Les 7 secrets de Notre-Dame

Vous croyez connaître chaque pierre de la cathédrale ? Méfiance: même à ses habitués, l’édifice religieux consacré en 1275 réserve encore quelques mystères. Suite de l’article: « Dans la cathédrale, les animaux rejouent la lutte du Bien et du Mal ».

Des architectes statufiés? Les surprises se nichent dans différents lieux du bâtiment. Un choix de faits peu connus proposé par la pasteure Jocelyne Müller, et les historiens de l’art Brigitte Pradervand (chargée de cours à l’UNIL), Gaëtan Cassina (professeur honoraire) et Dave Lüthi (professeur assistant).

© DR
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1) Un amour codé?

En 1509, Aymon de Montfalcon fait réaliser des stalles de bois pour la chapelle de la tour Nord (fermée au public, mais visible à travers une grille). Au sommet de la chaire de gauche, un «A» et un «M» sont mêlés. Les initiales de l’évêque? Jocelyne Müller avance une hypothèse plus romantique. Ce personnage, également poète courtois, a composé vers 1475 Le Procès du banni à jamais du Jardin d’Amour contre la volonté de sa Dame. On y lit: «Quant ma dame vit les chemins /Ou nous estions et les termes, /Soubz une treille de jasmins /S’assist plorant a chaudes lermes. /Puis en motz piteux, non pas fermes, /Print une lectre de son nom, /Et dist: «Mectez la en voz armes, /Mon ami, je vous en fais don». /Lors je luy ay ma foy promise /Que je feroye voulentiers /Et que la lectre seroit mise /A Monfalcon de tous quartiers. /Et, pour monstrer amour entiers, /Une des miennes ay esrachee /Laquelle est, par subtilz ouvriers, /Avec la sienne entrelassee.» M serait l’initiale d’un prénom féminin… Mais lequel?

Brigitte Pradervand ne se risque pas si loin. Mais elle indique que les recherches au Château Saint-Maire, que fit réaménager Aymon de Montfalcon, permettront peut-être d’en apprendre davantage sur la vie privée de l’évêque.

@ Jeremy Bierer
@ Jeremy Bierer

2) Roi et architecte

Le portail Montfalcon, dont la construction est entamée en 1515, reste inachevé puis se dégrade. Dans le cadre de la restauration de la cathédrale, à la fin du XIXe siècle, il est décidé de le reconstruire sur la base du moulage des éléments originaux et d’ajouter des parties modernes. Le sculpteur Raphaël Lugeon réalise des statues de personnages bibliques dans le style gothique flamboyant. Posé en 1909 à droite de l’entrée, le roi David possède les traits d’Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879), l’architecte qui a conduit les travaux de restauration. L’artiste se représente en Malachie, tout à gauche du portail.

La revue Monuments vaudois proposera dans son édition de novembre un article de Claire Huguenin au sujet des portraits du portail Montfalcon.

© DR
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3) Route barrée

Un fait peu connu, mis en évidence par Marcel Grandjean en 1975. Avant 1504, un passage couvert séparait la partie ouest de la cathédrale (où se trouvent les tours) du reste du bâtiment, au niveau de la «grande travée». On suppose que des artisans ou des dépôts occupaient la partie occidentale. Cette configuration unique en Europe a été modifiée par Aymon de Montfalcon, qui fait condamner la route en fermant les arcades au nord et au sud, tout en ouvrant les murs à l’est. L’édifice a ainsi gagné 20 mètres. Si la cathédrale avait alors possédé une belle porte, celle-ci a disparu dans l’opération. L’évêque a-t-il pensé aux historiens du futur? En tout cas,  «il a signé son œuvre: ses armoiries sont bien visibles dans plusieurs médaillons», note Gaëtan Cassina.

© Jocelyne Müller
© Jocelyne Müller

4) Discret, Dresco domine

Très haut perché, un mascaron de style médiéval représente… Jean-Pierre Dresco, architecte cantonal en fonction de 1974 à 1998, à qui cette sculpture rend hommage. «Grâce à lui, les chantiers de restauration sont devenus interdisciplinaires. Tous les professionnels travaillent de concert. De plus, il a mis en place un code déontologique qui s’est imposé dès lors», note Dave Lüthi.

Dans le même esprit, mais cette fois à l’intérieur du bâtiment, les visiteurs qui possèdent de bons yeux peuvent apercevoir deux bustes médiévaux masculins, installés en hauteur de chaque côté de la croisée du transept (au nord et au sud). Il pourrait s’agir de représentations de maîtres d’œuvre de la cathédrale, selon le récent ouvrage La cathédrale Notre-Dame de Lausanne.

© Jeremy Bierer
© Jeremy Bierer

5) Où sont les anges ?

Le sarcophage du riche et puissant Othon Ier de Grandson (vers 1228–1328) se trouve tout près du maître-autel. Dave Lüthi émet l’hypothèse que ce diplomate a fait exécuter cette œuvre importante, qui évoque les tombeaux royaux d’Ile-de-France, de son vivant, vers 1300. Une réalisation internationale: le marbre provient de Carrare et le dais transparent est de style français ou anglais. Pour l’éternité, la tête du créancier des comtes de Savoie repose sur un coussin de pierre. De chaque côté de ce dernier, on aperçoit une paire de mains. S’agit-il de l’évocation d’anges emmenant le défunt vers le Ciel? Les deux lions qui émergent des épaules constituent une étrangeté sans autre exemple. Enfin, lorsque le caveau situé sous le gisant a été percé, le corps d’Othon n’y était pas (ou plus).

© Claude Bornand
© Claude Bornand

6) La place du mort

En 1880, deux souliers sont découverts lors de l’ouverture d’une tombe d’évêque identifiée alors comme celle de Roger de Vico Pisano (mort en 1220). La trouvaille fit sensation à l’époque. Mais en 2003, un examen scientifique mène à la conclusion que ces pièces ne sauraient dater d’avant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ces répliques de sandales médiévales faites par un faussaire talentueux ont bien été portées par un défunt, mais elles présentent toutes les deux des traces d’usure propres aux chaussures portées… au pied droit. L’hypothèse d’une blague macabre est à écarter, au vu de la complexité de sa réalisation. Le mystère reste entier.
A lire: Destins de pierre. Sous la dir. de Claire Huguenin, Gaëtan Cassina, Dave Lüthi. Cahiers d’archéologie romande 104 (2006).

© José Staub / Strates
© José Staub / Strates

7) Vitraux invisibles

Vainqueur d’un concours en 1928, Alexandre Cingria se voit confier la réalisation des huit fenêtres au sommet de la tour-lanterne. Cet artiste catholique, genevois et réactionnaire peut être considéré comme l’un des rénovateurs de l’art religieux en Suisse romande. Las! Après bien des péripéties, la Commission des vitraux de la cathédrale interrompt le projet en 1932. Seules deux verrières, l’une représentant Noé, l’autre Abraham, sont créées. Pour Dave Lüthi, c’est la confession de l’artiste qui a posé problème. Car ses œuvres (jeu des couleurs et des textures) sont de toute beauté, malgré leur emplacement ingrat, très en hauteur. Avec leur bleu qui évoque Chartres, les belles réalisations du protestant Louis Rivier figurent en bien meilleure place dans le chœur et le transept nord.

 

Informations complémentaires

Rencontre avec Jocelyne Müller, pasteure

Entretien avec Brigitte Pradervand, historienne de l’art

Rencontre avec Gaëtan Cassina, professeur honoraire

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