Une ode aux morts

Par Roxane Cherubini

Une critique du spectacle :
Le Gardien des âmes / de Pierre Kertz / mise en scène Olivier Chapelet / Théâtre du Passage à Neuchâtel / le 28 novembre 2013

© Benoit Linder

Entre histoire universelle et folie individuelle, un homme ressuscite les figures de son passé. C’est dans une atmosphère magique et irréelle que nous plonge Le Gardien des âmes, roman de Pierre Kertz adapté pour la scène par Olivier Chapelet et interprété par Francis Freyburger.

Un cimetière militaire. Des croix anonymes, disposées les unes à côté des autres. Un chapeau en couvre une, un manteau enveloppe les bras d’une autre. Une écharpe, une chemise ou encore une cravate viendront encore les habiller et leur donner un semblant de vie. Entre ces croix, se prélasse un homme. Il est couché dans l’herbe et contemple le ciel les bras croisés sous la tête, l’air paisible. Cette image, cinématographique et projetée sur un tulle placé au devant de la scène, reflète l’imaginaire du protagoniste. Au travers de l’écran, le public perçoit le comédien. Seul son corps est éclairé sur le plateau. Le jeu d’interaction entre le personnage concret et sa psyché représentée sur la toile constitue la particularité scénographique de la pièce. Cet aller-retour entre réalité et illusion traduit subtilement la névrose du protagoniste, qui conçoit le réel à sa façon.

Hanté par l’histoire de ses ancêtres, ce dernier décide de vivre dans sa cave pour se rapprocher d’eux et pour les faire revivre par le souvenir. Il raconte le cri que sa mère, s’étant réfugiée dans cette pièce de la maison quand l’Alsace fut bombardée, y a poussé en 1944 à la vue d’un rat. Il parle ensuite de son père, jamais connu et resté prisonnier en Russie, et encore de son oncle. Ce dernier s’est vu changer trois fois de nationalité en sept ans, suite aux diverses occupations allemandes de la région alsacienne. Mêlant le français au dialecte, le monologue du protagoniste introduit le spectateur dans un univers culturel propre à l’Alsace ; territoire à l’identité ambiguë, à cheval entre la France et l’Allemagne. Mais dans les paroles du personnage, l’omniprésence du passé évoque surtout le poids de l’Histoire, qui pèse sur les hommes et change leur destinée. La voix du comédien, de plus en plus lancinante, reflète la tension qu’éprouve le protagoniste.

Traitant de la vie, de la mort et du souvenir, comme les précédents spectacles d’Olivier Chapelet, Le Gardien des âmes célèbre en outre le libre arbitre. Refusant de subordonner son existence aux rythmes de l’Histoire, le personnage mettra délibérément fin à ses jours. Son corps est à la fois recroquevillé dans sa cave, sur le plateau, et en marche vers le sommet d’une colline, sur l’écran de tulle. Ce dispositif théâtral révèle la force du spectacle, qui aborde avec sensibilité et douceur la démence d’un homme vivant dans son imaginaire.

 

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