Souvenirs impalpables

Par Aline Kohler

Une critique du spectacle :
Couvre-feux /de Didier-Georges Gabily / mise en scène et adaptation Ludovic Chazaud – la Cie Jeanne Föhn / Théâtre La Grange de Dorigny / du 13 au 16 mars 2014 / plus d’infos

© Bier Chazaud

Le texte de Didier-Georges Gabily Couvre-feux adapté à la scène par Ludovic Chazaud prend vie à la Grange de Dorigny jusqu’au 16 mars 2014. Belle promesse d’une expérience déroutante et poétique, la pièce de théâtre manque pourtant le coche.

A l’origine, il y a le texte de Didier-Georges Gabily, où s’entremêlent les lieux, les temporalités, la chronologie, les personnages, les narrateurs. Un récit complexe et brouillé dont la force est précisément de laisser libre cours à de multiple interprétations. Cet aspect, Ludovic Chazaud a voulu le respecter et même l’explorer. Le metteur en scène a choisi de ne pas imposer son interprétation au spectateur, tout comme l’auteur ne l’avait pas fait avec le lecteur. Une idée alléchante pour tous les rêveurs à l’imagination débordante.

Mais l’expérience sur scène ne s’avère pas aussi fabuleuse que ce que l’on pouvait présager. Le public, n’ayant pas nécessairement lu le texte au préalable, aura pu se sentir perdu à maintes reprises, tant au niveau du récit que de l’identité des personnages représentés sur scène. Le spectateur, à l’inverse du lecteur, ne peut pas interrompre ni ralentir le récit qui se déroule sous ses yeux et encore moins revenir en arrière pour mieux digérer cet éparpillement d’informations. Au théâtre, la confusion du récit de Couvre-Feux oppose une ferme résistance au spectateur.

La mise en scène de Ludovic Chazaud est pourtant empreinte d’une volonté de clarifier la narration. Les décors évoquent très distinctement les lieux représentés. Sur la majeure partie de la scène s’étalent des planches en bois.  Usées et disposées sur un imposant praticable à plusieurs étages, elles illustrent à merveille la vieille maison délabrée de la grand-mère. Par moment, l’ensemble est agrémenté en toute simplicité de projections rappelant les endroits ou moments symboliques du récit. Ainsi, le fleuve et le coucher de soleil apparaissent, presque immobiles, en arrière-plan. En même temps que les comédiens se glissent derrière la toile de projection, les personnages se fondent dans ces espaces aussi lointains que les souvenirs du père. Une juxtaposition d’images qui produit un effet éblouissant de reconstitution de la mémoire.

Le casting des comédiens semble aussi contribuer à la bonne compréhension de l’histoire. Chaque personnage principal prend corps sur scène. Le père et la fille ont la possibilité d’exprimer directement leurs quelques répliques au présent se détachant du récit au passé. A noter aussi que l’âge des comédiens correspond à celui des personnages. Ce que le récit n’explicite pas, le visuel tente de le compenser. Mais cela ne suffit pas toujours : l’identité de cette narratrice supplémentaire imaginée par le metteur en scène afin de donner un point de vue différent sur les souvenirs du père reste par exemple une incertitude durant toute la pièce.

Une difficulté supplémentaire tient au choix de raconter, plus que de jouer l’histoire. L’extrême sobriété du jeu instaure une distance avec le public, qui se voit d’emblée privé d’émotions et de vécu. Couvre-feux ne nous entraîne pas dans un tourbillon de sensations. La pièce crée en nous de nombreuses interrogations, puis nous laisse froidement démêler les intrigues, sans jamais nous en donner les clefs. L’imagination est sans cesse sollicitée, mais ne se suffit pas à elle-même. Le récit paraît insuffisant. A la sortie du théâtre, une impression d’insatiété et aucune histoire qui résonnerait en tête.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *