Allez hop! Des séries de conseils pour bien se nourrir

En Suisse, un cinquième de la population est membre d’un club de fitness. Selon un travail de bachelor, en matière de nutrition, les coaches donnent souvent de mauvais conseils. Alors, que faut-il manger lorsque l’on pratique le fitness ? Réponses d’experts.

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Cross-fit, musculation, cardio boxing, le fitness, c’est tendance. Selon Sport Suisse 2020, le rapport de l’Office fédéral du sport sur l’activité sportive des habitants du pays, environ un cinquième de la population est membre d’un club de fitness. Et à voir les fitness girls telles Kayla Itsines, Jen Selter ou Michelle Lewin suivies par des dizaines de millions d’abonnés sur Instagram, pas de doute, le succès du «fit» est planétaire. Les pendants masculins de ces jeunes «sexy bombées» comptent, eux aussi, des millions de followers; ils donnent généralement dans la musculation. La routine food de ces beaux et belles gosses occupe bien sûr une place importante. Tout le monde y va de ses recettes miracles. Le but: prendre du muscle pour les gars, s’affiner tout en musclant certaines parties de leur corps pour les filles. L’ennemi numéro un de ces adeptes de la contraction musculaire? La masse grasse, évidemment. 

Plus près de chez nous, les moniteurs de fitness dispensent eux aussi leurs conseils en matière de nutrition. Dans un travail de bachelor effectué à la Haute École de santé de Genève (1), deux étudiantes ont sélectionné 38 coaches francophones, auteurs de 128 propos sur la nutrition, destinés aux sportifs amateurs, dans l’un des médias suivants: Twitter, YouTube, Facebook, site de Google et deux magazines. Elles ont renoncé à des interviews, pour éviter que les personnes questionnées racontent ce qu’elles pensaient que l’on attendait d’elles.

Mauvais conseils de coaches

Résultat de l’étude: les coaches recommandent les compléments alimentaires dans 95% des propos récoltés, une alimentation hypoglucidique dans 37% et une alimentation hyper protéinée dans 60%. Quant aux régimes restrictifs en termes de quantité ou de qualité, ils sont recommandés par 74% des coaches. La majorité des recommandations sont non conformes à celles de la Société Suisse de Nutrition et aux Guidelines de l’American College of Sports Medicine. Oups… Mais comment expliquer autant d’incompétence?

Patricia Soave. Responsable des formations en fitness et en wellness à l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

Il faut savoir qu’actuellement, le titre de «coach» n’est pas protégé. Responsable des formations fitness et wellness à l’Université de Lausanne, Patricia Soave, qui compte plus de trente-cinq ans d’expérience dans le domaine, déplore cette absence de réglementation. «Il est par exemple possible de devenir moniteur de cross-fit en un week-end, sans avoir aucune formation ni de base sportive au préalable. Il est même imaginable d’ouvrir une structure de fitness après deux jours de formation.» Pour ce qui est de l’alimentation, les Sports universitaires Lausanne (SUL) proposent une formation comprenant trois modules intitulés: bases de la nutrition – avec un détour par des notions de biochimie –, nutrition en santé et performance sportive. Les futurs moniteurs de fitness doivent également suivre une personne, dans l’analyse de ses habitudes alimentaires, durant trois mois, et avec l’expertise de deux professeurs. 

S’offrir un bilan

Au fait, quels sont les conseils de cette professionnelle du fitness en matière de nutrition?

«Ce que l’on préconise dans les formations, c’est de faire des bilans, pour le sport comme pour la nutrition. Un bilan est quelque chose de sérieux, une base scientifique sur laquelle s’appuyer. Je dirais qu’il faudrait aller chez un médecin spécialisé en micronutrition, pour faire des analyses approfondies, afin de voir quelles sont les réelles carences dont pourrait souffrir la personne.» Un conseil qui n’est tout de même pas à la portée de toutes les bourses, surtout celles des plus jeunes, non? «C’est vrai que c’est un budget, mais finalement, les jeunes, lorsqu’ils ne vivent pas chez papa-maman, n’ont souvent pas une alimentation équilibrée, ni des repas réguliers et variés. Ce sont eux qui auraient le plus besoin d’un tel bilan. Ils pourraient se le faire offrir comme cadeau de Noël par exemple.»

En attendant Noël et surtout la réouverture des fitness fermés pour cause de Covid-19, nous sommes allés à la rencontre de Robin Rosset. Enseignant, notamment à la Haute École de santé de Genève, il a fait son doctorat ès sciences de la vie à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’intitulé de sa thèse: Métabolisme du fructose et exercice physique: applications et limitations physiologiques. Triathlète et marathonien amateur, il connaît le domaine de la nutrition du sport sur le bout des doigts. Ses conseils en huit points:

Que manger pour bouger?

Ce sont les lipides et surtout les glucides qui jouent un rôle énergétique prépondérant lors de l’exercice physique. L’énergie obtenue à partir de protéines est faible, car celles-ci sont dirigées vers le renouvellement de notre organisme. Les carburants des muscles actifs sont donc les glucides et les lipides. Les muscles ont en effet besoin de ces sources d’énergie-là pour se contracter. Robin Rosset détaille : « On estime qu’un effort d’endurance de deux heures, à intensité modérée, aboutit à une utilisation équilibrée entre glucides et lipides, tandis qu’une activité plus soutenue augmente exponentiellement la part de glucides au détriment des lipides. Les réserves de glucides de notre organisme étant limitées, ceci permet d’expliquer le choix de nombreux sportifs ciblant les sources glucidiques avant un entraînement ou une compétition. »

Robin Rosset. Enseignant à la Haute École de santé de Genève, docteur en biologie de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

Trop de glucides,  source de graisse?

«C’est un sujet controversé et de nombreuses études sont menées concernant le fructose consommé en excès par des individus sédentaires. Chez les sportifs, la conversion des sucres en graisse est cependant un phénomène marginal.» La raison: les glucides d’un repas sont en priorité stockés sous forme de glycogène dans le foie et les muscles, et la conversion en graisse, au rendement très modeste, n’est dès lors pas prioritaire. La répétition des entraînements fait que les réserves de glycogènes de l’organisme sont fréquemment utilisées et ne sont donc, en principe, jamais saturées, ce qui devrait suffire à rassurer les obsédés du bourrelet. «De même, notre corps a plusieurs mécanismes de compensation. Face à des apports glucidiques importants, un phénomène appelé “thermogenèse postprandiale”explique une plus grande dépense d’énergie au repos et lors du prochain entraînement.»

La bonne dose de protéines

Les gens qui pratiquent le fitness le savent, les protéines sont importantes pour «prendre du muscle.» Pour la petite histoire, Robin Rosset raconte que les premiers liens entre nutrition et sport datent de l’Antiquité. «Les athlètes grecs suivaient déjà des régimes spécifiques. On rapporte que le lutteur Milon de Crotone ingérait 9 kilos de viande, 9 autres de pain et buvait 8,5 litres de vin par jour.»

Et pour les adeptes de fitness qui ne viseraient pas une pareille force herculéenne, quelle est la dose idéale de protéines? «La dose recommandée pour des individus sédentaires est de 0,8 à 1,3 gramme de protéines par kilo de poids corporel et par jour». Selon ces valeurs, une personne de 80 kilos devrait ingérer environ 80 grammes de protéines par jour. Cela ne représente pas un steak de 80 grammes, car la viande est principalement composée d’eau. «La masse de protéines d’un steak correspond au quart de son poids.»

Pour les sportifs, tous sports confondus, la recommandation est de 1,3 à 1,8 gramme par kilo de poids corporel, voire un peu plus. «On a longtemps pensé qu’un excès protéique pouvait endommager les reins. Or, il apparaît aujourd’hui que les risques sont assez faibles sans pathologie existante, jusqu’à un peu plus de 2 grammes de protéines par kilo par jour.» À ne pas oublier: nos alimentations occidentales sont souvent déjà suffisamment riches en protéines.

Se muscler, comment ça marche?

«Les protéines que l’on mange sont des ensembles d’acides aminés qui vont être absorbés à travers la paroi intestinale. Ces acides aminés se retrouvent dans la circulation sanguine et sont transportés à l’intérieur de nos muscles où ils servent de précurseurs pour la synthèse de protéines», explique Robin Rosset. Et clairement, le fait d’en avoir davantage dans la circulation sanguine, et donc d’en avoir mangé plus à la base, favorise la prise de masse musculaire. « C’est une question de balance entre synthèse anabolique de protéines musculaires et dégradation catabolique de celles-ci. La prise de masse musculaire s’opère lorsque l’anabolisme l’emporte dans la durée sur le catabolisme.»

Quid des protéines en poudre ?

Poudres ou produits naturels, que choisir? Robin Rosset ne diabolise pas les protéines à consommer sous forme de poudres. À ses yeux, ces substituts de repas protéinés répondent à un besoin pratique: faciles à consommer, ils permettent de répartir les apports de protéines sur la journée. Leur contenu? «Ce sont des répliques de ce que l’on trouve dans les produits laitiers, comme les protéines de lactosérum, whey protein en anglais. Les études qui les ont comparées avec du lait n’ont, en général, observé aucune différence d’effets musculaires.» Il tient encore à rappeler que certains de ces produits peuvent contenir des substances non précisées, comme des produits dopants. C’est pour cette raison qu’il privilégie les aliments naturels. «Celui qui vise une prise de masse musculaire n’y arrivera pas forcément mieux avec des poudres, mais elles lui éviteront le temps de préparation de repas hyperprotéinés.»

Et les protéines végétales?

On l’oublie parfois, mais les aliments d’origine végétale contiennent aussi des protéines. Cent grammes de pain, de pâtes ou d’autres produits à base de blé contiennent 13 grammes de protéines. D’autres végétaux comme les lentilles en présentent des quantités importantes. Le record absolu est détenu par la spiruline qui compte 65 grammes pour 100g. «Il est tout à fait possible d’obtenir ses protéines par des sources exclusivement végétales, comme le font les athlètes végétariens.» Cependant, la qualité des protéines est importante: la composition en acides aminés dépend des sources. Les protéines animales sont les plus proches de celles de notre corps, elles sont donc en règle générale plus adaptées. «Un point important concerne les acides aminés essentiels: certains, comme la lysine, la méthionine et surtout la leucine, ne sont pas présents en quantités suffisantes dans toutes les plantes et sont connus pour avoir des effets favorisant la synthèse de protéines musculaires.» Les végétariens stricts devraient donc se renseigner sur les sources et surveiller leur statut en fer et en vitamines B12.

Les protéines avant ou après l’effort?

«L’ingestion de protéines après l’effort est souvent considérée comme particulièrement bénéfique à la synthèse de protéines musculaires. Quelques études ont cependant aussi montré que le gain de masse musculaire peut être augmenté en cas de prise de protéines avant ou pendant l’effort.»

De fait, plutôt que de conseiller un timing particulier, les professionnels recommandent plutôt des apports protéiques réguliers. «La synthèse de protéines musculaire est à considérer comme un processus actif durant des heures. Il semble surtout important de fournir des précurseurs tout au long de la journée. Des apports de 0,3 gramme par kilo corporel toutes les quatre heures semblent optimaux.»

Le secret d’un corps sculpté

Robin Rosset est catégorique: le secret d’un corps transformé par l’activité physique, outre des aspects génétiques, c’est surtout la capacité à maintenir dans la durée, soit plusieurs années, un entraînement physique soutenu. Cela suppose une alimentation suffisante. Les régimes trop restrictifs sont souvent la cause d’arrêts; ils font également courir des risques de blessures ou de désordres psychologiques. «Je conseille donc une alimentation équilibrée et adaptée tant en énergie qu’en quantité de protéines et glucides, propre à laisser l’entraînement régulier dessiner une nouvelle composition corporelle.» Cela se fait naturellement et ceux qui pratiquent le fitness loisir ont plus intérêt à cibler la qualité de leur entraînement qu’à trop surveiller le contenu de leur assiette. «Après plusieurs années d’activité soutenue, des changements nutritionnels peuvent être envisagés, dans le cadre d’une recherche de gains marginaux, en recherchant alors les conseils d’un(e) professionnel(le) en diététique diplômé(e).»

1) Discours nutritionnel des coaches de fitness francophones à travers les médias, en regard des recommandations. Par Florine Ramponi et Lucy Schneider. Haute École de santé Genève (2015).

Trois « fit-influenceuses » sous la loupe de Robin Rosset

Kayla Itsines

Alimentation cétogénique 

Les plans alimentaires de Michelle Lewin et Jen Selter: minimiser les glucides. Pas de pain, pâtes et autres sources de glucides complexes. L’énergie est fournie sous forme de lipides et protéines issus de produits animaux. Dans ce cas, l’absence de glucides sera problématique pour les efforts à haute intensité et fera entrer le corps en cétose, via une fonte musculaire non désirée en cas d’apports insuffisants.

Alimentation hypolipidique

Kayla Itsines propose un plan végétarien qui minimise les lipides. L’énergie provient de glucides et protéines végétales. Il n’y a pas de cétose ni de limite à des exercices de haute intensité, le corps disposant d’assez de glucides, sans pour autant exclure les risques de fonte musculaire si les apports énergétiques sont insuffisants. Alors, qui a raison? Robin Rosset ne tranche pas. «La polémique sur les bienfaits d’alimentations qui minimisent les glucides ou les lipides n’est pas résolue, les unes et les autres agissant sur différents paramètres métaboliques.» En revanche, c’est bien la balance énergétique et la quantité de protéines qui vont influencer la masse musculaire. «Il est surtout à craindre que de tels plans soient hypocaloriques. Or la priorité est d’apporter l’énergie et les précurseurs nécessaires à la synthèse protéique. Ces apports étant assurés, ce sera ensuite une question d’assiduité.»

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