Tac.Tac

Tac.Tac

Tac.Tac. / de YoungSoon Cho Jaquet / du 27 novembre au 4 décembre 2014 / Théâtre Arsenic / Critiques par Nicolas Joray et Noémie Desarzens.


28 novembre 2014

Frôler le degré zéro de la danse

© Théâtre Arsenic

Recommandée pour des habitués de la danse en quête de transgressions fortes, la dernière création de YoungSoon Cho Jaquet pourra laisser des amateurs non-avertis sceptiques. Tous s’accorderont cependant à qualifier la démarche de la chorégraphe helvético-coréenne de radicale.

De la danse ? Au sens conventionnel du terme, il y en a peu. Plutôt quelques déplacements d’objets effectués par la danseuse (comment l’appeler autrement ?) : ici, un pied de chaise amené à l’autre bout de la scène ; là, une paroi qui se dérobe, révélant des cubes de bois. De la musique ? Il y en a peu également. Plutôt des bruits (de ventilation, de voitures). Beaucoup de silence. De l’humain ? Parfois, oui, le temps d’un regard au public. Mais surtout des objets, qui envahissent l’espace et semblent attendre indéfiniment qu’on s’empare d’eux pour leur donner un sens, comme cela arrive de temps à autre. L’un des buts du projet était « d’entrer dans le mystère et la sensation des objets ». YoungSoon Cho Jaquet, seule en scène, se fait « chaman ». Elle cherche, nous dit-on, à transmettre une « grammaire secrète » par le biais de ses émotions. Difficile pourtant, il faut l’avouer, de ressentir quoi que ce soit d’émotif face à de l’anti-danse, du silence, de l’objet.

En effet, l’intérêt de ce spectacle n’est pas à chercher dans une quelconque expressivité. Ses concepteurs jouent, on l’aura compris, sur la transgression de normes propres au genre de la danse. La danseuse n’est ainsi pas la seule actrice. Les objets comptent aussi, et le scénographe Jonas Marguet leur aménage une place importante, voire primordiale. Cet ancien imprimeur, diplômé en 2008 de l’École Cantonale d’Art de Lausanne, a ainsi conçu un univers foisonnant, riche et étonnant, fait notamment de débris de chaises, d’un matelas de mousse blanc, de bouts de bois, de morceaux de pâte à modeler géants. La création lumière, signée Daniel Demont, possède également son importance : parfois, alors que l’espace scénique n’est le théâtre d’aucune action, d’aucun geste, et que la danseuse disparaît derrière un cube, seules les lumières changeantes créent le mouvement. La force du spectacle se situe où on ne l’attend pas, dans ces transgressions : la marche contre la danse ; l’objet contre le vivant ; le changement de lumière contre l’action.

Pour peu que l’on soit concerné par ce genre de démarches, le plaisir est donc plus d’ordre intellectuel qu’émotif. Il ne s’agit pas non plus d’une proposition de performance éblouissante. Du registre de la prouesse technique, longtemps constitutif de la danse, il ne reste que quelques traces : un grand écart impeccable, quelques pas complexes. Car c’est le choix du minimalisme qui a été fait. Et il sert, avec succès cette fois, un autre objectif du spectacle, en proposant un véritable travail de recherche qui vise à explorer le rapport du corps humain à l’objet. On y est sensible ou pas, mais l’effort de réflexion est assurément à saluer. Cette porte d’entrée dans l’univers de YoungSoon Cho Jaquet est peut-être plus accessible que celle des émotions.

28 novembre 2014


28 novembre 2014

Entre inertie et danse : une fusion poétique ?

© Théâtre Arsenic

Qu’est-ce qu’une danseuse peut imiter et que peut-elle danser avec une baguette en bois ? C’est cette question que Tac.Tac., nouveau spectacle de la danseuse et chorégraphe YoungSoon Cho Jaquet se propose d’explorer sous diverses facettes, dans un créatif mélange des genres. Sa performance plonge le public dans un univers étrange et fascinant – parfois hermétique.

Le plateau, pleinement éclairé, est recouvert de nombreux objets. Certains sont rigides, comme les caisses et tiges de bois qui parsèment le sol ; d’autres sont mous ou malléables, telles les baudruches remplies de farine. Des lignes de papiers collants sont disposées sur le sol, créant une surface complexe et géométrique. Une compilation d’airs jazzy se fait entendre par intervalles. L’absence de la danseuse commence à se faire sentir : enfin, YoungSoon entre sur scène, seule. Commence alors l’interaction entre le corps de l’artiste et le mobilier scénique.

D’origine coréenne, YoungSoon Cho Jaquet a fait ses études de danse à Londres et a fondé sa propre compagnie, la Cie Nuna, à Lausanne, en 2003. Dans ses spectacles (dix à son actif – danse, performance et pièces pour enfants confondues), le langage de la danse crée un monde poétique. Tac.Tac. s’inscrit directement dans les recherches qu’elle a menées à maintes reprises sur le rapport a? l’objet. Dans Champignons (2009), une centaine d’ustensiles du quotidien envahissaient la scène et définissaient les contours d’une chorégraphie « ménagère » ; dans Hic (2012), le corps des interprètes se muait en objets ; dans Dry Fish (2007), la chorégraphe s’habillait de poissons séchés dans un long rituel ; dans Whisky Gorilla (2008), elle invoquait tout un bestiaire fantastique au moyen d’une simple couverture. Alors que certains de ces précédents spectacles impliquaient de nombreux participants (Hic : cinq interprètes ; Les Animaux : vingt interprètes), Tac. Tac. révèle ces relations entre le corps humain et l’inanimé à travers une forme d’expression plus intime. Cette nouvelle création est le fruit de la collaboration entre la chorégraphe et Jonas Maquet, photographe, qui a ici troqué son appareil photo pour concevoir les « partenaires » de scène de la danseuse.

Dès son entrée en scène, YoungSoon déplace et reconfigure le mobilier, manifestant également un intérêt pour les sonorités produites par la mise en relation entre l’humain et l’objet : le crissement que l’artiste produit en frottant une bûche de bois contre une perche métallique irrite l’oreille de tout spectateur. Une autre fois, elle lance en l’air des bâtons, alors qu’elle venait tout juste de les organiser sur le sol en un ensemble géométrique. Un changement d’éclairage informe le spectateur d’une évolution dans sa recherche : elle bouge désormais, évolue avec un manche en bois, tentant parfois d’établir le contact avec le public. Son chuchotement, incompréhensible à dessein, l’instaure, comme l’annonce le projet, en « chamane ». Elle semble accéder à des significations insaisissables, qu’elle tente de communiquer et de partager, puis se déplace en communion avec une tige en bois qui devient appui corporel. La torsion de son corps finit par imiter l’horizontalité d’une baguette. La chorégraphie se termine sur une course effrénée qui entraîne la chute et la destruction du matériel savamment agencé.

Cette nouvelle création de YoungSoon Cho Jaquet s’intéresse également aux perceptions du public lorsque les éléments matériels et les individus sont mis en relation de façon inhabituelle. Se dégage un sentiment d’étrangeté poétique. Mi-humain, mi-objet, le corps de la danseuse s’allie à l’inanimé, produisant une forme d’expression particulière. Le silence, prégnant durant cette chorégraphie, est parfois interrompu par des intermèdes musicaux. Ces moments sont bienvenus pour le public qui, à la longue, peut se sentir oppressé.

Plutôt que véritable danse, cette nouvelle création est une performance. On en salue la créativité, tout en en regrettant l’hermétisme. Pour spectateur averti, ce spectacle est à découvrir à l’Arsenic, jusqu’au 4 décembre 2014.

28 novembre 2014


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