En complément à l’article paru dans Allez savoir ! 56 de janvier 2014, les commentaires de Sylvain Métille, chargé de cours à l’Institut de criminologie et de droit pénal, et avocat spécialiste des nouvelles technologies. Son blog : http://ntdroit.wordpress.com.
Il est très facile d’acquérir un drone, de l’équiper d’une caméra et de le faire voler. Il suffit que l’appareil ne pèse pas plus de 30 kilos, de le garder tout le temps à vue et de contracter une assurance RC pour être en règle avec l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC). Certains particuliers pourraient en conclure qu’il s’agit d’un jouet.
Cette apparente simplicité provoque un malentendu, car la protection des données n’est abordée que de manière marginale dans les consignes de l’OFAC. Or, loin des jeux d’enfants, les drones soulèvent, au minimum, les mêmes questions que les caméras de vidéosurveillance. Le bon sens nous fait comprendre que ces dernières opèrent pour des raisons de sécurité. De plus, il est facile de trouver le nom des sociétés qui les emploient. Par contre, il est plus compliqué de déterminer pourquoi un drone vous survole, s’il vous filme et dans quel but.
Plaçons-nous un instant dans les baskets d’un pilote de drone, en Suisse. Si la qualité des images prises sur le domaine public n’est pas bonne, ou que personne n’y apparaît, il n’y a aucun souci. Par contre, si des gens sont identifiables, si l’on voit des plaques d’immatriculation, s’il est par exemple possible de savoir que telle personne était présente à un lieu donné à un moment précis, un consentement libre et éclairé du sujet filmé est nécessaire. Celui-ci doit pouvoir refuser sans subir de préjudice. Ces aspects sont précisés dans la Loi sur la protection des données (LPD).
Traitement de données
Avant d’aller plus loin, il faut définir ce qu’est un traitement de données personnelles, une notion large en droit suisse. Dans le cas des drones, prendre des images, les conserver, les stocker et les diffuser constituent quatre traitements de données différents.
Pour répondre à une question fréquente, mettre à disposition des vidéos réalisées depuis le ciel sur YouTube ne change rien à la violation de la loi, mais plutôt à la portée de l’atteinte. Le fait que les images soient stockées aux Etats-Unis, où la réglementation concernant la protection de la personnalité n’est pas comparable à celle qui existe en Suisse, constitue même un facteur plutôt négatif.
Motif justificatif
Pour pouvoir réaliser une atteinte à la personnalité en traitement de données, un motif justificatif, comme une obligation légale, est nécessaire. Ce genre de cas arrive très rarement pour un privé. Un simple but de divertissement est clairement insuffisant.
Toutefois, un intérêt prépondérant peut être recevable. Par exemple, le cas de géologues qui filment un quartier d’habitation pour surveiller un éboulement potentiel. Mais même dans ce cas, il conviendrait de couper les images où l’on trouve des personnes identifiables : typiquement, lors du décollage et de l’atterrissage. Une pesée d’intérêts entre l’atteinte réalisée et le but poursuivi est à faire : il n’existe pas de réponse tout faite.
Il n’y a pas que la LPD à prendre en compte, mais également le Code pénal. Imaginons que le pilote survole et filme le jardin clôturé de son voisin, ou l’intérieur d’appartements à travers les fenêtres d’un immeuble. Il entre alors dans le domaine secret d’autres personnes. C’est à dire dans l’espace qu’elles souhaitent garder pour elles. Or, l’article 179 quater du Code pénal interdit la prise de vue dans le domaine secret.
Droit d’accès
Plaçons-nous maintenant du côté d’un badaud qui se promène dans son quartier, et qui est survolée par un drone. L’article 8 de la LPD sur le droit d’accès lui permet de demander – sans conditions ni justification – à voir les éventuelles images tournées par l’appareil et en exiger la suppression. Il faut tout de même se sentir atteint dans sa personnalité pour en arriver là.
Notons au passage que grâce à cette disposition, le possesseur d’une carte de fidélité peut également obtenir gratuitement les informations récoltées sur ses habitudes d’achat, auprès du supermarché concerné.
Un permis ?
Le fait que des drones soient accessibles aux particuliers est encore une nouveauté. Nous vivons une « phase de test » et les opérateurs de drones n’ont en général pas de mauvaises intentions. C’est le moment de rendre ce public attentif à la protection de la personnalité. Par exemple, en mettant en place un « permis », avec l’obligation d’enregistrer les appareils lors de l’achat. L’autorité pourrait ainsi rappeler leurs devoirs aux utilisateurs.
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