Laboratoire en miroir : imiter pour comprendre

Par Deborah Strebel

Les artistes de la contrefaçon / de Christian Geffroy Schlittler / du 10 au 14 décembre 2014 / Le Théâtre du Loup / plus d’infos

© Marie Jeanson

Quatre comédiens copient fidèlement de célèbres scènes issues du répertoire cinématographique et théâtral contemporain. Contrefaçon respectueuse, cette démarche vise à comprendre comment surgit une émotion. Galerie de différents types d’esthétiques récentes plus que réelle force de proposition sur le pathos, le spectacle présente néanmoins un alléchant assortiment.

Plongé dans le noir, le public entend des voix : celles des comédiens puis celle du metteur en scène. Tel un incipit théorique, le projet est d’emblée raconté et le programme annoncé : il va s’agir d’un « reader’s digest théâtral ». Le spectacle sera composé de cinq scènes « entièrement copiées ou reproduites ». Sans aucun lien apparent se succèdent danse, dialogues, performance et monologues. Certains fragments des œuvres originales sont montrés via un ancien téléviseur à jardin ou en plein écran à l’arrière ; d’autres sont joués abruptement, sans crier gare. Les extraits sont issus de quelques incontournables succès cinématographiques ou issus du théâtre contemporain : du film Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman à la pièce J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe de Rodrigo Garcia.

Pourquoi une telle compilation de fidèles reproductions ? Non, Christian Geffroy Schlittler ne projette pas de devenir un dramaturge faussaire, même s’il a pour habitude de s’intéresser aux grands classiques du patrimoine scénique. Encore en mai dernier se jouait à l’Arsenic une de ses adaptations libres, celle de Dom Juan (C’est une affaire entre le ciel et moi). Dans Les artistes de la contrefaçon, le principal enjeu est d’imiter exactement non pas pour rendre hommage mais afin d’analyser les mécanismes théâtraux. Cette démarche s’est inscrite dans le cadre d’un projet de recherche pluridisciplinaire mené entre 2008 et 2011, élaboré en collaboration avec l’Université de Lausanne, la Manufacture, le Théâtre Saint-Gervais et l’agence Louis-François Pinagot. Le but était de (re)définir la notion de pathos par la réappropriation. Autrement dit, pour examiner comment les émotions sont transmises entre les comédiens et entre les acteurs et le public, d’emblématiques scènes ont été sélectionnées puis décalquées. Les intonations, les postures et même, dans certains cas, les cadrages ont été scrupuleusement étudiés et reproduits. Cela a, semble-t-il, permis aux comédiens de découvrir comment naît une émotion et peut-être aussi suscité chez eux de la compassion pour les personnages qu’ils interprètent.

Pas sûr que ces découvertes arrivent jusqu’aux spectateurs. Les extraits rejoués permettent sans doute de raviver d’agréables souvenirs au public averti ou de faire découvrir diverses esthétiques chez les novices mais n’éclairent hélas pas forcément davantage sur la notion de pathos en elle-même. Il est généreux de faire partager ne serait-ce qu’un court échantillon de ces nombreuses années de travail caractérisées par une démarche passionnante. Cependant, les néophytes sont probablement restés sur leur faim. Une conclusion aurait été bienvenue afin de résumer les résultats de ces recherches pratiques et théoriques. Le spectacle offre néanmoins un plaisant panel d’arts vivants contemporains. A déguster jusqu’au 14 décembre au Théâtre du Loup.

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