
La plupart des adolescents et adolescentes dorment moins de huit heures par nuit, ce qui a des répercussions sur leur santé ainsi que sur leurs études. En cause: les bouleversements hormonaux caractéristiques de cette période de la vie, mais aussi le mode de vie, à commencer par l’usage prolongé des écrans.
À l’adolescence, les jeunes peinent souvent à trouver le sommeil avant minuit et ont bien du mal à se réveiller le lendemain aux aurores pour aller en classe. Leurs nuits sont bien trop courtes, puisqu’à cette période de la vie, il faudrait «dormir au moins huit heures par nuit», souligne Virginie Bayon, médecin associée au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV. Ce manque de sommeil nuit à leur santé physique et mentale, ainsi qu’à leur humeur.
Les multiples bienfaits du sommeil
Le sommeil est parfois qualifié de «petite mort». Il n’a pourtant rien d’un trépas, ni d’une perte de temps. Bien au contraire. Cette période de repos nous permet bien sûr de récupérer de la fatigue physique et mentale accumulée pendant la journée. Mais ses bienfaits ne s’arrêtent pas là.
Certaines hormones sont secrétées pendant que l’on dort. En particulier l’hormone de croissance indispensable à la croissance des enfants et qui participe aussi au développement des muscles, des os et des cartilages des adultes. D’autres substances, comme l’orexine, voient au contraire leur production baisser pendant la nuit. «Ce neurotransmetteur, essentiel à la vigilance et à l’éveil, stimule aussi l’appétit», précise Virginie Bayon. De ce fait, le sommeil participe à la régulation de la sensation de faim et de satiété. Preuve que l’adage «qui dort dîne» n’est pas faux. Le sommeil renforce aussi le système immunitaire et l’aide donc à lutter contre les infections.
Si, contrairement à ce que prétend l’expression populaire, la nuit ne porte pas toujours conseil, elle joue un rôle important dans la consolidation de la mémoire et dans l’apprentissage. À ce titre, la somnologue cite une étude italienne qui a montré «qu’après la sieste, les très jeunes enfants arrivent mieux à retenir ce qu’ils ont appris avant de s’endormir et à restituer les informations reçues». Un constat qui reste valable pour les plus grands. Sans compter que le sommeil «régule aussi nos émotions», ajoute la spécialiste du CHUV.
On conçoit donc que la privation, ne serait-ce que partielle, de cette fonction physiologique essentielle a de fâcheuses conséquences. «Une dette de sommeil se paye toujours à un moment ou à un autre», remarque Virginie Bayon. Chez les adolescents et adolescentes en particulier, elle se traduit par de la fatigue, ainsi que par une diminution de la concentration, de l’attention et de la mémoire qui se ressentent dans les résultats scolaires. Elle peut aussi entraîner «des troubles de l’humeur et de l’anxiété et engendrer des conduites à risque, constate la somnologue. Et à long terme, elle augmente le risque d’obésité et de maladies cardiovasculaires.»

Des causes physiologiques
Ne leur jetons pas trop vite la pierre. Si les ados ont tendance à s’endormir tard et à se réveiller tard, c’est avant tout «pour des raisons physiologiques», souligne Virginie Bayon. Preuve en est que l’on observe le même phénomène chez tous les mammifères. Pendant la puberté, période d’intenses modifications hormonales, «la sécrétion dans le cerveau de la mélatonine (l’hormone du sommeil) survient plus tard.» Cela entraîne un retard de phase, c’est-à-dire un décalage de l’horloge interne vers des heures plus tardives.
Outre le rythme circadien, la puberté perturbe aussi le processus homéostatique, un mécanisme qui régule l’équilibre entre le besoin de sommeil et l’état de veille. «Dans la journée, explique la somnologue, on accumule une pression de sommeil qui nous permet de nous endormir le soir. Chez les adolescents et adolescentes, ce processus est plus lent que chez les adultes, ce qui signifie que ces garçons et ces filles ont besoin d’une durée d’éveil plus longue pour pouvoir s’endormir. Cela décale encore un peu plus leur sommeil en direction du matin.»
Les jeunes ont donc du mal à sortir de leur lit et, durant la journée, la somnolence les guette. La puberté favorise en effet «l’hypersomnie physiologique», constate la somnologue. Une chercheuse américaine a d’ailleurs fait des tests chez des enfants prépubères et pubères et «elle a constaté que, chez ces derniers, la facilité à faire la sieste réapparaissait».
Les méfaits des écrans
Le mode de vie adopté par les ados n’est pas de nature à diminuer leur dette de sommeil. Les longues heures passées le soir à répondre aux messages, à consulter les réseaux sociaux ou à regarder des vidéos «prolongent la vigilance et empiètent sur le sommeil», constate Virginie Bayon.
Les écrans eux-mêmes sont des fauteurs de trouble – surtout ceux des tablettes et téléphones, plus proches des yeux que les ordinateurs et devant lesquels on est plus actif que devant la télévision. Ils émettent en effet principalement de la lumière bleue qui interfère avec la mélatonine et retarde encore sa sécrétion. Ce phénomène se produit à tout âge, «mais son impact est plus important chez les ados qui, le soir, sont plus sensibles à la lumière que les adultes». Rien n’est plus normal, surtout à un âge «où l’on prend son indépendance», comme le dit la spécialiste du CHUV, de vouloir profiter des week-ends et de leurs soirées. Mais prolonger les sorties nocturnes n’améliore pas la situation. «Comme le jet-lag, elles décalent l’horloge interne des jeunes qui ont ensuite du mal à la resynchroniser pendant le reste de la semaine.»
D’autant qu’au cours de ces soirées, les ados consomment souvent des produits psychostimulants, comme du café et des boissons énergisantes, qui gênent l’endormissement. Ou encore de l’alcool et du cannabis qui ont des propriétés sédatives, mais sont en fait «de faux amis du sommeil dont ils affectent la qualité et le pouvoir réparateur».
À toutes ces habitudes qui contribuent à raccourcir les nuits des ados, il faut encore ajouter «la pression scolaire et les exigences académiques qui favorisent les troubles anxieux, ainsi que les nombreuses activités extra-scolaires qui se font de plus en plus tardivement» et contribuent à raccourcir le repos nocturne.
Changer ses habitudes
La physiologie de la puberté n’est pas modifiable, mais les comportements, eux, le sont. Pour aider les adolescents et adolescentes à dormir plus longtemps, Virginie Bayon leur conseille «de fermer les écrans une ou deux heures avant le coucher, de veiller à ne pas trop décaler les horaires pendant les week-ends et d’éviter les longues siestes tardives». Elle leur recommande aussi de s’abstenir de consommer de psychostimulants après 15h et de ne pas en boire de trop grandes quantités pendant la journée, car «ces substances persistent longtemps dans l’organisme. Il faut par exemple quatre à cinq heures en moyenne pour que la moitié de la caféine consommée soit éliminée.» Mieux vaut aussi limiter la consommation d’alcool et de cannabis.
Autre habitude à combattre: celle qui consiste à s’allonger sur son lit pendant toute la soirée, d’y faire ses devoirs ou de rester les yeux rivés sur son téléphone. «Le lit n’est pas un lieu de vie, précise la spécialiste du CIRS. Il faut le réserver pour dormir».
Tout en ayant conscience que «les ados ont du mal à écouter les conseils des adultes», la somnologue insiste sur le rôle des parents qui doivent «fixer un cadre à leurs enfants. Des études montrent que quand on leur répète régulièrement les consignes, cela a un impact positif sur leur sommeil.»
Gare aussi aux «fausses croyances», comme celle qui consiste à se persuader que faute de bien dormir, on ratera l’évaluation le lendemain. Cette peur empêche de plonger dans le sommeil et engendre de l’anxiété qui, à son tour, retarde l’endormissement. Un vrai cercle vicieux.
Une expérimentation au Gymnase de Renens
Les médecins du CIRS ont eu l’occasion d’évaluer, sur le terrain, les bienfaits de ces mesures d’hygiène du sommeil. À l’initiative d’un professeur de philosophie-psychologie du Gymnase de Renens, Virginie Bayon et ses collègues ont proposé en 2021 à une trentaine d’élèves âgés de 15-16 ans de participer à une expérimentation.
Pendant une semaine, les ados ne devaient rien changer à leurs habitudes. «Nous avons simplement enregistré leur sommeil à l’aide d’une montre dotée d’un actimètre (dispositif analysant les mouvements du corps quand on dort) et nous leur avons demandé de tenir un agenda de leur sommeil.» Les participants et participantes devaient y consigner leurs heures de coucher et de lever, leurs siestes, leurs moments de fatigue, etc. et évaluer la qualité de leur sommeil et de leur éveil.
Puis, pendant la deuxième semaine, les gymnasiens et gymnasiennes devaient respecter quatre consignes: ne pas s’exposer aux écrans une heure avant d’aller se coucher; essayer de dormir au moins neuf heures par nuit; ne pas consommer de boisson stimulante après 15h; ne pas faire de sieste dans la journée.
Les résultats ont été «globalement positifs, constate la somnologue. Au cours de la deuxième semaine, les jeunes ont dormi en moyenne une heure de plus que d’habitude. Dans la journée, la plupart ressentaient moins de fatigue et étaient moins sujets à la somnolence.»
On s’en doute, le plus difficile pour les ados qui ont participé à l’expérimentation a été «d’éteindre leurs écrans. Mais pour celles et ceux qui ont réussi à le faire, cela a porté ses fruits. Ces jeunes ont pu profiter de leur soirée pour faire autre chose: lire, écouter de la musique, etc. Et même pour discuter à nouveau avec les membres de leurs familles. Ils ont retrouvé du temps d’échange.»
Amélioration de la mémoire
En outre, des tests cognitifs réalisés par le professeur de philosophie-psychologie du Gymnase de Renens ont mis en évidence «une légère amélioration de la mémoire et de l’apprentissage». Virginie Bayon ne se fait pas d’illusions: les ados «auront beaucoup de mal à tenir ce rythme longtemps et surtout à lâcher leurs écrans. Mais tenter l’expérience pendant une période limitée aura au moins permis de les sensibiliser aux bienfaits du sommeil.»
Pour allonger les nuits, on peut se coucher plus tôt, mais aussi se lever plus tard. Depuis plusieurs années, les médecins du CIRS tentent de convaincre les Autorités que «faire commencer l’école de plus en plus tôt aux élèves quand ils et elles avancent en âge est anti-physiologique, souligne Virginie Bayon. Il faudrait décaler l’entrée en classe à 8h30, tout en raccourcissant les intervalles entre les cours et la pause de midi pour ne pas allonger les journées.» Une étude menée aux États-Unis a montré que cela était bénéfique pour les ados «qui dorment plus, sans pour autant changer leur heure de coucher».
Dans ce domaine, l’école privée Ardévaz à Sion a fait œuvre de pionnière. En 2020, en pleine crise du Covid-19, la direction a décidé de fixer le début des cours à 8h55, afin d’éviter aux élèves de prendre les transports publics aux heures de pointe. Cette mesure, qui était au départ temporaire, a remporté un tel succès qu’elle a été adoptée.
La ville de Lausanne a quant à elle lancé un projet pilote. À la rentrée scolaire 2025, le collège de Béthusy a décalé d’une demi-heure le début des cours: les élèves de 10 à 15 ans commencent à 8h15, au lieu de 7h45 auparavant. Ce n’est encore qu’un test et l’avenir dira si ce décalage horaire deviendra définitif, voire s’il pourra être étendu à d’autres collèges et gymnases lausannois. Les prochaines générations d’élèves ne pourraient que se réjouir de ce temps de sommeil gagné.

