Un désordre pervers

Par Joanna Pötz

Une critique du spectacle :
Yvonne, Princesse de Bourgogne / d’après Witold Gombrowicz / conception et mise en scène Geneviève Guhl / du 27 février au 8 mars au Théâtre La Grange de Dorigny à Lausanne / du 8 au 11 avril à la Comédie de Genève / vendredi 2 mai à 20h15 au Théâtre Valère à Sion / du 9 au 10 mai au Théâtre Belle Usine à Fully / plus d’infos

© Isabelle Meister

Mélange pêle-mêle de comédie, tragédie, farce et absurde, Yvonne, Princesse de Bourgogne, jouée par la cie L’ascenseur à Poissons, inverse toutes les conventions – un homme joué par une femme, une princesse laide fiancée au prince héritier, une comédie qui trouve une fin bien tragique – pour faire rire mais aussi pour déranger, et qui, finalement, laisse un peu perplexe.

La pièce raconte l’histoire d’une pauvre et laide roturière, Yvonne, que le prince héritier, par moquerie et rébellion, emmène à la cour afin d’en faire sa fiancée. Elle, dont le mutisme et la débilité dérangent, y est la risée des courtisans et la honte de la famille royale qui ne sait qu’en faire. Puis, devenue source de jalousie et angoissante présence, elle est le bouc-émissaire, objet de haine, que tous les personnages veulent assassiner. En bref, Yvonne, en n’ouvrant presque jamais la bouche et précisément en ne faisant rien, sème la discorde et le désordre dans une cour devenue folle. Ainsi, de ce qui semblait être une comédie, voire une farce, la pièce devient tragédie grinçante en se soldant par l’assassinat en grande pompe de cette princesse de Bourgogne. Cette pièce, comme ce passage de la comédie à la tragédie et l’instabilité de registre le montrent, se moque des conventions génériques et adopte un ton légèrement parodique. Par exemple, le roi, la reine, le chambellan, le prince et les courtisans, tournés en dérision, sont autant de personnages évoquant le théâtre shakespearien. À ce titre, Yvonne, Princesse de Bourgogne, écrite en 1938, est, comme beaucoup des œuvres suivantes du polonais Witold Gombrowicz,  provocatrice et subversive tout en alliant légèreté et comique.

La mise en scène originale de Geneviève Guhl insiste précisément sur les renversements et le désordre inhérents à la pièce pour en faire une création « à contre-courant » qui s’intègre au projet esthétique de L’ascenseur à Poissons. Ainsi, le roi Ignace est joué par une femme, la reine par un homme,  les vieilles tantes cocasses d’Yvonne sont jouées par des hommes, les mêmes d’ailleurs qui incarnent les conseillers ridicules du roi – drôlissimes, eux aussi –, alors que ce n’est pas le cas pour les autres personnages. Côté costume, c’est là encore le désordre, entre un roi habillé en costume complet bien net, les courtisanes aux robes à moitié défaites et Yvonne en habits transparents. Le décor même est un assemblage modulable de chaises et de tables ainsi que de panneaux où sont projetées des images changeantes, difficiles à interpréter et peut-être pas suffisamment exploitées. Cette mise en scène est complétée par des bandes sonores oscillant entre chanson française, musique électro et bruits désagréables, mélodies cacophoniques sur lesquelles les personnages chantent. Finalement, comme le dit la reine, il en résulte un « désordre pervers » – pervers parce que la cacophonie ambiante fait mal aux oreilles et, surtout, parce qu’à l’origine de l’intrigue est une farce malsaine et méchante concoctée par le prince héritier dans le but de semer le désordre et de critiquer.

Même si la mise en scène reflète bien le mépris léger pour les conventions du théâtre typique de l’œuvre de Gombrowicz, elle ne réussit pas complètement à faire signifier le chaos sous-jacent qu’elle révèle, peut-être par manque de consistance ou d’uniformité. On a du mal à se faire une idée précise de l’interprétation que la mise en scène tente de faire de la pièce, ainsi que du sens qu’elle lui donne. Dommage.

Yvonne, Princesse de Bourgogne, difficile d’accès, donc,  mais dont on retiendra surtout la mise en scène originale et quelques moments cocasses, est à voir à La Grange de Dorigny jusqu’au 8 mars.

 

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