Par Suzanne Balharry
Das Weisse vom Ei (Une Île flottante) / D’après La Poudre aux yeux d’Eugène Labiche / mise en scène Christoph Marthaler / du 28 novembre au 17 décembre 2014 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
Marthaler déploie son goût pour le détournement dans Das Weisse vom Ei, créé au Theater Basel en 2013. Il déconstruit méticuleusement une farce de Labiche, y insère des interludes désopilants et tartine le tout d’une ironie aigre-douce. Le temps est déréglé, les répliques ne s’enchaînent rigoureusement pas, et la mécanique du vaudeville cède la place à une lente dérive.
Après King Size, qui a marqué la pré-saison de Vidy en mai dernier, le metteur en scène zurichois monte cette fois-ci une version étirée de La Poudre aux yeux de Labiche. La pièce raconte la rencontre de deux familles bourgeoises, les Malingear et les Ratinois. Ils ont l’espoir commun de marier leurs enfants mais, par vanité, se lancent dans des vantardises élaborées. Pourtant chez ces bourgeois, tout comme dans le dessert à base de blancs d’œufs qui donne son nom à Une Ile flottante, on ne trouve rien d’extraordinaire, pas même du jaune d’œuf.
Dans la mise en scène de Marthaler, une des familles parle français et l’autre allemand. La communication est enrayée et énigmatique, car même lorsque les dialogues sont maintenus, les personnages ne parlent pas la même langue. S’ils se rencontrent physiquement, ils restent mutuellement étrangers, comme s’ils ne se remarquaient pas vraiment, même lorsque l’un d’entre eux chute ou se blesse. Le contact semble impossible à établir, d’autant plus que les scènes sont régulièrement coupées par des apartés cocasses inspirés d’autres œuvres.
Les comédiens portent toutes les incohérences avec virtuosité et méticulosité, jonglant sans peine avec les langues. Le majordome anglophone, joué par l’acteur aguerri Graham F. Valentine, interprète magistralement, dans un soudain aparté, le poème The Jabberwalky de Lewis Carol. L’énergie comique est remarquable, notamment à travers les mimiques incongrues des jeunes amoureux joués par Raphael Clamer et Carina Braunschmidt.
Le décor, signé par la scénographe Anna Viebrock, évoque un intérieur bourgeois élaboré, réunissant un mobilier imposant, des tableaux représentant les personnages dans des poses sinistres et une procession d’animaux empaillés. Le tout est rythmé par le son de l’horloge, qui sonne pendant des scènes entières. A d’autres moments, c’est la musique qui est à l’honneur : dans des scènes lentes et sans éclat, le silence est soudain brisé par le single entraînant I Was Kaiser Bill’s Batman sur lequel les comédiens offrent une performance dansante désopilante.
Cette mise en scène sous le signe du détournement est à découvrir au Théâtre Vidy-Lausanne jusqu’au mercredi 17 décembre.