Prehistoric Park, le retour des animaux éteints

Mammouth. Emblème de la mégafaune disparue du Pléistocène, cet animal était génétiquement plus proche de l’éléphant d’Asie que ne l’est l’éléphant d’Afrique de celui d’Asie. © Mauricio Anton/Science Photo Library/Keystone

À défaut de pouvoir côtoyer des dinosaures comme dans le film Jurassic Park, pourra-t-on un jour faire des safaris au milieu des mammouths et des tigres à dents de sabre? Un professeur invité de l’UNIL nous répond. 

Voir brouter un rhinocéros laineux ou observer une partie de chasse de lions des cavernes. Vous en rêvez ? Ils y croient. Et ce ne sont pas des illuminés, mais des universitaires qui considèrent que les progrès de la science vont un jour permettre de telles rencontres. En Sibérie, où l’on a retrouvé un très grand nombre d’animaux du Pléistocène (- 2,6 millions à – 11 700 ans) bien conservés, Sergueï Zimov, géophysicien, et son fils Nikita, écologue, ont créé une zone de réensauvagement – un site où l’Homme ne doit plus mettre les pieds dans le but de revenir à la nature qui a précédé l’arrivée des humains – dans lequel ils espèrent voir à nouveau marcher des mammouths. 

«Leur idée est qu’on peut acclimater de nombreuses espèces de la mégafaune (ensemble des animaux de plus de 40 kg, ndlr), y compris africaines, dans des régions très rudes et recréer tout un réseau trophique du Pléistocène avec ce qui reste de la mégafaune actuelle», explique Nadir Alvarez, professeur invité à l’UNIL et directeur du nouveau Muséum cantonal des sciences naturelles de Lausanne. Coauteur de Faire revivre des espèces disparues?, il a réalisé un inventaire critique des dernières recherches sur le sujet. Et pas uniquement en Sibérie. Retour vers notre futur préhistorique.

Un premier parc en Sibérie

Dans leur parc du Pléistocène, une réserve naturelle russe bénéficiant d’un centre d’études scientifiques (NESS) en République de Sakha (Sibérie), les Zimov ont déjà réintroduit une faune capable de supporter le rude climat des steppes de l’époque (qu’ils tentent aussi de reformer à la place des taïga et toundra actuelles): rennes, bœufs musqués, yacks, antilopes saïga, orignaux et autres chevaux iakoutes. Ils comptent ensuite réussir à intégrer le lion, le tigre de l’Amour et redonner vie au mammouth laineux, au mégalocéros, à l’ours des cavernes ou encore au bison des steppes. Un tel mélange semble complètement farfelu, non? «Pas du tout, souligne le biologiste de l’évolution. Il suffit que les individus aient climatiquement les mêmes besoins et qu’on leur mette beaucoup d’espace à disposition, afin qu’ils puissent y occuper leur niche écologique de grands herbivores ou de prédateurs. Si on leur réservait un tel espace, ces animaux joueraient par ailleurs un rôle d’espèce parapluie (leur présence sur un vaste territoire protégé fournit un habitat adéquat à d’autres animaux, ndlr).»

Le généticien poursuit: «Il y a 10 000 ans, 97 % des vertébrés terrestres étaient des espèces sauvages et on avait 3 % d’humains. De nos jours, c’est exactement l’inverse. 97 % sont des humains ou du bétail et les 3 % restants sont sauvages. La sélection des espèces pour leurs qualités agronomiques, gustatives ou autres, a tellement modifié la surface de notre planète que rajouter des créatures disparues il y a des milliers d’années dans différents écosystèmes ne me paraît pas plus risqué que déforester six fois la taille de la Suisse par année en Amazonie.» La famille Zimov est convaincue que donner un habitat protégé à la mégafaune d’Eurasie, actuelle et disparue, aiderait à lutter contre la disparition du permafrost, que le réchauffement climatique menace. 

Nadir Alvarez. Professeur à l’Université de Genève et invité à l’UNIL, biologiste de l’évolution, généticien, directeur du nouveau Muséum cantonal des sciences naturelles de Lausanne et coauteur de «Faire revivre des espèces disparues?» Nicole Chuard © UNIL

«Leur hypothèse est intéressante, affirme Nadir Alvarez. Les émanations de méthane sont la menace numéro un du réchauffement climatique et il s’agit du facteur le moins contrôlé. Si on arrive à maintenir un sol plus froid pendant l’hiver, en déblayant la neige comme le faisaient les mammouths quand ils la piétinaient et la retiraient à coups de museau pour trouver de la nourriture, cela pourrait diminuer la température des sols (puisque dépourvus de la couche isolante formée de neige) sur une grande partie de l’année et freiner la libération de méthane dans l’atmosphère. Toutefois, cet argument marketing pour déséteindre les mammouths n’a pas encore été prouvé. Le méthane se relargue-t-il plus ou moins, une fois les sols déneigés en hiver ? Nous ne le savons pas.»

Qui seraient les revenants géants venus du froid?

1) Les herbivores: parmi les spécimens que l’on imagine faire revenir à la vie, les gros animaux ont une place de choix. Surtout les herbivores, comme le mammouth et le rhinocéros, tous deux laineux, jusqu’à plus de 3 mètres de haut aux épaules et 6 tonnes pour le premier, 2 m au garrot et 2 à 3 tonnes pour le second. Bâtis pour résister au froid, avec leur épaisse fourrure de laine, ils possédaient aussi de sérieux atouts pour se défendre contre les prédateurs (loups, hyènes, lions des cavernes, humains).

Le mammouth laineux (Mammuthus primigenius ou Elephas primigenius) avait deux défenses incurvées de, en moyenne, 2,5 m de long et 45 kg, le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis), deux protubérances similaires à des cornes sur le museau, une courte et une longue pouvant dépasser un mètre de long. «Ces deux espèces vivaient dans des milieux très froids, relève le professeur. On en a retrouvé des vestiges en Europe tout au long du Pléistocène supérieur (- 126 000 à - 11 700 ans), les derniers spécimens datant de - 8000 à - 10 000 ans. Une version naine de Mammuthus primigenius a même persisté sur l’île sibérienne de Wrangel 4000 ans avant aujourd’hui, une époque où les humains avaient déjà érigé des pyramides!» 

Le mégalocéros (Megaloceros giganteus), «un cousin de l’élan», n’était pas en reste avec ses plus de 3 m de bois et ses 2 m au garrot. Adepte des grandes plaines froides d’Eurasie, apparu il y a environ 500 000 ans, ce cerf géant polygame aurait régné jusqu’à 5000 ans av. J.-C. en Sibérie occidentale, d’après des restes découverts en 2004. Quant au bison des steppes – 2 m au garrot, 3,5 m de long, avec des cornes de plus de 1 m – il se déplaçait en troupeau avec une organisation sociale qui devait ressembler à celle des espèces de bovins actuelles, les vaches avec leurs petits, les taureaux seuls ou en petits groupes éloignés. Chez tous les grands herbivores de l’époque, il existait un dimorphisme sexuel important: les mâles étaient généralement plus imposants que les femelles. 

2) Les prédateurs: du côté des prédateurs, on pourrait revoir le lion des cavernes (Panthera spelaea), «habitué au froid, une espèce très différente de Panthera leo qui subsiste en Afrique mais dont on a des vestiges en Europe il y a quelques milliers d’années. Les lions, en général, supporteraient aussi le froid», précise le généticien. Le plus impressionnant prédateur retrouvé durant la dernière période glaciaire (300 à 500 kg pour les mâles) devait s’attaquer aux jeunes mammouths, cerfs et bisons, tout en étant nécrophage, il y a 100 000 à 13 500 ans. 

De son côté, l’ours des cavernes (Ursus spelaeus) pouvait dépasser les 3 m de haut lorsqu’il dressait ses 400 à 500 kg sur deux pattes. Cependant, contrairement à l’ours brun, il aurait été plus végétarien que carnivore. «On pense qu’il était facile à chasser en hiver, durant son hibernation, signale le biologiste. Il suffisait d’entrer dans une grotte et on tombait nez à nez avec un ours à moitié endormi.» En revanche, mieux valait ne pas croiser le loup préhistorique (Canis dirus) qui devait être gigantesque. Une tête presque intacte sorties des glaces éternelles de Yakoutie (Sibérie orientale) en 2019 mesure plus de 40 cm, à savoir la moitié du corps d’un loup contemporain. L’analyse de l’ADN et le séquençage du génome en cours permettront de mieux comprendre pourquoi il a disparu et peut-être, s’il serait intéressant de le déséteindre.

«L’arrivée des humains, surtout d’Homo sapiens, a précipité la disparition de ces espèces adaptées aux périodes glaciaires, car il les a abondamment chassées, alors qu’elles étaient déjà passablement mal en point à cause du réchauffement climatique, souligne le professeur. Pour la plupart, elles ont traversé les précédents interglaciaires qui étaient aussi chauds qu’aujourd’hui. D’où l’idée que si on leur laisse de l’espace, elles pourraient très bien se porter au XXIe siècle. »

Qui seraient les revenants géants venus du chaud?

«Il y avait aussi une faune chaude, qui était habituée aux périodes interglaciaires, comme celle que l’on vit maintenant et qui va se pérenniser avec des hippopotames ou encore des éléphants à défenses droites, qui étaient des herbivores, relève Nadir Alvarez. Les espèces adaptées au froid et au chaud se remplaçaient dans les milieux. Celles qui préféraient les hautes températures survivaient dans des refuges méridionaux de l’Europe pendant les périodes glaciales : en péninsule Ibérique, en Italie actuelle, dans les Balkans, en Grèce, en Turquie. Et durant les phases chaudes, elles repeuplaient le reste de l’Europe, quand les espèces habituées au gel trouvaient refuge tout au nord.»

Durant le Pléistocène, l’Amérique du Sud comptait une mégafaune de poids, avec des géants incroyables dont le Mégathérium, un paresseux de 6 m de long et 4 t, muni de griffes de 30 cm, le Glyptodon, un tatou cuirassé de 1,5 m de long et de plus d’une tonne, le tigre à dents de sabre sud-américain (Smilodon populator), aussi impressionnant (près de 400 kg) que celui du nord avec ses canines pouvant dépasser 25 cm ou encore l’Oiseau-terreur (Phorusrhacos), nommé ainsi car le volatile carnivore, incapable de voler, est l’un des plus grands oiseaux prédateurs retrouvés à ce jour (en moyenne 2 m de haut pour 150 kg). D’autres îles, comme l’Australie, abritaient de costauds marsupiaux, tels le Diprotodon, un wombat migrateur de la taille d’un hippopotame avec des incisives de 30 cm, et le Procoptodon, le plus grand des kangourous (plus de 2 m de haut et dépassant les 200 kg). On y trouvait aussi le Megalania, un varan (7 m de long, 2 t) semblable au dragon de Komodo, mais bien plus imposant. «Dans tous les cas, l’arrivée des humains s’est faite en parallèle avec la disparition de ces animaux, déclare le biologiste. Dès que l’Homme s’installe sur un continent ou sur une île, une partie de la mégafaune disparaît. Et si plusieurs vagues humaines passent, cela crée plusieurs vagues d’extinction. Voilà pourquoi l’un des arguments des défenseurs de la désextinction est de réparer nos erreurs, grâce au retour des disparus.»

Comment ressusciter des espèces disparues?

Il faut déjà que le défunt ne se soit pas éclipsé depuis plus de quelques dizaines de milliers d’années pour des raisons de conservation de son ADN. Inutile donc de fantasmer sur un Jurassic Park du XXIe siècle. Les chercheurs ont d’abord commencé avec des spécimens disparus depuis peu. De nombreux essais ont ainsi été effectués, et continuent en particulier à travers le projet Tauros, mené par des chercheurs néerlandais, pour faire revivre l’auroch (Bos primigenius), l’ancêtre sauvage des bovins domestiques, éteint au XVIIe siècle. Il s’agit d’une reconstitution: croiser des races rustiques qui lui ressemblent pour revenir à l’individu originel. «On a créé l’auroch de Heck, du nom de deux frères allemands (dont l’un fut lié au parti nazi) qui ont réussi à obtenir par croisements un animal qui lui ressemble, explique Nadir Alvarez. On en trouve dans la forêt de Rambouillet au sud de Paris par exemple. Mais on ne peut pas réellement parler de désextinction, car tous les gènes de l’auroch sont encore présents dans les espèces domestiquées. Toutefois, on ne retrouve plus dans les élevages actuels la version originale qui existait avant la domestication.»

Vrai retour ou chimère?

Tous les espoirs sont en ce moment tournés vers le mammouth laineux, dont un spécimen mort il y a 28 000 ans en Sibérie, gelé sur place, a été récupéré en bon état par une équipe japonaise, qui a déniché des éléments biologiquement actifs dans ses cellules. «Cette découverte permet de caresser le rêve d’un clonage in vitro, précise le généticien. Le mammouth est génétiquement plus proche de l’éléphant d’Asie que ne l’est l’éléphant d’Afrique de l’éléphant d’Asie. On pourrait sortir un ovocyte de l’ovaire d’une éléphante d’Asie et en enlever tout l’ADN. On y implanterait alors l’ADN du mammouth qui serait ensuite réimplanté dans l’utérus de l’éléphante. Si on arrivait à faire cela, ce serait une véritable désextinction. Mais il faudrait trouver un spécimen extraordinairement bien conservé, présentant encore une activité cellulaire notable, pour accomplir cet exploit. »

Selon le professeur, il semble plus probable que les chercheurs utilisent des techniques d’édition génétique par le procédé CRISPR-Cas9, à savoir transformer une espèce contemporaine en une espèce proche disparue. L’entreprise américaine Colossal Laboratories & Biosciences, déterminée à ressusciter des animaux comme le thylacine, un marsupial australien disparu au début du XXe siècle, et le mammouth, est convaincue qu’elle y arrivera. «Des chercheurs tentent de créer une chimère (organisme formé de constituants génétiques provenant d’espèces différentes, ndlr) à base d’éléphant d’Asie et de gènes de mammouth insérés par-ci par-là, car on connaît le génome complet de Mammuthus primigenius. Il s’agirait de prendre le gène qui code pour les longs poils, celui qui permet de résister au froid, etc. On intégrerait ces gènes comme on le fait sur un OGM. Et c’est aussi l’éléphante d’Asie qui porterait cette chimère.»

Est-ce bien raisonnable?

«Au début, je n’étais pas très fan de la désextinction, admet Nadir Alvarez. Mais en écrivant notre livre avec Lionel Cavin (paléontologue et conservateur du Muséum d’histoire naturelle de Genève), nous avons fini par y trouver des avantages. Me concernant, l’élément le plus valable pour la justifier est qu’une fois déséteints, les grands animaux devraient bénéficier d’un habitat naturel sur de grandes surfaces et par là-même offrir une protection à toutes les espèces vivantes qui partageraient cet endroit.» 

Et de relever que d’après lui, l’action la plus intelligente serait de répartir la charge de conservation de ce qui existe encore, «en ne demandant pas à l’Afrique d’en porter quasi exclusivement le fardeau», et de réensauvager massivement de vastes territoires en Europe, en recréant toute la chaîne alimentaire, y compris avec des superprédateurs. «Un peu à la manière du programme Rewilding Europe, une organisation à but non lucratif qui achète des terrains pour former d’immenses zones exemptes de chasse et de toute gestion humaine. La Terre possède encore une mégafaune herbivore, de gros félins et de gros canidés. Si on arrivait à leur réserver des lieux adéquats, on préserverait énormément d’autres animaux.»

Faire revivre des espèces disparues? Par Lionel Cavin, Nadir Alvarez. Éditions Favre (2022), 198 p.

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