Théâtre socialisme

Par Maryke Oosterhoff

La Chinoise 2013 / de Michel Deutsch / mise en scène Michel Deutsch / Théâtre Saint-Gervais à Genève / du 19 au 30 novembre 2013

extrait du film La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967). Seul le nom de Brecht restera sur le tableau.
extrait du film La Chinoise de Jean-Luc Godard (1967). Seul le nom de Brecht restera sur le tableau.

Ils sont comédiens, musiciens, ont étudié la sociologie ou l’ethnologie. Ils ne sont pas pressés de trouver un métier. Ils font l’expérience d’un mode de vie en communauté dans l’appartement de l’oncle banquier de Véronique. Ils aimeraient changer le monde : mais comment ? En tuant le banquier, peut-être. Pour l’exemple.

Nous sommes en 2013. Ces jeunes intellectuels n’ont pas connu mai 68. Ils disent que cette révolution n’a fait qu’introduire au sein du capitalisme une morale qui lui manquait cruellement, que cela a fini par servir ses desseins. Ils pensent que le mouvement Occupy Wall Street a les mêmes effets, que l’on ne change rien en étant simplement indigné. Le temps du marxisme-léninisme étant passé, ils se demandent à quel modèle intellectuel se référer : Foucault, Debord, Rancière  ou Althusser qui, finalement, « n’a servi a rien » ? Ils se demandent qui couche avec qui dans cet appartement, aussi.

Jean-Luc Godard, dans La Chinoise, en 1967, annonçait le mouvement de mai 68 mais également ses désillusions. Dans le film, les jeunes maoïstes de l’appartement rêvaient de révolution culturelle. En 2013, les jeunes savent que le “grand Bond en avant” a provoqué des dizaines de millions de morts et ils ne lisent plus le petit livre rouge. Le film posait également la question de la possibilité d’un théâtre socialiste, retenait le nom de Brecht et faisait apparaître sans cesse sa propre construction (« un film en train de se faire »).

Michel Deutsch en adaptant La Chinoise pour notre époque et pour le théâtre (un double défi) prend également le parti de la distanciation brechtienne. Les comédiens racontent ainsi leurs propres actions. L’idée des témoignages face caméra de Godard est reprise et le visage des comédiens est projeté sur les murs tandis que leur voix, en off, présente leur personnage (d’autres clins d’œil sont adressés à Godard : la “grande gueule” de la bande se déclare “à bout de souffle” puis se retrouve, comme Pierrot le Fou, le visage recouvert de peinture bleue).

En 1967, une jeune femme de la bande se retrouvait « naturellement » responsable des tâches ménagères, ayant moins d’éducation que ses camarades. Chez Deutsch, cette contradiction entre un discours marxiste voulant abolir les classes et l’attitude véritable des protagonistes est à son paroxysme : les jeunes engagent carrément une jeune sociologue grecque au chômage pour être leur femme de ménage. Ils ne lui porteront jamais la moindre attention – si ce n’est sexuelle – puis ne la paieront pas. Godard montrait davantage de tendresse envers ses personnages (son constat à lui sur les étudiants d’aujourd’hui, c’est dans Film socialisme, sorti en 2012, qu’il faut le chercher) mais Michel Deutsch sait se montrer joyeusement féroce dans l’amer constat social d’une jeunesse ayant grandi dans le néo-libéralisme. Sa mise en scène – sobre, délicate et musicale – sait se mettre au service des enjeux critiques qu’elle aborde.

 

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