J.-M. Barreau – Existe-t-il une ou des souffrance·s spirituelle·s ? – 2018

Pour citer cet article : Barreau, J.-M. (2018). «Existe-t-il une ou des souffrance·s spirituelles?», Les Cahiers de l’ILTP, mis en ligne en mai 2018 : 26 pages. Disponible en libre accès à l’adresse: https://wp.unil.ch/lescahiersiltp/2018/05/jm-barreau-exist…irituelles -2018

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Existe-t-il une ou des souffrance·s spirituelle·s?

Jean-Marc Barreau[1]

 

De prime abord, poser la question «des souffrances spirituelles» semble représenter une perte de temps… Premièrement, parce que la réalité spirituelle se rencontre malheureusement assez régulièrement en périphérie des problématiques cliniques traitées… Deuxièmement, parce qu’a priori, même si ces souffrances spirituelles s’avèrent être potentiellement existantes pour lui, le clinicien les récuse assez aisément dans un aveu d’impuissance: «Pour ce type de maux, je ne puis rien faire…» Pourtant, à l’opposé de ce positionnement quelque peu facile, la praxie interpelle l’accompagnateur spirituel[2]. En effet, l’accompagnement spirituel du patient renvoie indubitablement à cette question de fond : «Existe-t-il une ou des souffrances qui, spécifiquement, échapperaient au domaine physique et psychique du patient?» Souffrances spirituelles qui, une fois identifiées, pourraient être soulagées?

Au Canada, le 10 décembre 2015, la province du Québec se dotait d’une loi qui légalisait l’euthanasie et qu’elle nomma l’Aide Médicale à Mourir (AMM). Cette loi offre au minima deux particularités. Dans un premier temps, le texte enchâsse et encadre «la sédation palliative continue». Dans un deuxième temps (section II & 26), le texte précise les six conditions requises permettant de faire bénéficier un patient de l’AMM, considérées comme un «soin de fin de vie». Au-delà des problèmes épistémologiques que la loi soulève sur le plan médical, peut-on considérer l’AMM comme un soin de fin de vie? Par ailleurs, peut-on considérer ce dit «soin de fin de vie» comme étant compatible avec la philosophie des soins palliatifs?, retenons ici la sixième et dernière condition précisée par la loi: «Il est nécessaire, publie-t-elle, que la personne éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables[3].» Notons bien qu’en aucun moment, il n’y est explicitement fait allusion à des «souffrances d’ordre spirituel?». C’est donc là que se situe notre sujet de recherche : «Existe-t-il, oui ou non, des souffrances spirituelles que l’accompagnateur spirituel puisse nommer?» Si tel est le cas, au lieu de les confondre avec des souffrances psychiques ou somatiques, ou sinon de les occulter, peut-on penser pouvoir les soulager?

Pour conduire une telle recherche, nous avons besoin de référents philosophiques solides qui nous permettent de définir quelle «spiritualité» nous reconnaissons chez le patient[4]. Il s’agit fondamentalement d’une spiritualité que nous nommons «séculière». Spiritualité qui nous permettra de suggérer une taxonomie de ces souffrances spirituelles qui touchent la personne dite en fin de vie[5]. Pour ce faire, nous reprendrons certains concepts développés dans notre dernier ouvrage Soins palliatifs. Accompagner pour vivre, mais plus encore…

Et pour des raisons didactiques, nous appuierons notre réflexion autour d’un fait vécu offert en exorde du premier chapitre de cet exposé[6]. Tout simplement, parce que le réel existant s’y découvre de façon lumineuse, parlante, riche et simple à la fois…

1.    Une anthropologie philosophique

39 ans et 3 mois… pour être précis. C’est en tout cas ce que précise le dossier médical de cette presque quadragénaire[7]. Cancer du sein à 37 ans. Récidive au cerveau… Ce que le dossier ne souligne pas, c’est que la trajectoire maligne de ce crabe s’est dessinée durant la période où Virginie était en pleine rédaction de thèse de doctorat. Si bien que lors de sa soutenance brillamment et héroïquement soutenue, tous sont au courant. L’ensemble du jury. Les amis. La famille. Même Peter.

Quand Virginie et Peter se sont présentés à moi aux soins palliatifs, j’ai tout de suite pensé à une relation amoureuse de plus de vingt ans : connivence, regards empreints de tendresse, silence et présence. Dans cette relation, il y a pourtant un quelque chose qui m’invite à la retenue… Une sorte de mystère. Une «terre sacrée…». Si la chambre est marquée par le drame, elle est aussi et surtout transfigurée par la présence, et quelle présence! Je n’ose y pénétrer. Virginie est présente à Peter. Peter à Virginie. Présence aimante… Réciprocité de présence! … Difficile d’imaginer cette autre présence sournoise, celle du crabe malfaisant venu squatter en plein centre le lobe frontal du cerveau de Virginie.

Ce sera donc au gré de nos régulières rencontres que Peter me soufflera leur histoire. Avec pudeur et retenue. Avec réalisme aussi! Lui, spécialiste comme elle de pédagogie numérique, avait été sollicité par l’Université pour le jury de thèse de Virginie. Tout avait commencé là!…

Échanges de lumière…

Il faudra l’obtention de sa thèse et quelques jours de repos pour que Virginie soit invitée par ce talentueux professeur de l’Université MC Gill. Peter sait… Et pourtant ils ne se quitteront plus jamais… Enveloppée d’un manteau de laine déjà trop ample pour elle, c’est dans un pub que Virginie se sait attendue… Peter a jeté la cravate et savoure posément la bière de ses ancêtres. Chaque seconde est habitée. Chaque geste est habité, pensé, mesuré. «Bonjour Peter…»; «Bonsoir Virginie…» Virginie s’assied… Peter l’observe… «Peter, tu connais le diagnostic médical…»; «Je sais Virginie… Je sais. Je sais tout cela… Je veux juste être là. Un mois. Deux mois. Une semaine, un jour, une heure, une minute, un souffle…»

Je n’ai jamais pu parler longtemps avec Virginie. Parce qu’il y avait Peter… Mais aussi parce que je pensais n’avoir rien à dire. Dès que je m’y essayais, ma bouche se fermait et je restais coi, simplement là. La souffrance de Virginie était palpable. Une souffrance à multiples facettes… Physique, bien que le corps médical ait fait un excellent travail. Psychologique, bien que la psychologue soit particulièrement compétente. Sociale, bien que la travailleuse sociale n’ait pas eu besoin d’intervenir. Spirituelle, probablement… En effet, Virginie ne peut supporter l’idée de la séparation. D’un côté, elle sait que la mort s’invite inéluctablement dans cette chambre devenue trop vaste pour le déploiement de son corps si frêle, si malingre. Par ailleurs, elle vit l’expérience quasi métaphysique que l’amour qu’elle partage avec Peter transcende déjà sa mort. Ce quasi-dualisme me renvoie à cet ouvrage de Simone Weil, La personne et le sacré, qui, s’inspirant du Timée de Platon, use de l’image de l’arbre à double racine: «Seule la lumière qui tombe continuellement du ciel fournit à un arbre l’énergie qui enfouit profondément dans la terre ses puissantes racines. L’arbre est en réalité enraciné dans le ciel[8].» La terre : la mort. L’enracinement céleste : l’amour. Et puis une question lancinante, presque obsessive taraude Virginie: «Si Dieu existe, comment peut-il déverser sur elle toutes les foudres de sa colère?… Sur elle, la chercheuse. Sur elle, l’amoureuse. Sur elle, la philanthrope. Sur elle…, si délicate et si discrète…» «Si Dieu existe, comment se fait-il que je sois devenue son bouc émissaire[9]? Et s’il n’existait pas? Mais alors: Je pars vers où?» Ce sont toutes ces questions poignantes et d’autres encore que Virginie porte en elle et qui la traversent comme des flèches. Flèches furtives, trop furtives pour s’y arrêter. Promptes, trop promptes pour les contrôler, pour les apaiser… Décidément, définitivement, Virginie souffre spirituellement!

La dernière fois que je me suis présenté à elle, Virginie ne pouvait plus ouvrir les yeux et encore moins parler. Bouffi par l’évolution drastique de la maladie, son visage était méconnaissable. Quel sentiment d’impuissance éprouvais-je !… Profondément réceptif à ce qui se vivait, je veillais. Silencieusement, simplement, je veillais…! Peter entra et m’aperçut. J’étais figé… Dans un silence ineffable, je le vis s’allonger spontanément auprès de Virginie. D’un bon, je pris le chemin pour sortir, mais c’est de sa main qu’il me pria de rester… Ce qu’il me fut donné de voir alors, pourrai-je jamais le relater? Comment le dire? Une espèce de liturgie apophatique… Avec juste ce corps agonisant accueillant tous les gestes gracieux proposés par Peter. Chaque caresse déposée sur ses cheveux entrelacés semblait commander la respiration de Virginie. Et chaque respiration de Virginie dans son agonie semblait supplier la main de Peter. Image prodigieuse que cette main gardienne de vie! Cette main pour laquelle elle expira, en s’échappant doucement des doigts délicats de Peter…

1.1.  Une anthropologie à cœur ouvert

L’expression «anthropologie à cœur ouvert[10]” utilisée dans notre ouvrage Soins palliatifs. Accompagner pour vivre peut paraître naïve. Elle renvoie précisément à la nécessité de penser une anthropologie philosophique qui respecte profondément toutes les aspirations de chaque patient accompagné. Une anthropologie holistique. Pour dire les choses très simplement, une anthropologie qui prenne en compte toute la personne, corps et âme. Plus avant, nous charpenterons cette affirmation. Mais présentement, nous voulons attirer l’attention du lecteur sur deux réalités, toutes les deux limitatives de cette anthropologie «… à cœur ouvert”.

La première renvoie à la possible hégémonie de la science. Mon expérience d’accompagnateur spirituel en soins palliatifs me laisse souvent dubitatif quand, pour un patient probablement à quelques jours ou à quelques heures de son décès, l’équipe interdisciplinaire concentre la majeure partie de son énergie sur des questions pharmaceutiques ou médicales. Bien qu’il apparaisse évident que ces questions cliniques s’imposent, ne devraient-elles pas être accompagnées de certaines autres beaucoup plus existentielles? À la limite, métaphysiques? Pour exemple: «Est-il bon pour telle patiente en fin de vie qu’elle reçoive son conjoint après 40 ans de séparation et de tensions multiples?» Ou encore: «Ne pourrait-on pas aider tel autre patient à se pardonner une vie tumultueuse?» Sinon: «Peter peut-il encore chuchoter son amour à Virginie quand la médecine la considère inconsciente et donc absente au monde réel?» N’est-ce pas le philosophe Ricœur qui affirmait «(…) qu’il y a des situations, plus nombreuses qu’on ne le croit, où la communication de la vérité s’échange sous le signe de la mort acceptée[11]?» C’est donc à deux mains que l’équipe interdisciplinaire se doit de prendre en charge le patient : par la main de la science, certes. Mais aussi par l’autre main, cette main «ouverte» que pourra justifier une anthropologie à cœur ouvert. Car elle est la seule à pouvoir assumer des questions aussi ultimes que fondamentales, comme celles du rapport du patient avec l’au-delà.

Et puis il y a une seconde réalité concomitante capable de nourrir tristement ce réductionnisme anthropologique: La réduction de «l’accompagnement» du patient à une «intervention» clinique sur le patient. Pour ce qui est du Québec, ne parlons-nous pas d’«intervenants en soins spirituels» et non d’accompagnateurs spirituels? Sans trop en être conscients, ne parachutons-nous pas tel travailleur social dans telle situation familiale délicate qui, pourtant, exigerait écoute, contextualisation et accompagnement? Ne voyons-nous pas régulièrement l’exercice de la médecine être réduit à une intervention ponctuelle quand le patient ressent urgemment le besoin d’exprimer nombre de questions au médecin? Alors que seul un «accompagnement interdisciplinaire» serait en mesure d’assurer les services qu’une anthropologie à cœur ouvert exige…

L’existence de ces deux réalités comme facteurs limitatifs d’une «anthropologie à cœur ouvert» met donc le chercheur et le clinicien face à une même exigence, celle d’accompagner tout patient à partir de ses nombreuses préoccupations existentielles et en vue d’une anthropologie holistique. Mais cela peut-il se faire sans réintroduire la délicate question de l’âme humaine? Curieusement, cette hypothèse paraît dépassée alors même qu’un certain nombre de penseurs et de scientifiques réintroduisent contre toute attente la question de l’âme dans le débat public. Dans un ouvrage tout aussi passionnant que percutant, Time to philo[12], le philosophe et normalien Gaspard Kœnig ose la question: «Les robots ont-ils une âme?» Situant la problématique dans le sujet plus vaste de «l’intelligence artificielle», il renvoie son lecteur à «AlphaGo» ce programme informatique développé par une filiale de Google nommé Deep Mind. AlphaGo aurait supplanté le «Sud-Coréen Lee Sedol, champion du monde du jeu de go, au terme d’un match suivi en ligne par plus de cent millions de personnes[13].» Et l’une des originalités d’AlphaGo est que ce programme «(…) ne se contente pas de calculer une infinité de positions possibles, mais qu’il développe ses propres intuitions grâce à des algorithmes qui lui permettent d’apprendre à partir de ses expériences et de celles des autres joueurs[14]». La question philosophique qui se pose est donc claire : «D’algorithme en algorithme, les robots seront-ils un jour capables de penser et/ou de s’émouvoir, comme le C-3PO de Star Wars?[15]» Un jour, auront-ils une âme?

Le philosophe peut et doit se poser la question. Le clinicien aussi… Fils de Descartes, nous pensons souvent de façon dualiste. D’un côté, il y aurait le corps et de l’autre côté, il y aurait l’âme, laquelle se tiendrait «en retrait» des lois matérielles, «isolée du monde des passions[16].» Et puisque le dualisme conduit que trop souvent à l’univocité, c’est toujours en s’appuyant sur Descartes que «(…) le neuroscientifique français Stanislas Dehaene pousse le réductionnisme encore plus loin… Dans son dernier ouvrage Consciousness and the Brain, il pose ce qu’il appelle le défi de Descartes : si l’on peut cartographier les mécanismes neuronaux qui induisent la rationalité (capacité de répondre à des problèmes nouveaux, non programmés) et la réflexivité (analyse de ses propres états psychiques), alors la conscience elle-même deviendra le produit expérimentable, manipulable, voire réplicable, de notre matière cérébrale[17].» Pour contrebalancer ce réductionnisme scientifique, Gaspard Kœnig nous renvoie à «(…) l’un des rares philosophes respectés par la communauté scientifique aujourd’hui. Dans son ouvrage The Conscious Mind, David Chalmers définit le hard problem comme suit: ce n’est pas tant la conscience que l’expérience, ce mélange mystérieux de sensibilité et d’intellectualisation, qui est irréductible à l’analyse machinale[18]

Voilà pourquoi nous avons souhaité partir d’un fait vécu pour induire l’anthropologie holistique. Seule l’expérience, au-delà des idéologies et des sophismes quelconques, peut conduire l’être humain, le clinicien, l’accompagnateur, à reconnaître l’existence de l’âme humaine. Pensez-vous que Peter, pourtant spécialiste en numérique, aurait été tenté de réduire «sa» Virginie à un amas de poussière ou pire encore son âme à un quelconque algorithme?

1.2. Une anthropologie holistique

En d’autres termes, et pour résumer, l’intelligence artificielle aura beau «développer ses propres intuitions», comme AlphaGo semble le faire grâce à certains algorithmes puissants qui lui permettent d’apprendre de ses propres expériences, elle aura beau développer des mécanismes neuronaux qui induiront la rationalité et la réflexivité, formant alors ce que Stanislas Dehaene nomme la conscience, cette dite intelligence artificielle ne remplacera pas ce que David Chalmers nomme lui-même «l’intellectualisation» du réel sensible. Car l’intellectualisation renvoie à la faculté qu’a l’être humain de «signifier» le réel sensible. Autrement dit, à partir de l’expérience sensible, de pouvoir conceptualiser le réel, je veux dire l’«intelliger» en passant du singulier à l’universel.

L’intelligence artificielle pousse la logique à son extrême : le raisonnement. L’intelligence humaine a pour première finalité de signifier le réel. Il peut y avoir de la logique sans réel. Mais jamais de signification sans le réel existant. C’est pourquoi, et pour répondre au neuroscientifique Stanislas Dehaene, seule l’intelligence de l’homme peut avoir une conscience humaine, car elle est «conscience du réel». Là encore, pensez-vous vraiment qu’un robot puisse s’adapter «humainement» avec justesse et pudeur à l’agonie de Virginie? Avec autant d’intelligence pour la réalité «aimée» que l’intelligence de Peter? Pensez-vous qu’un robot puisse «accompagner» Virginie avec autant de tact et d’intimité que Peter a pu le faire? Pensez-vous qu’un robot puisse avoir «la conscience en paix»?

Si je partage ici cette réflexion très incomplète sur la difficile question de l’intelligence artificielle, c’est pour nous introduire à la question de l’âme. Xavier Lacroix a raison quand il pointe du doigt l’inexactitude de l’Académicien François Cheng qui réduit la question de l’âme au psychisme[19]. «L’âme existe même si aucun acte n’est posé, insistera Xavier Lacroix, et elle est caractérisée par quelque chose de plus qu’un fonctionnement. Elle renvoie à plus grand qu’elle, elle est ouverture (…)[20]» Une ouverture que nous aimons appeler : «l’anthropologie à cœur ouvert.»

Ouverture au réel existant, avons-nous dit. Nous avons-là la faculté de l’intelligence. Ouverture à l’ami, pensons à Virginie et Peter. Nous avons-là la faculté de l’amour. Cette fine pointe de l’âme exige nuance et précisions. De fait, il s’agit de reconnaître un ordre existentiel entre ces deux facultés «spirituelles» de l’âme. Xavier Lacroix, professeur émérite de philosophie et de théologie à la faculté de théologie de l’Institut catholique de Lyon s’y emploie avec brio: «L’intelligence, comprise au sens plein et non seulement de l’entendement diviseur peut être commencement de la vie spirituelle. Mais commencement seulement… La véritable dépossession de soi-même est toujours en avant… Lorsqu’Aimé Forest affirme la liaison de l’intellectuel et du spirituel, il sait ce qu’il dit. Il distingue notamment vie intellectuelle et entendement abstrait. Ce dernier ne saisit les choses que de l’extérieur, alors que l’intelligence est une vue intérieure de la vérité. Elle est inséparable de l’ouverture à l’universel, gratuité, dépossession de soi-même où l’auteur voit les marques de la spiritualité pure[21].» Fidèle à l’adage philosophique connu de tous qui affirme qu’il vaut mieux connaître ce qui est inférieur à l’être humain et aimer ce qui lui est supérieur, nous voyons les deux facultés les plus nobles de l’âme que sont l’intelligence et la volonté (d’aimer) s’ordonner l’une envers l’autre. Mais à chaque fois pour nous rappeler que la réalité spirituelle contribue au caractère holistique de l’être humain. Ce qui, pour autant, ne nous permet pas de la confondre avec une spiritualité confessionnelle. En d’autres termes, parce que ces deux facultés «spirituelles» de l’âme s’enracinent dans la dimension ontologique de la personne humaine, nous pouvons affirmer qu’elles donnent à l’anthropologie à cœur ouvert la richesse de la transcendance : une «anthropologie spirituelle».

2.    Une anthropologie spirituelle

En parlant d’anthropologie spirituelle, nous comprenons aisément l’importance d’en poser ici les bases. Celles-ci offriront un support solide à ce que notre préambule nomme une spiritualité séculière.

2.1. Ses bases

La recherche des bases anthropologiques à la spiritualité nous questionne sur le type d’anthropologie philosophique que nous souhaitons assumer. Il y aurait, par exemple, le travail de recherche proposé par Madame Mélany Bisson. Actuelle directrice de l’AIISSQ[22], l’auteur rappelle la nécessité de poser une «approche non confessionnelle» dans le système québécois de la santé qui est devenu séculier[23]. Reprenant l’affirmation du Dominicain Jean-Claude Breton «(…) la vie spirituelle est une activité de la vie humaine qui découle de l’anthropologie[24]», Mélany Bisson propose une «anthropologie ternaire[25]» telle que théorisée par Michel Fromager.
Une anthropologie spirituelle intégrant trois dimensions : «corps (biologique), âme
(psychologique-psychique), esprit (spirituelle)[26].» Familière d’une anthropologie holistique, cette «tripartition[27]» s’oppose au «dualisme[28]» corps/âme et inscrit la spiritualité dans un rapport d’apaisement entre la «postmodernité[29]» et le fait religieux. Nous apprécions cette théorisation, à la fois pour son ancrage holistique, pour son souci de mettre en avant une spiritualité séculière et pour son ouverture à la postmodernité.

Pourtant, si nous ne la retenons pas, c’est justement parce qu’elle est une «théorie». Et il nous semble qu’en matière d’anthropologie spirituelle, le rapport au réel, celui qui se voit, qui se sent, qui se touche et qui s’entend, et à la limite, celui qui se goûte, est capital. De fait, si la spiritualité a vocation à trouver son ancrage dans la sécularité de notre postmodernité, elle se doit d’être «sensitive». Et que dire du milieu palliatif… Ainsi donc, au-delà des clichés et de certains a priori, nous osons la question suivante : existe-t-il une anthropologie spirituelle qui jaillisse du réel «senti»? Si la philosophie aristotélicienne est si aisément disqualifiée dans le monde de la praxie, c’est uniquement parce qu’elle est suggérée aux différents milieux académiques, et ce depuis des siècles par le prisme malheureux de la philosophie scolastique. Donc, par un ontologisme. Pour réhabiliter ou dédouaner la philosophie du «sentir», dite philosophie réaliste, il est donc important de revenir à la question du «pourquoi[30]» comme le suggère le philosophe Ricœur dans son ouvrage Soi-même comme un autre. Pourquoi Peter a-t-il tenu à accompagner les dernières heures de Virginie, allongé sur ce lit devenu ineffablement sa civière? Pourquoi se pressait-il à caresser les cheveux de sa compagne de vie? Pourquoi Peter lui parlait-il…, alors que la médecine la pensait plus ou moins inconsciente? Pourquoi cet homme rationnel et pourtant empathique s’est-il écrié devant la dépouille de Virginie: «Maintenant, je sais ce qu’est l’âme…». Par contraste, pour ne pas dire par opposition à ce corps qu’était Virginie, ce corps qu’il a aimé et caressé, Peter pouvait tristement constater que la dépouille sans âme et sans «principe» de vie est matière.

Et voilà donc que nous avons lâché le mot: le «principe». La philosophie aristotélicienne introduit dans sa métaphysique la réalité du «principe[31]». Si nous ne pouvons pas faire ici une présentation approfondie de ce que sont les principes aristotéliciens, retenons tout de même qu’ils se distinguent des principes scientifiques. Ces principes philosophiques répondent à la question du «pourquoi», et ceux de la science moderne à celle du «comment». C’est donc de la sorte que le chapitre III de notre ouvrage Soins palliatifs. Accompagner pour vivre présente deux manières de dégager ce principe de vie: l’âme. Le langage métaphysique parle alors d’«induction[32]». Toujours à partir de la réalité sensible, nous avons voulu conjuguer l’induction scientifique (métaphysique) avec l’induction intuitive (phénoménologique). On la dit «scientifique», parce que le chercheur «pose» la nécessité d’un premier intelligible, celui qui rend compte de l’unité de la personne au-delà d’une apparente dualité âme/corps et d’une polyphonie d’opérations vitales observées, vues, touchées, senties… On la dit «intuitive» parce que, avec Peter, nous reconnaissons que le corps de celui qu’il a aimé n’est plus… De fait, n’y avait-il pas dans ce corps fluet de Virginie un principe unificateur qui le distinguait formellement de sa dépouille? … C’est ainsi que le philosophe Lévinas osait la question : «Si la vie spirituelle est don (…), comment donnerions-nous sans bras, sans jambes, sans corps? En vérité, dit-il, être esprit est une manière d’être corps comme être corps est une manière d’être esprit… Entrer dans le dynamisme du don[33]

Pour bien comprendre l’âme comme base de l’anthropologie spirituelle, il nous faut ajouter ici, au risque d’opacifier quelque peu notre cheminement, deux derniers principes. Ceux-là n’entrent pas dans la catégorie métaphysique, mais relèvent explicitement du personnalisme. Le philosophe Mounier les a nommés le «principe de dépassement» et le «principe d’intériorisation». Pour cet auteur, «(…) le principe de dépassement est la force qui soude le principe d’intériorisation au principe d’extériorisation (…) empêchant l’intériorisation de se dissoudre dans le subjectivisme et l’extériorisation dans le sommeil des choses[34]
Ces deux derniers principes personnalistes nous sont chers, car ils permettent de mettre à jour ce qu’est l’âme dans son «exercice», nous pourrions dire, dans l’exercice de ce «principe unificateur de vie»… En effet, au-delà des caricatures opposées prônées par le subjectivisme et le matérialisme qui ouvrent la voie à notre postmodernité, il nous paraît capital de considérer le «devenir» ou la «croissance» de la personne humaine, du sujet, du patient, de l’âme du patient. Et ceci ne peut se faire que dans la prise en compte du principe de dépassement. Le don à autre que soi… Pourtant, dans l’histoire de Virginie et de Peter, est-ce le don qui a prévalu ou bien l’attraction? La réalité existante, celle du monde du corps et du sensible, nous rappelle que le principe de dépassement est en fait… une réponse à l’attraction, ce que nous nommons le «pouvoir attractif[35]». Pouvoir attractif de l’intelligence de Virginie sur celle de Peter. Pouvoir attractif de la sensibilité et de la capacité d’aimer de Virginie sur Peter. Inversement, pouvoir attractif de Peter sur Virginie, nous avons-là ce que nous appelons «une spiritualité à taille humaine[36]». À taille humaine, du seul fait qu’elle met en vis-à-vis deux personnes humaines capables «d’intériorisation» et «d’extériorisation» comme expression d’un «dépassement» de la matière: l’âme.

Dès lors, nous identifions trois niveaux de spiritualité. Le premier niveau regarde ce que Mounier nomme le «principe de dépassement» et que nous précisons par la réalité du «pouvoir attractif». Le lieu d’exercice de ce premier niveau de spiritualité est celui de l’amitié, la philia. Le second niveau de spiritualité est l’ouverture, par analogie à la philia, à l’existence d’un acte pur que certaines traditions religieuses appellent Dieu. Enfin, le troisième et dernier niveau renvoie à la spiritualité confessionnelle.

2.2. Trois niveaux de spiritualité

Le premier niveau de spiritualité fait donc écho à ce que José Tolentino Mendonça, poète, philosophe, théologien et homme de culture, appelle le «Petit traité de l’amitié[37]». Ne nous y trompons pas, il n’est en rien question d’un récit sur l’amitié, ou bien d’un récit qui serait naïf et sans fondements anthropologiques. Tout au contraire, avec son regard avisé de théologien, l’auteur s’y emploie à traverser les textes bibliques autour de la thématique de la philia. Dès lors, c’est une sorte de traité anthropologique de l’amitié qui émerge comme une science de l’attraction mutuelle, premier niveau de spiritualité. «Et si nous parlions d’amitié au lieu d’amour», suggère le premier chapitre du traité, et ce afin de «définir notre chemin spirituel[38]». En effet, «(…) le danger inhérent au langage de l’amour est de se perdre dans l’indéfini, souligne Mendonça, de plonger dans l’absence de limites propre à la subjectivité : nous ne savons pas vraiment ce qu’est l’amour; c’est toujours tout; c’est une tâche démesurée, et trop souvent cette totalité indistincte de l’amour finit dans un vide rhétorique désillusionné. L’amitié est une forme plus objective, insiste-t-il, conçue de manière plus concrète et se prêtant peut-être plus à pouvoir être vécue[39].» L’amitié est donc un chemin de spiritualité, puisqu’il permet à tout un chacun de sortir de soi, dirions-nous pour paraphraser Mendonça. Elle l’est en tant qu’elle mobilise les deux facultés de l’âme qui, en soi, assument la matérialité du corps tout en la finalisant. C’est Ricœur qui nous aide à comprendre ce dépassement qui caractérise l’âme, considérée comme principe de vie, alors qu’il offre la distinction fondamentale entre «l’être en puissance, l’être en acte, l’être par accident[40]

Le pouvoir attractif de l’âme n’est pas de l’ordre accidentel des choses. Il consacre l’être en acte et c’est cet acte qui, de facto, illumine la potentialité, l’être en puissance, de la personne humaine. C’est donc bien l’acte qui éclaire la potentialité, et le pouvoir attractif qui précède le principe de dépassement. Nous avons là non seulement le premier niveau de spiritualité, mais aussi les outils anthropologiques pour réfléchir au second niveau de spiritualité. En effet, la qualité de la relation que Virginie et Peter avaient construite si rapidement m’a tout particulièrement bouleversé. Le lecteur l’aura compris. Et elle m’a autorisé à parler avec eux de spiritualité, la philia. Ces deux intellectuels, agnostiques, ne parlaient que rarement de Dieu. Et s’ils le faisaient, c’était plus ou moins inconsciemment pour rejeter sur lui l’opprobre de la maladie de Virginie. Je les comprenais. Et je les accompagnais. À les écouter, je restais pourtant dubitatif quand l’un et l’autre, avec beaucoup de sérieux, parlaient de leur amour dans l’après, je veux dire dans l’au-delà.
Il y avait là comme un double paradoxe. Pour le premier, l’agnosticisme pouvait-il verser dans l’affectif jusqu’à faire déraisonner les intellectuels qu’ils étaient au point de parler d’un Dieu accessible sans la foi? Sinon, l’intelligence métaphysique pouvait-elle discourir sur Dieu? Pour le second, «le ciel» dont ils parlaient, pouvait-il en quelques mots et quelques tendresses partagées, s’émanciper si aisément de ce Dieu punisseur? Si je gardais le silence, je voyais cependant clairement se dessiner et se profiler les deux derniers niveaux possibles de spiritualité.

En effet, le premier paradoxe conduit à donner raison à Ricœur quand il situe l’être en acte avant l’être en puissance. Ce n’est pas le gland qui dit ce que sera le chêne, mais bien le chêne qui permet de regarder le gland comme un chêne en puissance d’être. Dès lors, le pouvoir attractif qui est la marque de l’amitié spirituelle offre conjointement les deux brèches nécessaires au dépassement de celle-ci. Car si l’amitié est en acte quand il y a recherche de vérité et don de soi, elle est en puissance quand on saisit qu’autant la recherche de vérité que le don de soi sont des brèches métaphysiques qui invitent l’agnostique au dépassement. Ainsi, le discours de Virginie et de Peter sur l’après-mort n’était pas affectif, il était parfaitement rationnel et situait l’agnosticisme comme une puissance vers… Jamais l’amour de Peter pour Virginie n’aurait pu être la vérité et le don de soi parfaits! La prévalence de l’être en acte sur l’être en puissance ouvrait nécessairement à la question de l’acte pur. «Le premier moteur est à la fois premier intelligible et premier aimable et c’est ainsi qu’il meut[41]» nous rappelle le philosophe. Ce premier paradoxe pouvait donc se résumer ainsi: alors même que l’être aimant désire de tout son cœur combler l’être aimé, une double brèche s’ouvre dans la relation. Ouverture à un premier moteur à la fois intelligence suprême et bonté ultime. Il est donc là le second niveau de la spiritualité. L’ouverture de l’intelligence créée et de l’amour créé à la source de l’âme incréée : «car c’est ainsi qu’Il meut».

Le second paradoxe, celui qui consistait à s’émanciper de ce Dieu punisseur, prend ici quant à lui tout son sens. En effet, est-il possible que le Dieu de la Révélation soit vraiment ce Dieu punisseur quand l’intelligence le découvre substantiellement bon et vrai? Dès lors, «l’intelligence de la foi» est nécessairement appelée à revisiter les textes sacrés afin d’y distinguer le bon grain de l’ivraie, je veux dire afin d’y souligner les anthropomorphismes. Il y a là le troisième niveau de spiritualité qui présente au patient, à la personne vulnérable, un Dieu humain et sensible, un Dieu de présence et de compassion. Un Dieu dont on ne peut plus avoir peur…

Par la découverte de l’altérité qualifiée du pouvoir attractif (1). Par la découverte de ce premier moteur nécessairement et ontologiquement bon et vrai (2). Par l’herméneutique de la Révélation à la lumière de ses deux premiers niveaux de spiritualité : le chercheur ouvre son champ d’expertise à un troisième et dernier niveau de spiritualité, celui de la foi, précisément à celui de l’intelligence de la foi (3). Nous avons donc bien là nos trois niveaux de spiritualité. Le lecteur ne sera donc pas étonné que les «souffrances spirituelles» constatées sur le plan clinique s’enracinent distinctement et séparément dans ces différents niveaux de spiritualités. Voilà pourquoi il était capital de suggérer une anthropologie spirituelle jaillissant d’une anthropologie holistique.

3.    Souffrances spirituelles

Nous ne pouvions donc pas faire l’économie de définir ensemble les contours d’une anthropologie philosophique holistique. Car c’est elle qui se propose tel un écrin ou un réceptacle à l’anthropologie spirituelle. On ne peut séparer l’une de l’autre, à tel point que le vécu de l’une influence celui de l’autre. Ne nous y trompons pas : souffrir spirituellement conduit à pâtir physiquement. Et ressentir de la douleur physique amène plus ou moins directement à appesantir l’âme, sauf de rares exceptions. Pourtant, reconnaître l’influence du corps sur l’âme et, inversement, de l’âme sur le corps, ne doit pas nous empêcher de reconnaître à l’âme ses propres souffrances. «J’ai mal à l’âme», me soufflera Peter quelques minutes après le décès de Virginie… Par rigueur intellectuelle, nous souhaitons introduire le sujet en distinguant la notion de «douleurs» et celle de «souffrances». Ensuite, les trois niveaux de spiritualité nous conduiront à reconnaître quatre types de souffrances spirituelles. Les deux premiers correspondent au premier niveau de spiritualité tel que présenté plus haut. Le troisième fait appel au deuxième niveau de spiritualité, alors que le quatrième type regarde le troisième niveau de spiritualité. Il est à noter que notre ouvrage Soins palliatif. Accompagner pour vivre en fait une présentation systématique[42].

3.1. Souffrances ou douleurs?

Le fait que dans son récent ouvrage Penser la fin de vie[43], l’éthicien et philosophe Monsieur Jacques Ricot s’évertue à distinguer «douleur» et «souffrance» dans son récent ouvrage avant de s’incliner devant Ricœur, montre bien l’importance du sujet. En effet, nous comprenons bien l’enjeu qui se cache derrière cette distinction. Si la douleur et la souffrance se distinguent formellement, que la douleur est contrôlable, peut-on en dire autant des souffrances tant psychiques que morales que spirituelles? Et si la réponse s’avérait négative, cela pourrait-il justifier la sédation profonde du patient, voire même une demande de l’AMM? À l’inverse, si la souffrance spirituelle pouvait être diagnostiquée et soulagée, serait-il possible que cette prise en charge clinique conduise à qualifier la fin de vie? Ainsi donc, quand Jacques Ricot laisse la parole à Ricœur, c’est pour le laisser affirmer que «(…) l’on s’accorde pour réserver le terme douleur à des affects ressentis comme localisés dans des organes particuliers du corps ou dans le corps tout entier, alors que le terme souffrance, lui, renvoie à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement[44].» En d’autres termes, la douleur pour les organes, et la souffrance pour la quête de sens. En filigrane à cette distinction, nous reconnaissons l’anthropologie holistique telle que présentée dans cet écrit. Pour autant, pouvons-nous aller plus loin dans la distinction douleur/souffrance en vue d’offrir une typologie des souffrances spirituelles?

Pour ce faire, il nous faudrait retenir quelques notions de l’anthropologie du monde sensible, je pense à celui des passions qui aime à distinguer notamment «joie» et «plaisir». Par analogie, nous pourrions ainsi offrir une distinction formelle «douleurs» et «souffrances» avant que d’introduire une catégorisation des souffrances spirituelles. Dans l’anthropologie philosophique réaliste, sensitive donc, celle des passions, seules les satisfactions causées par une appréhension intérieure, soit l’intelligence, soit l’imagination, seules ces satisfactions conduisent à la «joie», alors que le plaisir est fondamentalement lié au corps. Analogiquement donc, seules les douleurs causées par une appréhension intérieure conduisent à la souffrance, elle-même source de tristesse spirituelle. Alors que des douleurs spécifiquement liées au corps n’apportent malheureusement au patient rien d’autre que… douleurs. Au regard de ce qu’est la joie-passion distincte du plaisir-passion et de ce qu’est la souffrance différemment de la douleur, nous saisissons plus encore pourquoi les différents types de souffrances spirituelles se proposent à nous à la lumière des différents niveaux de spiritualité. Plus les douleurs sont «détachées» du corps et plus elles sont souffrances spirituelles. Voilà ce que notre réflexion peut ajouter à l’apport phénoménologique de Ricœur : une taxonomie des souffrances spirituelles du sujet à la mesure de leur degré d’enracinement dans la matérialité du corps.

3.2. Quatre types de souffrances spirituelles

«La souffrance est d’abord violence subie (…) Comme l’écrit Ricœur, le monde apparaît non plus comme habitable, mais comme dépeuplé. C’est ainsi que le soi s’apparaît rejeté sur lui-même[45].» Pour illustrer cela, revenons au récit de «Momo», retrouvé recroquevillé dans son lit, sans doute l’un des témoignages les plus bouleversants offerts par mon livre[46]. Pour un clinicien, qu’il soit médecin, infirmier ou accompagnateur spirituel, existe-t-il un «sentiment d’impuissance[47]» plus fort que celui de sentir son incapacité à libérer le patient d’un tel repli pathologique? Chacune des quatre blessures ici présentées est évidemment le fruit de ma réflexion anthropologique, mais aussi de mon expérience clinique. C’est pourquoi j’ai voulu enrichir la présentation de chacune d’elle et d’une réflexion théorique, et du vécu de la relation de Virginie et Peter.

  • Brisures relationnelles

Après qu’ils aient fait le choix de vivre l’un pour l’autre les différentes étapes de la maladie de Virginie et ses conséquences irréversibles, nous pouvons nous interroger pour répondre à la question suivante : quelles auraient été les conséquences sur Virginie si Peter avait fait le choix de l’abandonner?… La «brisure relationnelle[48]» est une véritable blessure de l’âme. Elle provoque presque systématiquement une souffrance spirituelle profonde qui ouvre à une remise en compte du sens de la vie de la personne, et de sa valeur profonde. Une blessure d’autant plus grave que l’engagement renié s’annonçait originellement défini et sûr. Avouons que notre société occidentale favorise et relativise ce premier type de souffrance spirituelle. Elle le favorise, puisque les exigences du travail formatent l’être humain en un homo economicus conditionné à produire toujours plus au détriment trop souvent de la qualité relationnelle «gratuite» à autre que soi. Elle le relativise, quand la «rentabilité» et ses algorithmes numériques s’imposent de plus en plus aujourd’hui comme la norme primordiale à respecter et à mettre en avant.

La distinction facere/agere[49] nous est donc d’un grand secours pour suggérer une réponse à ce premier type de souffrance spirituelle. Car, si le facere renvoie au rapport qu’à l’homme avec son travail, l’agere, lui, renvoie au rapport «gratuit» qu’à l’homme avec son semblable. Le «pouvoir attractif» s’inscrit alors dans la dimension de l’agere quand l’efficience, elle, s’inscrit dans celle du facere. Dans le milieu palliatif, nous constatons que la brisure relationnelle est souvent provoquée involontairement. Soit par les proches aidants qui affirment maladroitement qu’il n’y a plus rien à «faire», et que, de toute manière, «tous sont impuissants?» devant ce qui se passe… Induisant une sorte de vertige d’impuissance chez les proches du patient, mais aussi régulièrement dans le corps professionnel et… jusque chez le patient lui-même: «À quoi bon continuer de vivre, diront certains patients, puisque je ne sers plus à rien…» Ce sentiment d’inefficacité est pourtant connaturel à l’éthique palliative. Car le génie du palliatif ne peut s’exprimer spécifiquement qu’en minorant le facere pour développer comme norme la notion de gratuité: l’agere.

La médecine palliative fait ainsi basculer le rapport cure/care en vue du rapport care/cure[50], alors que l’accompagnement spirituel favorise les «attitudes[51]» humaines au parachutage d’interventions souvent décalées, étant donné ce que vit le malade. Ainsi, les soins palliatifs sont le lieu par excellence du «pouvoir attractif» et donc de la «gratuité» de la relation. Une relation «attractive» qui s’exerce à deux niveaux. Virginie et Peter se sont aimés, premier niveau. Virginie et Peter ont cherché sens à leur vie, deuxième niveau. Deux modes d’un «dépassement» anthropologique si nous citons le personnalisme de Mounier. Deux modes «d’être en acte» si nous renvoyons au philosophe Ricœur.

Les brisures relationnelles et leur lot de souffrances spirituelles peuvent-ils donc être apaisés? Il en dépend de la crédibilité de la science palliative laquelle favorise par essence un départ en «ouverture[52]». Celui de Momo ou de Virginie. Celui de notre frère en humanité…

  • Le néant

La littérature palliative s’inscrit dans une sémantique vitaliste. On y préfère donc aisément le «terme de la vie terrestre» à celui de fin de vie, on y présente l’accompagnement interdisciplinaire comme chemin d’ouverture qui dissipe l’agonie. Parce qu’il existe des départs sereins, le milieu palliatif ouvre une avalanche de questions. La réalité de la vie après la mort est-elle réservée à l’univers de la foi? Et Virginie et Peter? Leur amour? Leur âme? Leur désir d’infinitude?

Le désir… La science palliative est bien une science vitaliste. Pourtant, il y a «Momo». Ce patient que j’ai surpris recroquevillé dans ses couvertures simplement parce que ce clown de métier a toujours vécu seul. Parce que, pour lui, comme pour tant d’autres, la vie n’est qu’un jeu. Un jeu dont il appréhendait pourtant la dernière manche! Car ce n’est pas si facile que cela de jouer avec la mort. Trop de questions pour cet homme diplômé du «rire», allergique aux questions philosophiques et plus encore théologiques. Sa mort symboliserait-elle donc la fermeture du rideau? Mécanique quotidienne pour son chapiteau et pour ses spectateurs. Mécanique finale pour cet homme «blessé à mort». Car une mort sans «ouverture» blesse l’âme. Celle du clown, celle de l’ami, celle de l’athée contemporain. Elle fait souffrir. Cette blessure spirituelle profonde qui se creuse quand la mort se présente comme un point final. Le spectacle est fini. Blessure du «néant[53]»… Croire que la mort est synonyme de la fin. Il existe une anthropologie philosophique qui alimente l’athéisme. Il existe donc une culture de l’athéisme et un athéisme «de fait». Sereinement, la culture palliative se propose pour «accompagner» chaque patient jusqu’à lui permettre de découvrir qu’il «est» plus que ce qu’il «faisait», qu’il est plus que sa mort imminente. Que sa vie est plus que sa mort. Peut-on rire et faire sourire si nous n’avons pas d’âme? Loin d’un amateurisme quelconque, la science palliative est la science de l’accompagnement. Une science qui se structure autour de trois principes précis. Le principe du «patient autonome[54]». Le principe du «patient vulnérable[55]». Le principe du «patient relatif[56]».

L’accompagnement spirituel a pour principe le respect absolu de l’autonomie du patient. Mais c’est justement au nom de cette sacro-sainte autonomie que l’accompagnement du patient s’impose comme une sorte de compagnonnage. Marcher avec… N’est-ce pas là l’histoire de Peter et de Virginie? De celle de Momo avec Micheline[57]? Le pouvoir attractif exercé par le compagnon de route se produit au cœur de l’autonomie du patient en vue de donner sens à cette autonomie. Un chemin d’ouverture! L’égologie, comme effet direct de la postmodernité, consacre l’autonomie pour elle-même. Le pouvoir attractif, quant à lui, visite l’autonomie jusqu’à l’ordonner à l’ouverture : se laisser apprivoiser. Se laisser accompagner. Se laisser aimer… À son tour, aimer. Il est rare de mettre en vis-à-vis l’athéisme culturel et l’accompagnement. Pourtant, existe-t-il meilleur remède que l’accompagnement pour panser la blessure du néant? S’il suffit d’un mot ou d’un geste inapproprié pour que le patient se replie à jamais dans son autonomie mortifère, à l’inverse, ne suffit-il pas d’une main tendue ou d’une présence aimante pour redonner sens à la vie? Les soins palliatifs sont le lieu des petits gestes et non des effets brillants. De l’apprivoisement et non de l’indifférence. De la vulnérabilité et non de l’arrogance. Le principe du «patient vulnérable» consiste donc à visiter l’autonomie «fragile» analogue des compagnons de route afin de lui donner sens… Et le principe du «patient relatif» consiste à faire de cette double vulnérabilité un lieu d’ouverture.

Si la «brisure relationnelle» conduit à une souffrance spirituelle aigüe, la souffrance provoquée par la «blessure du néant» est plus insistante encore. Car elle conjugue deux types de blessures relationnelles: celles concernant la terre; mais aussi celles concernant l’au-delà.

  • Le bouc émissaire

Si la brisure relationnelle et le vertige du néant se présentent comme les deux premières blessures spirituelles, elles relèvent, l’une et l’autre, du premier niveau de spiritualité, un niveau profondément humain. Leur remède sera donc fondamentalement humain : c’est ce que nous avons nommé le «pouvoir attractif» : accompagner… Mais la blessure du bouc émissaire, quant à elle, provient de ce lien délicat à Dieu. Le Dieu de la foi! Ce Dieu, nous l’avons dit, qui se propose à l’intelligence métaphysique avant de s’offrir à la foi.

D’où vient donc cette terrible blessure du bouc émissaire? À certains moments, elle semble provenir d’une affectivité blessée. À certains autres, d’une intelligence polluée. Parfois encore, de ce que le langage courant appelle la «foi du charbonnier». Mais bien trop souvent, elle est produite par le cocktail des trois. Nous pouvons donc reconnaître trois causes différentes à cette blessure spirituelle du bouc émissaire auxquelles nous sollicitons votre attention pour les trois points suivants.

Indéniablement, la première cause est affective : «Si je suis malade, si je meurs, c’est que je le mérite. Je ne mérite pas être aimé. Dieu ne m’aime pas. Je ne mérite pas son amour. Il me faut donc souffrir.» Seule la présence de l’ami ou de l’accompagnateur peut ouvrir à nouveau le for intérieur du patient. Par analogie, la justesse des gestes et de l’attitude de l’accompagnateur cautérise une affectivité blessée.

Ensuite, la seconde cause est intellectuelle. Il n’est pas donné à tout le monde de parcourir le chemin abrupt de la métaphysique qui conduit à contempler la bonté et la vérité de l’Être premier[58]. Le rapport de la foi à l’Écriture risque donc d’induire une lecture tellement fidéiste que les anthropomorphismes deviennent formellement une action divine pour le patient. Les sept plaies d’Égypte ne renvoient-elles pas à la puissante main de Dieu? Associée à sa fragilité affective, l’intelligence du patient-croyant risque de gamberger jusqu’à oser la conclusion fatale: «Me voilà plus que jamais le bouc émissaire de Dieu.»

La dernière cause est proprement religieuse. Il nous faudrait prendre le temps de distinguer foi et religion, mais si nous considérons que la religion est l’expression de la foi nous comprenons combien cette expression peut tristement s’inscrire dans un décalage marqué à l’égard de ce Dieu de la foi. Nombre de patients me disent : «J’attends que Dieu vienne me chercher…» Implicitement, cette affirmation induit le fait que c’est Dieu qui provoque leur mort. Ici, tel curé est refoulé d’une chambre parce que la famille craint que «L’extrême onction ne provoque la mort»… Plus loin, ce pasteur évangélique use de son charisme de guérison pour arracher de la mort cette fidèle en phase terminale d’un cancer généralisé. Dans les deux cas, le même rapport à la religion: l’omnipotence divine! Celle qui fait de sa créature un véritable bouc émissaire de ses caprices célestes. Que de souffrances pourraient être évitées…

  • L’inachevé

Il se trouve que je rédige ces pages alors que notre unité palliative vient d’accueillir Thérèse, une femme de foi[59]. Une vraie… Comme il est probablement rare d’en trouver. Probablement parce que ces personnes-là aiment rester discrètes. Lors du premier contact, hier, rien dans sa chambre ne semble laisser paraître la profondeur de sa foi. Aucun objet de piété particulier. Aucune image ou médaille pour guider mon discernement. Cette femme est là, juste là, avec pour compagnon de fortune une vieille connaissance venue l’accompagner. Car cela peut être violent d’arriver seul aux soins palliatifs… Thérèse sait que c’est là son dernier voyage : valises, édredon, peluche et CD, cette femme voyage léger.
La rencontre est courtoise, presque fraternelle, et pourtant intimidante. Ponctuée de longs silences et de quelques longs soupirs, Thérèse me décrit sa vie. J’écoute. Ses enfants : ils sont quatre?; deux filles et deux grands garçons. Son conjoint: décédé le mois dernier après soixante ans de vie commune. Son origine portugaise et sa dévotion à Notre-Dame de Fatima…

Après l’avoir écoutée et l’avoir remerciée, je feins de quitter la chambre. Doucement… C’est alors qu’elle me rappelle et que dans la pénombre de la chambre je devine quelques larmes sur ses joues. Je décide donc de m’assoir à nouveau. Je garde le silence. Elle me regarde. Je l’observe. Sa dame de compagnie quitte la pièce. Nous ne sommes plus qu’elle et moi… Ses yeux me renvoient aux trois secrets de Fatima : une ouverture, un appel, une douceur, mais une souffrance aussi. Et sa tête penchée sur le côté gauche me rappelle la posture de la Vierge. Son chignon, sa couronne d’or. Ses doigts fatigués, les mains offertes de la Madone. Cette femme m’émeut. C’est alors que sa frêle silhouette se lève et se dirige vers cette petite valise déposée en plein milieu de sa nouvelle chambre, certainement la dernière. Elle en retire un portefeuille en cuir écaillé qui évoque en moi ces morues, élément essentiel de la brandade, qui jadis faisaient la fierté du Portugal… Accolées l’une à l’autre, elle me montre deux photos en noir et blanc. La première avec les visages des François et Jacynthe, et puis celui de Lucie: les trois voyants de Fatima. De l’autre côté, je vois le bon sourire de son mari, il y a soixante ans et quelques mois, le jour de leur mariage. «Tous, ils me manquent, me souffle-t-elle. Et Lui plus encore.»

Il existe bien une souffrance de l’inachevé. Celle qui accompagne l’ouverture de l’âme vers la certitude des retrouvailles. Celle qui fait souffrir, mais qui plus encore scelle les relations éternelles. Souffrances qui regardent l’âme et sa transcendance.

Conclusion

D’emblée, nous avons fait le choix de contextualiser notre recherche autour de la loi la plus récente (2015) sur la fin de vie, ce que le Québec appelle l’Aide Médicale à Mourir (AMM). Un tel choix se justifie par notre observation clinique. En effet, nous voyons un nombre significatif de patients exprimer des souffrances spirituelles, celles que les cliniciens nomment à ce jour souffrances psychiques. Définir et suggérer une taxonomie des «souffrances spirituelles» permet donc d’ouvrir un champ de recherche sur les moyens cliniques permettant d’apaiser ce type de souffrances. Et ce faisant, de proposer éventuellement une autre alternative à l’AMM.

Fondamentalement, nous avons éclairé notre réflexion à partir d’une anthropologie philosophique dont les bases conceptuelles ne sont ni confessionnelles ni religieuses. À cela, deux raisons principales. Tout d’abord, afin d’éviter toute approche ou discours clinique qui soit apologétique. Pour exemple : «votre vie est sacrée, il faut absolument la respecter jusqu’au bout.» Mais aussi, pour mettre en avant le fait que «l’anthropologie spirituelle» qui a pour berceau une anthropologie «à cœur ouvert» s’adresse à tout patient, que celui-ci soit athée, agnostique ou simplement indifférent à ces questions existentielles. Et encore, que cette vision spirituelle séculière invite tout patient, mais aussi l’ensemble des professionnels de la santé à ouvrir l’horizon de leurs recherches et de leur praxie à un au-delà de la matérialité de la vie humaine.

Nous ne sommes ni naïf ni sans expérience. Mais fort de notre expertise autant clinique qu’académique, nous savons que le sujet de la «fin de vie», je préfère utiliser la sémantique de «terme de la vie terrestre», est épineux. Et alors? Osons le débat!

Ici, nous offrons au lecteur une anthropologie philosophique qui justifie sa dimension holistique autour de son rapport «décomplexé» à la transcendance. C’est d’ailleurs là l’une des raisons essentielles pour laquelle nous avons voulu faire allusion à la question épineuse de l’intelligence artificielle, car en fait, offre-t-elle bien une quelconque transcendance à notre homo economicus? Soit, il est possible que d’autres chercheurs choisissent un cadre conceptuel différent. Très bien?! L’essentiel, me semble-t-il, est d’oser conduire le débat suivant : quelle anthropologie philosophique peut servir au mieux la question du terme de la vie terrestre? Laquelle, par conséquent peut la mieux s’articuler avec le monde de la théologie? Pour l’heure, ce qui nous préoccupe renvoie plus explicitement à la problématique suivante: «Puisque nous concluons à l’existence de différentes souffrances spirituelles, quels remèdes pouvons-nous sérieusement leur offrir? Si remèdes il y a…»

Mon ouvrage Soins palliatifs. Accompagner pour vivre en présente un, qui me semble essentiel. Il s’agit de ce que je nomme: «L’herméneutique circulaire». Familière à Ricœur, la science de l’herméneutique regarde habituellement le rapport du lecteur à son texte, à son texte écrit. Mais là encore, c’est mon expérience clinique qui me pousse à appliquer cette science de l’interprétation du «livre ouvert» constitué par le vécu de mes accompagnés au quotidien. Puisqu’il existe une médecine narrative qui consiste à intégrer au cœur de l’exposé d’un cas clinique des notions relatives au vécu du clinicien qui sont, par définition, inconnues de la médecine spécifiquement scientifique, pourquoi ne pas s’en inspirer dans la pratique de la science de l’accompagnement? Pour lors, l’herméneutique circulaire renvoie à deux éléments essentiels. La prise en compte du vécu que le patient exprime autour de telle ou telle souffrance spirituelle, et, en écho, le vécu personnel du clinicien, ici un accompagnateur spirituel. Émerge de la prise en compte commun de ce double vécu une quête de sens que je considère thérapeutique en soi. Une solution à l’égard de la souffrance spirituelle? À la sympathie, s’ajouterait donc la quête de sens commune. Et quand «le soi s’apparaît rejeté sur lui-même», comme dit si bien Ricœur, l’herméneutique circulaire oriente le sujet vers l’au-delà de sa souffrance: la transcendance thérapeutique. À mon avis, il y a là un authentique sujet de recherche. Recherche en anthropologie philosophique. Recherche en théologie pratique. Recherche en science de l’interdisciplinarité. Bref, en toute science qui veut libérer l’homme de sa souffrance spirituelle. Mais il y a un «mais».

Car le lieu d’ancrage, pour ne pas dire le nid au cœur duquel s’écrit cette double herméneutique, disons cette herméneutique circulaire, ce nid donc se construit avec deux «vulnérabilités»: celle du patient et celle du clinicien. Les deux ensemble. Une vulnérabilité circulaire en vue d’une herméneutique circulaire. Ce point-ci est tout particulièrement traité dans mon ouvrage sur les soins palliatifs[60]. Il pourrait induire un autre sujet de recherche : Quelle vocation la vulnérabilité circulaire peut-elle avoir au regard d’une postmodernité qui, par définition, fait fi de la transcendance et de ce fait confond que trop souvent «vulnérabilité» et «fragilité»?

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[1] Jean-Marc Barreau est professeur associé à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal (IÉR), Canada, professeur régulier à l’Institut de Formation de Théologie de Montréal (IFTM). Intervenant en soins spirituels dans une unité de soins palliatifs à Montréal-Nord.
Docteur (P.H.D et DT.H) en théologie systématique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier (2017) publié à Paris (Médiaspaul) s’intitule : Soins palliatifs. Accompagner pour vivre.

[2] À ce jour, le milieu hospitalier du Québec est doté d’«?Intervenants en soins spirituels.?» Pour ma part, je préfère parler d’accompagnateurs spirituels.

[3] Cf. http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/S-32.0001, & 26, visité le 25 mars 2018.

[4] Dans cet article, les mots de genre masculin appliqués aux personnes désignent les hommes et les femmes.

[5] Nous prenons comme lieu de recherche le milieu palliatif, premièrement parce que c’est là notre premier champ d’expertise, mais aussi parce que nous considérons que la réalité de «?la fin de vie?» concentre en elle-même tout ce qui peut se vivre en d’autres circonstances. Nous avons l’habitude de dire qu’elle nous offre un «?effet de loupe?» sur ce qui se vit en société.

[6] Le «?nous?» de politesse entraîne nécessairement une adaptation grammaticale sylleptique.

[7] Par déontologie, l’exemple présenté est offert avec de fausses identités et de fausses pathologies.

[8] François CHENG. (2016), De l’âme, De l’Académie française, Paris, Albin Michel, p. 129-130.

[9] La notion de «?bouc émissaire?» est l’une des blessures spirituelles que nous présentons dans notre dernier ouvrage : Jean-Marc BARREAU. (2017), Soins palliatifs. Accompagner pour vivre?! Paris, Médiaspaul, p. 162.

[10] Ibid., p. 29-65.

[11] Citation du philosophe Ricœur dans : «?Soi-même comme un autre?», p. 313. Citation recueillie dans le dernier ouvrage de Jacques, RICOT. (2017), Penser la fin de vie, préfaces de Jean Léonetti et de Philippe Pozzo di Borgo, Paris, EHESP, p. 42.

[12]Gaspard, KŒNIG. (2017), Time to philo, Paris, Larousse, p. 154.

[13] Ibid., p. 154.

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Ibid., p. 155.

[17] Ibid.

[18] Ibid., p. 156. Voir aussi : Xavier, DIJON. (2017), Que penser de…?? Le transhumanisme, Collection Que penser de…?? 92, Namur, Belgique, 126 p.

 

[19] Cf. bas de page 1. Dans : Xavier, LACROIX. (2017), Avons-nous encore une âme?? Paris, Salvator, Introduction, p. 10.

[20] Ibid., p. 10.

[21] Ibid., p. 25.

[22] L’AIISSQ est l’Association des Intervenantes et Intervenants en Soins Spirituels du Québec.

[23] Mélany, BISSON, (2013), «?L’espace sacré : pour un modèle d’intervention clinique en soins spirituels?», dans JOBIN, Guy & CHARRON, Jean-Marc & NYABENDA, Michel, Spiritualités et biomédecine, enjeux d’une intégration, avec la collaboration de Johanne Lessard, Québec, PUL, p. 139.

[24] Ibid., p. 140.

[25] Ibid., p. 141.

[26] Ibid.

[27] Ibid.,

[28] Ibid.

[29] Ibid.

[30] Paul, RICŒUR. (1990), Soi-même comme un autre, Essais, Paris, Seuil, p. 117.

[31] Thomas, DE KONINCK, (2008), Aristote, l’intelligence et Dieu, Paris, PUF, p. 7.

[32] Bien en amont d’une anthropologie chrétienne, dans notre ouvrage Soins palliatifs. Accompagner pour vivre, nous abordons la découverte de l’âme comme principe de vie à travers deux types d’induction philosophique. L’induction scientifique et l’induction intuitive (Cf. p. 124-135). Il faut ajouter que ces deux types d’inductions s’appellent l’une l’autre autour de deux principes : le principe de complémentarité et le principe de réciprocité. Cf. bas de page 7, p. 169.

[33] LACROIX. Avons-nous…, p. 29.

[34] Emmanuel, MOUNIER. (2000), Écrits sur le personnalisme, édit. Essais, Paris, p. 363.

[35] Le «?pouvoir attractif?» renvoie à la métaphysique d’Aristote, la «?cause finale?». Mais comme nous l’avons déjà souligné, puisque celle-ci a été phagocytée par la philosophie scolastique, nous préférons parler du pouvoir attractif qui prévaut sur le pouvoir efficient.

[36] BARREAU, Soins palliatifs…, p. 111.

[37] José Tolentino, MENDONÇA. (2014), Petit traité de l’amitié, Paris, Salvator, 254 p.

[38] Ibid., p. 15.

[39] Ibid., p. 15-16.

[40] RICŒUR. Soi-même…, p. 348.

[41] DE KONINCK. Aristote…, p. 74-75.

[42] BARREAU, Soins palliatifs…, p. 151-170.

[43] Jacques, RICOT. (2017), Penser la fin de vie, Paris, EHESP, 346 p

[44] Ibid., p. 148.

[45] Ibid., p. 152.

[46] BARREAU, Soins palliatifs…, p. 216-220.

[47] Je viens d’offrir une formation à l’ensemble du personnel soignant des soins palliatifs de notre hôpital (Marie-Clarac) une formation sur «?le sentiment d’impuissance?». Et le sentiment d’impuissance le plus fort regarde justement l’incapacité de pouvoir soulager pleinement le patient de telle douleur, mais plus encore de telle souffrance… Ici, un véritable sujet de recherche à mener en interdisciplinarité.

[48] Ibid., p. 154.

[49] Ibid., p. 33.

[50] Ibid., p. 177-180.

[51] La notion d’«?attitudes?» relève d’une vision anthropologique qui privilégie la présence à l’action. Sans pour autant opposer l’une à l’autre…

[52] Justifié par notre anthropologie «?à cœur ouvert?», nous aimons qualifier notre accompagnement spirituel d’attitudes profondément humaines qui favoriseront une recherche de vérité et donc une mort que j’aime appeler en «?ouverture.?»

[53] Ibid., p. 158.

[54] Ibid., p. 225.

[55] Ibid., p. 226.

[56] Ibid., p. 228.

[57] Cf. Ibid., p. 218.

[58] Ibid., p. 162.

[59] Ibid., p. 166.

[60] Ibid., p. 80-85.