On a promis de ne pas vous toucher

On a promis de ne pas vous toucher

à partir de G. Bataille / mise en scène Aurélien Patouillard – Zooscope / du 9 au 19 avril 2014 au Théâtre Les Halles de Sierre / du 7 au 11 mai au Théâtre Arsenic à Lausanne / Critiques par Jehanne Denogent, Deborah Strebel et Aline Kohler.


1 mai 2014

Contes de l’érotisme ordinaire

© Aurélien Patouillard

En réaction au titre provocateur de la dernière création d’Aurélien Patouillard, On a promis de ne pas vous toucher, la tentation est grande d’en douter, de se prêter pourtant au jeu et de risquer de se sentir touché. Avis aux spectateurs téméraires : à essayer !

Qu’est-ce que l’érotisme ? Il demeure peut-être dans son propre mystère. Magique et fragile, il ne résiste pas longtemps aux coups que lui porte l’intelligence pour le comprendre. Dès lors, comment poser la question de l’érotisme sans qu’il ne s’étiole? Il est peut-être judicieux de le faire au théâtre, expérience qui mêle la présence des comédiens, des autres, de soi. Le succès du désir, comme celui d’une pièce, repose sur quelque chose de très simple et pourtant d’éphémère. Dans On a promis de ne pas vous toucher, dont la première a eu lieu mercredi au Théâtre Les Halles à Sierre, le metteur en scène Aurélien Patouillard suggère avec pudeur, humour et élégance les contours de la sensualité.

Sentir, effleurer, entendre son propre souffle ou celui des autres, frôler, percevoir une odeur, croiser un regard. Il n’est pas question de piquer un somme dans l’obscurité et l’anonymat du dernier rang. Parler érotisme mène peut-être simplement à sentir sa propre présence parmi celle des autres. Le spectacle est sur scène, le public aussi. Acteurs et spectateurs, chacun est installé sur une chaise à roulettes tournant à 360°. Pour ne pas risquer l’accident, il faut être attentif à ce qui se passe derrière son épaule, à droite de son genou, au niveau des orteils de son pied gauche. C’est aussi une expérience ludique que de glisser, tourbillonner, pousser (gentiment) son voisin. Autant de rires pour combattre la gêne de parler de sexualité. Le spectacle se vit ensemble, chaque soir renouvelé.

Un signe discret d’approcher, une mine timide, et l’histoire est livrée à demi-ton, simplement, savourée encore une fois. Ce ne sont pas des exploits sexuels ou des fantasmes grandiloquents mais les récits étranges du désir ordinaire, qui peut naître de mains plongées dans l’eau bénite, des déguisements amusants de deux enfants ou de l’humidité visqueuse du blanc d’œuf. Cinq acteurs, au jeu naturel et malicieux, livrent les aveux parfois ridicules mais toujours très sincères des émois du corps, dont la représentation tend à être aplanie par certains mythes. Le texte est inspiré des écrits de Georges Bataille, qui réfléchit à la possibilité de vivre librement une sexualité marginale. Cette mise en scène embrasse le délicieux grotesque qui fit scandale dans les années de parution de ces livres, sans jamais s’y complaire toutefois. Enveloppés d’une robe en boyaux ou rampant, lubriques, sur le sol, les acteurs restent toujours humbles, porteurs d’une sensualité sans artifice.

Qu’est-ce que l’érotisme ? Ce qu’on ne connaît pas encore. Ce qui se passe dans l’immédiat d’une salle, d’une ronde de chaises, dans le chuchotement d’une voix –« embrassez-moi », ou dans l’appui d’un regard. La pièce se construit par la recherche et la multiplication de pistes qui, pas toujours unifiées, laissent pourtant la certitude que l’érotisme est ce qui s’expérimente. Heureux est le spectateur : la réponse est dans ce qu’il éprouve !

1 mai 2014


1 mai 2014

L’érotisme en Bataille

© Fabienne Degoumois

Troublante exploration collective des potentialités de la notion d’érotisme, On a promis de ne pas vous toucher parvient à traiter sans vulgarité ni lubricité de volupté et de sensualité.

L’expérience commence dans une antichambre aux lumières tamisées. Des chaises et des tables munies de photophores ornent ce petit espace. Le décor rappelle celui des cabarets. Aurélien Patouillard, le metteur en scène, vêtu tout en noir, dont la chemise se ferme par un col de prêtre, invite les spectateurs à se confesser – autrement dit, à inscrire sur un bout de papier des objets ou des choses qui leur semblent, a priori, érotiques. Dans cette ambiance intimiste, il invite également son public à se détendre en buvant un verre de vin ou en dégustant un morceau de chocolat. Une fois cette originale eucharistie achevée, le public peut se rendre sur le plateau.

Après avoir parcouru un chemin sombre et labyrinthique, il arrive enfin sur scène. Des chaises à roulettes sont disposées au centre. Une lumière rouge vif – qui évoque la luxure ou les vitrines des quartiers chauds de la capitale hollandaise – éclaire cette pièce rectangulaire. Un peu déroutés, les spectateurs s’installent. Les premiers échanges de regards ont lieu, accompagnés de nombreuses interrogations : « Que doit-on faire ? Où sont les comédiens ? Quand est-ce que le spectacle va débuter ? ». Ignorant ce qui va suivre, chacun cherche une réponse dans les yeux de son voisin. Nul ne se doute que de possibles rapprochements vont se présenter.

Tout au long du spectacle en effet, une proximité entre les spectateurs mais aussi entre les acteurs et le public va progressivement s’installer. Comme s’il fallait nécessairement créer une certaine intimité entre l’ensemble des participants pour aborder le thème de l’érotisme. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La compagnie Zooscope a choisi de chercher une définition de cette notion si compliquée à cerner, qui, selon Aurélien Patouillard, reste un mystère même dans une société libérale comme la nôtre. Pour cela, des écrits de Georges Bataille ont été choisis comme point de départ à la réflexion, dont L’ErotismeL’Expérience intérieureMadame EdwardaL’Anus solaire, ou encore Le Souverain. Néanmoins, le texte qui semble être le véritable fil conducteur de cette méditation autour de l’érotisme est Histoire de l’œil. Ce récit édité clandestinement en 1928, signé sous le pseudonyme « Lord Auch », évoque, parfois de manière crue, les expériences sexuelles de deux adolescents. Des passages entiers, voire des chapitres complets sont cités, et quelques images emblématiques issues du roman sont rejouées. Une jeune femme s’assied ainsi dans une assiette de lait, tout comme le personnage de Simone dans l’incipit. Mais alors que la cocasse scène de l’assiette ouvre le récit chez Bataille, elle apparaît ici à la fin du spectacle. Motif incontournable du récit, l’œil est également omniprésent. Il est décliné, par associations d’idées, tout au long de la performance. Sa forme ovale évoque tantôt l’œuf, tantôt le soleil.

Non pas récit linéaire mais plutôt succession d’expériences autour d’une thématique, le spectacle plonge le public dans différentes ambiances parfois sensuelles, parfois troublantes, souvent surprenantes. Les comédiens se livrent corps et âme au service de ce processus de multiplication des sensations. Dans ce contexte, un homme portant un zentaï peut vous effrayer en surgissant délicatement dans la pénombre, et quelqu’un peut, à tout moment, s’approcher de vous pour vous susurrer à l’oreille une histoire érotique.

Pérégrination alliant interrogation et plaisir, On a promis de ne pas vous toucher parvient à toucher le cœur des spectateurs en établissant élégamment une grande et enivrante complicité. Un déconcertant mais très agréable moment de partage à expérimenter jusqu’au 19 avril au Théâtre Les Halles à Sierre.

1 mai 2014


1 mai 2014

L’érotisme sans détour

© Aurélien Patouillard

Aurélien Patouillard et sa Compagnie Zooscope convient sur scène l’érotisme, sujet d’ordinaire soigneusement conservé à l’ombre de la sphère privée, dans un spectacle décalé et surprenant. Dérangeant et plaisant à la fois, On a promis de ne pas vous toucher offre au public une véritable expérience théâtrale.

Cette critique ne vous révèlera rien. On a promis de ne pas vous toucher est le genre de spectacle dont il ne faut rien raconter, sous peine de gâcher l’aventure. Non, votre curiosité ne sera définitivement pas satisfaite ici : rendez-vous au théâtre pour l’assouvir vous-mêmes. Pour les plus frileux, une brève relecture du titre suffira peut-être à vous rassurer : On a promis de ne pas vous toucher. Promesse tenue – physiquement du moins.

Aurélien Patouillard peut en revanche se féliciter d’ouvrir une réelle fenêtre sur l’érotisme. Le discours explicite – inspiré entre autres de textes érotiques et transgressifs de l’écrivain français Georges Bataille –, est mis en scène avec originalité et interprété avec franchise par quatre comédiens au jeu entièrement assumé. L’aspect direct et décomplexé pourrait bousculer quelques âmes sensibles, mais il permet avant tout à chacun et chacune d’interroger son rapport à la sexualité. La pièce elle-même ne porte aucun jugement, laissant les spectateurs avec leurs propres réflexions.

On a promis de ne pas vous toucher est une exploration sans interruption. On entre dans le théâtre et on découvre. La pièce est faite d’attentes, de questionnements, d’émotions. Plus le spectacle avance, plus le public se demande à quelle sauce il va être mangé. Et même après le salut, il hésite à croire que la performance est bel et bien terminée. L’essence même de ce spectacle est la surprise. Vous serez étonnés, ahuris, décontenancés, émerveillés. Vous ne serez pas déçus.

Que vous appréciez ou pas, On a promis de ne pas vous toucher vous fera vivre une expérience. Des émotions, des histoires, vous en aurez. Votre propre histoire pourra même s’y mêler. Et c’est ce que le théâtre a de plus beau à nous offrir : du vécu. Pour mieux nous faire réfléchir, avancer et évoluer.

1 mai 2014


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