Open Access : entretien avec Frédéric Schütz, bioinformaticien à l’Institut suisse de bioinformatique et responsable de la communication chez Wikimédia CH

En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 58, septembre 2014

Quelques exemples de bénéficiaires de l’open access

L’open access (OA) bénéficie aux personnes qui travaillent dans un domaine scientifique, mais qui ne sont pas installées sur le site d’une université et qui n’ont donc pas accès aux dizaines de milliers de revues qui existent sur abonnement. Ces derniers coûtent des fortunes. Imaginez une start-up active dans le biomédical : elle souhaite connaître les avancées de la recherche, mais ne peut pas se permettre d’acheter systématiquement des articles quelques dizaines de francs la pièce sur la base d’un titre et d’un résumé (abstract), pour découvrir ensuite que leur contenu n’est pas intéressant pour elle ! D’une manière générale, le système de paywall mis en place par l’édition traditionnelle, où l’on vous demande de payer pour lire, est un peu rageant, car on ne se trouve qu’à un clic de l’information.

Un autre groupe de professionnels serait intéressé par un développement de l’OA: les enseignants qui souhaitent se documenter plus loin que via les contenus scientifiques vulgarisés diffusés dans les médias. Ils ont le bagage nécessaire pour les lire, mais leurs établissements ne sont pas abonnés aux revues.

Mais l’OA peut toucher tout le monde. Comme Wikipédia est sous une licence libre, nous n’utilisons que des images et des contenus qui sont libres également. Nous sommes donc friands des publications OA, qui seront exploitées pour illustrer les articles de l’encyclopédie en ligne. On y trouve en effet des schémas et des photos à l’intérêt pédagogique clair.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les contribuables paient pour la recherche, et qu’ils devraient donc avoir accès à ses résultats sans passer à la caisse une deuxième fois.

Pourquoi le modèle traditionnel perdure-t-il ?

Le facteur d’impact (ou IF) en est largement responsable. Il s’agit d’une mesure chiffrée de la réputation d’une revue – qui rejaillit sur les auteurs. Les titres qui alignent de très hauts scores, comme Science ou Nature, sont basées sur le modèle traditionnel, soit les abonnements. Même si certaines revues OA, comme par exemple de PLOS Medicine, sont très bien vues.

Les universités valorisent les publications dans des revues à fort IF. Ainsi, le décanat de la Faculté de biologie et de médecine envoie un résumé régulier de ses performances dans ce domaine à chaque scientifique. J’ai récemment figuré parmi les auteurs d’un « papier » sorti dans Science, ce qui m’a valu un bond de ma cote bibliométrique (sourire). Dans ces conditions, ce serait dommage de ne pas viser un journal de haut vol, malgré les avantages innombrables de l’OA.

A titre personnel, je fais partie d’un groupe qui refuse de reviewer des articles destinés à des publications sur abonnement. L’évaluation est un travail que nous faisons bénévolement: à quoi bon si le texte paru ne peut pas être lu gratuitement ?

Enfin, l’OA est une bonne chose pour la science en général, mais n’offre pas tellement d’avantages aux individus. Ainsi, les coûts des abonnements sont payés par les bibliothèques et les universités, alors que les factures pour la parution en OA parviennent aux groupes de chercheurs…

Et la qualité ?

Il ne faut pas croire que les revues en OA, moins prestigieuses en termes d’IF, proposent de la science au rabais. Cela est dû au fait que les titres installés sur le podium, soit Nature et Science, planent tellement haut que la moyenne est faussée. Il existe de mauvaises revues OA comme de mauvaises revues traditionnelles.

A propos des données

Les articles publiés dans les revues sont des résumés qui ne contiennent pas la recherche elle-même, mais plutôt ses conclusions. Dans les cas extrêmes, un papier très bref prend même des allures de communiqué de presse. Or, l’un des principes de la science consiste à répliquer ce qui a été réalisé afin de bâtir de nouvelles connaissances au-dessus. Mais en pratique, nous n’y arrivons pas toujours, car les données produites et traitées manquent.

Pourquoi ? Les chercheurs, qui sont des humains, font parfois des erreurs. Mélanger deux graphiques, c’est vite arrivé, surtout dans des domaines où l’on brasse des quantités gigantesques d’information, en biologie par exemple, où les térabytes sont la norme. Les scientifiques qui effectuent les peer reviews n’ont pas toujours accès aux données des auteurs et ils ne peuvent donc pas repérer tous les problèmes possibles.

Dans mon domaine, la discipline qui consiste à comprendre comment une équipe est parvenue à un résultat s’appelle la bioinformatique forensique. Et pour la pratiquer, il faut que les données produites soient mises à disposition sur des serveurs accessibles librement, en plus de l’article lui-même. Atteindre ce résultat, et obtenir les sources informatiques qui ont permis de traiter et d’analyer les données, représente aujourd’hui une croisade nécessaire !

Article principal.
Entretiens complets avec Jean-Claude Albertin et Marc Robinson-Rechavi

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