions du peuple suisse. Licencié en Lettres, titulaire d’un Magister en Mise en scène du Max Reinhardt Seminar de Vienne, le metteur en scène souhaite, avec cette pièce, « subvertir, sublimer et déjouer » toutes ces lettres, rédigées à cœur ouvert, « pour mieux les mettre en lumière et explorer leur part d’ombre » …

Certains témoignages traitent de sujets sérieux. D’autres moins. Certains sont poétiques. D’autres moins. Certains sont fondés. D’autres moins. Certains sont drôles. D’autres moins. Certains sont livrés avec une grande émotion et beaucoup d’implication. D’autres moins. Organisées en monologue, en dialogue ou en groupe, les histoires trouvent un écho en chacun de nous et fonctionnent comme de vraies thérapies. Un homme, contribuable, crie sa colère face à la « bande de raquetteurs en uniformes » que sont les politiciens. Le décor semble vouloir le chasser, comme pour le faire taire. Néanmoins, sa voix est plus forte. Après avoir hurlé sa colère, il semble soulagé… Apaisé de s’être exprimé. Les avis confiés par tous ces gens du « peuple » se confrontent, se contredisent, se répondent, se complètent. L’inventivité de la mise en scène est de parvenir à créer, à partir des quelques lignes de courriers, de véritables personnages, issus de tous milieux. Ces personnalités entrent en conflit, comme ces deux femmes, s’exprimant au sujet des chiens dangereux (ou non), que tout oppose. L’une est blonde, bouclée et porte des pantalons et des couleurs flashy. L’autre a les cheveux noirs, lisses et est vêtue d’une jupe terne. D’autres citoyens tissent des liens, comme ces deux hommes jactant au sujet de la sécurité routière, à la terrasse d’un café.

Les quatre comédiens accomplissent une remarquable performance. Celle de changer, du tac au tac, de personnalité. Passer de la ménagère, de la serveuse, à l’employé de la voirie, en passant par le biker, la petite vieille, la chanteuse de cabaret et les déjantés lapins aux tambours, tient du défi… Celui-ci est brillamment relevé par Valérie Liengme, Anne-Catherine Savoy, Peter Palasthy et Mathieu Ziegler de La Cie « Les Débiteurs ». Née, en 2001, de la rencontre d’étudiants lausannois, qui, par la suite, suivirent des formations à Lausanne, Genève et Vienne, cette joyeuse et énergique compagnie, dont La Voix du peuple est le sixième spectacle, est toujours en quête de nouveautés, entre tradition et modernité.

Evitant tous clichés et caricatures, La Voix du peuple dresse le portrait d’une identité suisse, quelque peu révoltée et nostalgique. Chacun se trouvera, à un moment ou à un autre, confronté à son reflet, dans le miroir d’autres témoignages. Car dans chaque voix résonne, en réalité, une multitude d’autres voix… La pièce se termine en beauté par des témoignages de remerciements. Confessions positives rares, noyées dans les nombreux coups de gueule et plaintes populaires exprimées auparavant.

Soyez citoyens. Restez cool. Votez. Méditez. Mais surtout, rendez vous sans plus tarder au Théâtre de la Grange de Dorigny, où vous passerez indiscutablement, jusqu’au 31 janvier, un excellent moment entre rires, poésie, réflexions et remises en question.

29 janvier 2015


29 janvier 2015

Le peuple romand sur scène

© Nuithonie

Le projet de Jérôme Junod est simple : laisser la scène au peuple vaudois en sélectionnant des textes dans dix ans d’archives du courrier des lecteurs du quotidien 24heures. La pièce est constituée par les avis, les remerciements ou les coups de gueule de la population sur différentes actualités. Entre gravité et humour, le public pourra reconnaître les codes, le langage et les tournures propres à la Suisse romande.

Jérôme Junod propose à la Grange de Dorigny un projet très local. Il s’agit de l’adaptation sur scène des extraits d’archives du courrier des lecteurs du journal 24heures. Ces textes prennent vie grâce à quatre comédiens. Le décor contextualise les lettres par thèmes dans des lieux précis comme une terrasse de café ou des rangées de supermarché. Le service militaire, les impôts, les chiens dangereux, la Migros et ses prix, l’exhibitionnisme dans les vestiaires féminins à la piscine de Mon-Repos, la religion, la propreté des rues, l’équipe nationale de football ou encore l’immigration sont autant de sujets qui sont abordés par des anonymes et repris sur scène.

Certains commentaires ou interrogations des auteurs de ces lettres font tout d’abord rire, parfois par leur absurdité ; pourtant, ils soulèvent de nombreuses questions. Qui sont ces auteurs ? Pourquoi ressentent-ils le besoin de donner leur avis dans cet espace public ? Que veulent-ils vraiment dire ? Qui visent-ils ? Le titre de la pièce pousse aussi à s’interroger sur la signification du « peuple » : qu’est-ce qui réunit tant de gens aussi différents les uns des autres, avec des avis et des convictions aussi divergents ? Si le public peut se reconnaître dans ces paroles écrites par des inconnus qui partagent pourtant d’une certaine façon son quotidien, il peut parfois aussi être scandalisé d’entendre certaines remarques : la définition du mot « peuple » est beaucoup plus compliquée qu’elle ne le laisse paraître.

Avec cette pièce, Jérôme Junod relance le débat très actuel sur liberté d’expression. Peut-on vraiment tout dire ou tout écrire dans les journaux en profitant de la liberté qu’offrent des pages comme le courrier des lecteurs ? Comment, sur un autre plan, comprendre ces envies de publier son opinion ? Ces questions pourraient d’ailleurs se poser aussi pour des outils d’expression plus modernes, comme Twitter, où les gens peuvent donner leur avis et débattre les uns avec les autres. A noter justement qu’une discussion animée par des étudiants de l’Atelier Critique est proposée après la représentation du jeudi 29 janvier : un bon endroit pour partager votre opinion et la confronter à celles des autres ! Dans tous les cas, cette pièce vous donnera envie de faire plus attention à cette page du 24heures que nous tournons parfois trop rapidement sans nous questionner sur les véritables messages qu’elle contient.

29 janvier 2015


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