Entre inertie et danse : une fusion poétique ?

Par Noémie Desazens

Tac.Tac. / de YoungSoon Cho Jaquet / du 27 novembre au 4 décembre 2014 / Théâtre Arsenic / plus d’infos

Copyright : officiel

Qu’est-ce qu’une danseuse peut imiter et que peut-elle danser avec une baguette en bois ? C’est cette question que Tac.Tac., nouveau spectacle de la danseuse et chorégraphe YoungSoon Cho Jaquet se propose d’explorer sous diverses facettes, dans un créatif mélange des genres. Sa performance plonge le public dans un univers étrange et fascinant – parfois hermétique.

Le plateau, pleinement éclairé, est recouvert de nombreux objets. Certains sont rigides, comme les caisses et tiges de bois qui parsèment le sol ; d’autres sont mous ou malléables, telles les baudruches remplies de farine. Des lignes de papiers collants sont disposées sur le sol, créant une surface complexe et géométrique. Une compilation d’airs jazzy se fait entendre par intervalles. L’absence de la danseuse commence à se faire sentir : enfin, YoungSoon entre sur scène, seule. Commence alors l’interaction entre le corps de l’artiste et le mobilier scénique.

D’origine coréenne, YoungSoon Cho Jaquet a fait ses études de danse à Londres et a fondé sa propre compagnie, la Cie Nuna, à Lausanne, en 2003. Dans ses spectacles (dix à son actif – danse, performance et pièces pour enfants confondues), le langage de la danse crée un monde poétique. Tac.Tac. s’inscrit directement dans les recherches qu’elle a menées à maintes reprises sur le rapport a? l’objet. Dans Champignons (2009), une centaine d’ustensiles du quotidien envahissaient la scène et définissaient les contours d’une chorégraphie « ménagère » ; dans Hic (2012), le corps des interprètes se muait en objets ; dans Dry Fish (2007), la chorégraphe s’habillait de poissons séchés dans un long rituel ; dans Whisky Gorilla (2008), elle invoquait tout un bestiaire fantastique au moyen d’une simple couverture. Alors que certains de ces précédents spectacles impliquaient de nombreux participants (Hic : cinq interprètes ; Les Animaux : vingt interprètes), Tac. Tac. révèle ces relations entre le corps humain et l’inanimé à travers une forme d’expression plus intime. Cette nouvelle création est le fruit de la collaboration entre la chorégraphe et Jonas Maquet, photographe, qui a ici troqué son appareil photo pour concevoir les « partenaires » de scène de la danseuse.

Dès son entrée en scène, YoungSoon déplace et reconfigure le mobilier, manifestant également un intérêt pour les sonorités produites par la mise en relation entre l’humain et l’objet : le crissement que l’artiste produit en frottant une bûche de bois contre une perche métallique irrite l’oreille de tout spectateur. Une autre fois, elle lance en l’air des bâtons, alors qu’elle venait tout juste de les organiser sur le sol en un ensemble géométrique. Un changement d’éclairage informe le spectateur d’une évolution dans sa recherche : elle bouge désormais, évolue avec un manche en bois, tentant parfois d’établir le contact avec le public. Son chuchotement, incompréhensible à dessein, l’instaure, comme l’annonce le projet, en « chamane ». Elle semble accéder à des significations insaisissables, qu’elle tente de communiquer et de partager, puis se déplace en communion avec une tige en bois qui devient appui corporel. La torsion de son corps finit par imiter l’horizontalité d’une baguette. La chorégraphie se termine sur une course effrénée qui entraîne la chute et la destruction du matériel savamment agencé.

Cette nouvelle création de YoungSoon Cho Jaquet s’intéresse également aux perceptions du public lorsque les éléments matériels et les individus sont mis en relation de façon inhabituelle. Se dégage un sentiment d’étrangeté poétique. Mi-humain, mi-objet, le corps de la danseuse s’allie à l’inanimé, produisant une forme d’expression particulière. Le silence, prégnant durant cette chorégraphie, est parfois interrompu par des intermèdes musicaux. Ces moments sont bienvenus pour le public qui, à la longue, peut se sentir oppressé.

Plutôt que véritable danse, cette nouvelle création est une performance. On en salue la créativité, tout en en regrettant l’hermétisme. Pour spectateur averti, ce spectacle est à découvrir à l’Arsenic, jusqu’au 4 décembre 2014.