On ne paie pas, on ne paie pas !
De Dario Fo / Mise en scène Joan Mompart / du 7 au 11 octobre 2014 / La Comédie de Genève / Critiques par Deborah Strebel et Cecilia Galindo.
7 octobre 2014
Par Deborah Strebel
La joyeuse insurrection méditerranéenne

Farce engagée mêlant fantaisie et propos politiques d’une grande actualité, On ne paie pas, on ne paie pas ! évoque avec vivacité et allégresse la crise économique et ses conséquences sur la classe ouvrière dans l’Italie de la fin des années 1970.
Sur une scène à demi plongée dans l’obscurité, deux femmes portent de nombreux sacs remplis de courses, suivies de peu par deux hommes vêtus de noir, cagoulés et mitraillettes à la main. Alors que les ménagères avancent rapidement, dos voûtés, ces messieurs se déplacent en pas chassés avec une certaine légèreté, le tout sur un entraînant air d’accordéon évoquant vaguement les tarentelles italiennes. Ce ballet comique donne le ton. Le spectacle gardera cette cadence soutenue où l’humour aura une place prépondérante.
La musique populaire et les habits modestes de ces dames signalent le quartier ouvrier. En effet, cette pièce militante écrite par Dario Fo en 1974 raconte comment les petites gens se révoltent dans un contexte de crise économique. Un jour, des femmes se rebellent contre la hausse des prix et décident de partir sans régler la totalité de leurs marchandises. Leurs maris, qui de leur côté travaillent à l’usine, refusent de payer leur repas à la cantine pour exprimer leur indignation. La police perquisitionne les appartements les uns après les autres, à la recherche des biens dérobés. Ces fouilles provoquent un va-et-vient de femmes, étrangement toutes enceintes, dans l’ensemble de la cité. L’histoire se focalise sur deux couples, dans le même bloc de bâtiment. Tandis qu’Antonia et Margarita dissimulent leurs affaires dérobées, leurs époux leur cachent également quelques entreprises, provoquant une avalanche de quiproquos. Ceux-ci rappellent les comédies de boulevard dont est familier le metteur en scène et comédien Joan Mompart, justement à l’affiche d’une pièce de Feydeau en 2011 et en 2013 (Monsieur Chasse).
Cependant, si Mompart a choisi de monter cette pièce, suite à une discussion avec Hervé Loichemol, directeur de la Comédie, c’est parce que l’histoire lui rappelle fortement la situation actuelle de son pays d’origine, l’Espagne. D’ailleurs, récemment, un fait divers similaire s’est produit en Andalousie : des militants de gauche sont entrés dans deux magasins et se sont emparés de quelques produits pour les redistribuer à des gens dans le besoin. S’agissait-il d’un vol ou d’un acte légitime ? Telle est aussi la problématique développée par Dario Fo.
Bien que l’accent porte sur la basse couche de la société, le spectacle se distingue fortement des longues évocations de la vie quotidienne difficile des travailleurs, propres au néoréalisme italien. Au contraire, s’il y a un lien pertinent à établir avec le cinéma, ce serait plutôt avec le cinéma muet et Charlie Chaplin. Si Joan Mompart ne cache pas s’être inspiré de La Ruée vers l’or pour concevoir la scénographie – autour d’un plateau à bascule qui rappelle effectivement la cabane de Charlot et Big Jim suspendue au bord de la falaise – il est également possible de rapprocher la pièce de l’univers du cinéma des années 1910 et même avant, grâce au jeu des acteurs. Les comédiens dirigés par Joan Mompart emploient ici énormément leur corps. Chacune de leurs paroles est accompagnée par un geste de la main. En plus d’évoquer une certaine manière « méditerranéenne » de s’exprimer, cela rappelle fortement le jeu histrionique, typique du cinéma des premiers temps et construit par des poses codifiées. De plus, l’atmosphère alliant rire et situations précaires est omniprésente dans le cinéma de Charlie Chaplin.
Pièce fondamentalement « gauchiste » dont les personnages chantent à l’unisson l’Internationale, caractérisée par un rythme très rapide suscitant le rire tout proposant une réflexion politique, On ne paie pas, on ne paie pas ravit les spectateurs par l’actualité de son propos et par la richesse de son interprétation, le tout dans une ambiance burlesque. Après un grand succès lors de la saison 2012-2013, elle est à nouveau à savourer à la Comédie de Genève jusqu’au 11 octobre.
7 octobre 2014
Par Deborah Strebel
7 octobre 2014
Par Cecilia Galindo
Théâtre mouvant, théâtre ouvert

Farce engagée mêlant fantaisie et propos politiques d’une grande actualité, On ne paie pas, on ne paie pas ! évoque avec vivacité et allégresse la crise économique et ses conséquences sur la classe ouPetits mensonges, quiproquos et grossesses miraculeuses sur fond de misère ouvrière: la mise en scène d’On ne paie pas, on ne paie pas ! de Dario Fo proposée par Joan Mompart, de retour à la Comédie de Genève après un succès mérité en 2013, mène à réfléchir sur notre actualité à travers le rire et le jeu.
Au début du spectacle, alors que se fait entendre une petite musique entraînante, le décor n’est pas apparent, seule une estrade occupe la scène. Dans une ambiance d’intrigue policière et dans un jeu caricatural, on y voit défiler deux policiers aux aguets, armés et cagoulés, deux femmes transportant de nombreux sacs remplis de victuailles et tentant, malgré tout, de se faire discrètes, puis un homme seul, probablement interpelé par l’atmosphère inhabituelle. À l’issue de cette parade burlesque, les deux femmes, désormais seules sur le plateau, rejoignent l’avant-scène. L’une d’elles, Antonia, semble agitée: un événement incroyable s’est produit au supermarché aujourd’hui.
Antonia vit avec son mari Giovanni dans un quartier ouvrier et tous deux ont des difficultés à joindre les deux bouts. Le salaire de Giovanni ne suffit plus pour payer le gaz, l’électricité et la nourriture, et quand on n’a plus de quoi payer, on ne paie pas ! Sans le dire à son mari, qui est plutôt à cheval sur les principes, la jeune femme est ainsi obligée de faire l’impasse sur quelques factures. Mais les cachoteries ne s’arrêtent pas là: lorsqu’au supermarché elle assiste à la révolte de femmes qui s’indignent contre la hausse des prix, elle se joint à leur cause et, comme toutes les autres, profite de la confusion générale pour se servir dans les rayons et quitter les lieux sans payer la marchandise. Mais cela, Giovanni ne doit pas le savoir, et encore moins la police, qui est déjà à la recherche des coupables. Avec l’aide de son amie et voisine Margherita, elle tente de dissimuler tant bien que mal les preuves de son délit et n’hésite pas à raconter les mensonges les plus improbables pour sauver sa peau.
Pour la mise en scène d’On ne paie pas, on ne paie pas ! , Joan Mompart, metteur en scène et comédien très présent sur les scènes romandes, renforce l’affichage d’une théâtralité qui caractérise déjà le texte de Dario Fo. L’auteur italien joue notamment avec les ruptures en imaginant un «Acteur Joker», autrement dit un comédien qui interprète plusieurs rôles et dont la fonction multiple est mise en évidence dans les répliques des autres personnages, une particularité que Mompart accentue. Mais ce dernier rend également compte de cette théâtralité avouée en proposant une scénographie mobile (signée Cristian Taraborelli) qui laisse apparaître les rouages de l’illusion théâtrale : sur l’estrade d’abord nue, qui ramène à l’idée d’un théâtre dans le théâtre, des éléments de décor provenant du fond de scène ou tombant du plafond viennent habiller l’espace de jeu. Armoire, cuisinière, table et lit glissent jusqu’au centre du plateau pour évoquer l’appartement modeste d’Antonia et Giovanni, qui est au fil de l’histoire le théâtre de ruses, malentendus et situations cocasses proches de l’univers feydeausien. D’ailleurs, la mobilité du décor et la transparence du mécanisme ne sont pas sans rappeler le Monsieur chasse ! de Robert Sandoz (2011/2013), un Feydeau réussi auquel Joan Mompart et Samuel Churin (qui interprète Giovanni) ont participé en tant que comédiens.
Dans cette version d’On ne paie pas, on ne paie pas !, le mouvement est constant, qu’il s’agisse des personnages ou des pièces de décor, comme si les uns étaient le reflet des autres. Dans un environnement aux teintes de gris, noir et blanc, ? ce qui semble être une constante dans les créations de Joan Mompart (La Reine de Neiges en 2010 et Ventrosoleil en 2014) ? les meubles et le sol basculent soudain dans un déséquilibre frénétique au moment où les personnages ne trouvent plus d’issue aux conséquences de leurs mensonges.
Un spectacle drôle et dynamique, mêlant situations réalistes et libertés théâtrales, porté par des comédiens jouant le burlesque de façon remarquable, et dont le sujet sérieux invite les spectateurs à la réflexion. À savourer sans retenue à la Comédie de Genève jusqu’au 11 octobre.
7 octobre 2014
Par Cecilia Galindo