Par Aline Kohler
Une critique du spectacle :
La Ronde / d’Arthur Schnitzler / mise en scène Valentin Rossier / Théâtre La Grange de Dorigny à Lausanne / du 25 octobre au 2 novembre 2013
En dix scènes, Arthur Schnitzler offre une ronde du désir charnel dépeignant l’envers du décor de la bienséance et de la morale de la société au tournant du XXe siècle. A partir d’une nouvelle traduction française d’Henri Christophe et avec le choix d’une mise en scène abstraite, Valentin Rossier nous présente de véritables tableaux de séduction tout en légèreté.
Un bloc noir, un drap noir et quelques ampoules clairsemées comme unique source de lumière, le décor presque en noir et blanc rappelle un vieux film. La variation seule de la lumière suffit à évoquer une atmosphère plus ou moins intimiste. Loin de rendre la pièce froide, la sobriété de la scène suggère plus qu’elle n’impose le lieu de chaque tableau. Aux spectateurs le plaisir d’imaginer à leur guise les contextes de chacun des duos amoureux qui se succèdent.
Dans leurs costumes d’époque rappelant la vieille Europe, les comédiens livrent une interprétation du texte engagée et sans chichi. Le rythme de la pièce, dynamique et aéré, jouant sur l’effet de répétition, laisse la place à la dimension humaine qui ressort à travers les dialogues. Dans une suite qui n’a rien d’ennuyeux, un pannel de relations amoureuses témoigne avec fraîcheur et insolence mais sans vulgarité des décalages sociaux qui s’effacent dans la nudité, le temps de l’amour.
Cinq hommes et cinq femmes d’origines sociales différentes forment dix couples qui se prennent au jeu interdit de la séduction. Dans cette société du tournant du XXe siècle, pétrie de honte face à ses désirs sexuels et cherchant à faire taire sa part animale, les amants redoublent d’esprit pour justifier leurs ardeurs immorales. Entre double-discours, non-dits, insinuations, mensonges, prétextes et aveux, l’hypocrisie et le manque de scrupules ont la part belle. Le décalage entre paroles et actes, subtilement mis en scène par Valentin Rossier, renforce le comique de la pièce qui séduit tant le public.
Arthur Schnitzler pensait de La Ronde en l’écrivant qu’elle serait impubliable. Après sa publication en 1900, elle fût censurée à maintes reprises. Heureusement, il semble aujourd’hui qu’elle ait trouvé son public, acceptant l’image que le texte lui renvoit de lui-même et prêt à rire de et prêt à rire de la nature contradictoire de la condition humaine.