Scènes de la vie théâtrale

Par Jonas Parson

Une critique du spectacle :
Scènes de la vie conjugale / d’après Ingmar Bergman / mise en scène et interprétation par la Compagnie tg STAN / Théâtre Saint-Gervais à Genève / du 27 février au 8 mars 2014 / plus d’infos

© Dylan Piaser

Sexe, violence et déception. Dans cette adaptation des Scènes de la vie conjugale, série réalisée par Ingmar Bergman pour la télévision suédoise en 1972, c’est un portrait sans fard de la vie de couple, en 6 scènes, que dresse la compagnie belge tg STAN jusqu’au 8 mars au théâtre Saint-Gervais. Plongeant dans les incohérences, les peurs et la tendresse qui constituent souvent la vie en couple, Ruth Vega Fernandez et Frank Vercruyssen nous offrent un moment magique.

Les deux comédiens côte à côte, face au public, la pièce se clôt telle qu’elle s’était ouverte. Mais du couple parfait aux divorcés devenus à nouveau amants adultères, la roue a tourné sans revenir à la même place. Car cette pièce ne parle pas tant du délitement d’un couple face à ses propres failles, que du fait que les ruptures ne sont jamais aussi nettes que l’on le voudrait, et la raison s’efface souvent devant les émotions. Devant la difficulté d’oublier tant d’années et de projets communs, il s’agit de démêler et renégocier une nouvelle forme de rapport à l’autre. Amitié, haine, violence et amour se mélangent et font tourner la tête aux deux personnages, coincés dans leurs espoirs, leurs déceptions et leurs désirs.

A les en croire, Johann et Marianne – mariés depuis une dizaine d’années, deux enfants, venant de la bourgeoisie aisée – sont l’exemple d’un couple parfait. Aucun coup de foudre n’est intervenu entre eux. Ils se sont mariés car c’était un choix tout à fait raisonnable.  Décisions rationnelles et utilitaires qui  dictent une vie de convenance, importance de la famille, absence de passion, ce portrait des valeurs bourgeoises ne ménage pas son propos.

Leur mariage finit par voler en éclat, et la communication parfaite sur laquelle semblait fondée leur relation s’avère un leurre quand Johann déclare qu’il méprise ses enfants et rêve de partir depuis quatre ans. Mais les séparations ne sont jamais aussi propres et définitives, et les retrouvailles espacées des deux anciens époux se jouent entre la haine et le désir. Vingt ans après leur mariage, Marianne s’est remariée, et ils sont devenus amants. Alors seulement, ils semblent enfin pouvoir se parler sans mensonges, honnêtement et sans prétention.  Ayant abandonné la convention et le bon sens de leur première rencontre, ils se sont retrouvés à travers la passion et l’irrationalité.

La cie tg STAN- un acronyme pour « Stop Thinking About Names » a un rapport particulier au théâtre et au jeu, y apportant une fraîcheur et une vitalité incroyables. Créée il y a 25 ans en Belgique, cette troupe refuse la dictature d’un metteur en scène, travaillant en collectif autour d’un texte que les comédiens répètent très peu. La pièce se monte à travers un échange intense autour de la lecture du texte. Mais la particularité de ce collectif est cette volonté de marquer l’acte de représentation qu’est le jeu théâtral. Ainsi, il ne s’agit pas de donner au public l’illusion d’une réalité, mais de lui faire voir un comédien, sur un plateau, qui éprouve le texte et les autres comédiens. Le comédien ne s’efface pas derrière son rôle, mais interagit avec le public – ils sont déjà sur scène lorsque le public rentre, l’accueillant, riant avec lui, abolissant la traditionnelle séparation entre la scène et la salle. Cette non-séparation est d’ailleurs marquée par les lumières qui restent allumées du côté du public, associant ainsi ce dernier à l’espace scénique, créant une complicité avec les comédiens.

Ceux-ci oscillent entre jeu et description des actions, passant d’une réplique à l’énonciation d’une didascalie sans changer de ton, annonçant la fin de la scène et expliquant le titre de la suivante. Il s’agit ainsi de sortir d’un réalisme qui n’est qu’une illusion, pour offrir quelque chose de  vrai. Ce rapport à l’illusion s’illustre à merveille dans la scène où les personnages décident de passer à table. Plutôt que de jouer une scène de repas, les comédiens jouent le dialogue qui l’accompagne, tout en s’affairant à créer une image de table après un repas- des assiettes avec des restes dedans, des verres sales et des serviettes chiffonnées, permettant ainsi tant aux personnages- à travers le dialogue- qu’aux comédiens- à travers l’installation du plateau- d’être présents en même temps. Un peu plus tard, une scène de violence conjugale se déroule de la même manière. Nous expliquant que les deux personnages commencent à se battre très violemment, ils se griment sur scène, affichant visages ensanglantés et tuméfiés, habits déchirés. La scène de combat, comme celle du repas, est figurée par une action visant à donner l’effet final de la scène. Ce procédé joue ainsi sur les effets techniques utilisés dans le théâtre pour donner une sensation de réalité, transformant les scènes en des tableaux quasi abstraits.

Pour apprécier la facture du masque, il s’agit de le montrer comme masque, comme factice, et dans un jeu constant entre la réalité et le jeu, créer un univers fascinant. La cie tg STAN réussit ainsi à offrir une pièce légère et amusante par sa forme, tout en étant touchante et très forte par son fond.

Sans sacrifier le fond à la forme, cette pièce offre un portrait sans pitié de la vie de couple et du mariage, peignant des personnages faibles et inquiets, ridicules et touchants à travers un jeu d’une justesse incroyable – Ruth Vega Fernandez est à couper le souffle en femme fragile et dévastée- pour deux heures et demi de pur plaisir.

 

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