S. Zbinden – Dieu: passeur décisif? – 2020

Pour citer cet article : Zbinden, S. (2020). Dieu: passeur décisif? Enquête auprès d’aumônier·e·s en milieu sportif, en Suisse romande et en Angleterre. Les Cahiers de l’ILTP, mis en ligne en septembre 2020 : 44 pages. Disponible en libre accès à l’adresse: https://wp.unil.ch/lescahiersiltp/accompagner/s-zbinden-dieu-passeur-decisif-2020/

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Dieu: passeur décisif?

Enquête auprès d’aumônier·e·s en milieu sportif, en Suisse romande et en Angleterre.

 

Stefany Zbinden[1]

Ce travail est le fruit de la possibilité laissée par le programme «option» de la mineure «religions, langue et textes» proposée par la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne de remplacer des enseignements par un travail personnel. Durant ce Bachelor, «L’atelier de terrain en sciences des religions» et «Frontières et appartenances: introduction aux objets et méthodes en sciences sociales des migrations» ont éveillé ma curiosité. Ces enseignements étaient une «initiation» aux méthodes socioanthropologiques. Pour cela, chaque étudiant·e·s a choisi un thème, construit une problématique et tenté d’apporter quelques pistes à sa question de recherche. Cependant, ces exercices se déroulaient sur des temps courts, généralement un entretien semi-directif et une observation. Consciente que rencontrer une personne à une ou deux reprises ne suffit pas à saisir les enjeux liés à une question, j’étais curieuse de voir comment, en multipliant les rencontres, il serait possible de rendre compte d’un thème.

Au semestre d’automne 2018, Prof. Olivier Bauer a organisé un cycle de conférences sur le thème «sport et religion». Chaque invité·e a développé le thème autour d’un aspect spécifique. La seconde intervenante a plongé l’auditoire dans les coulisses du sport. Qu’est-ce qui précède une victoire à Roland Garros? On imagine volontiers quelques entraînements et autres séances de musculation, mais au fond, on ignore le vrai dispositif qui entoure l’athlète. Notre conférencière est revenue sur le dispositif tant sportif que médical accompagnant les athlètes. Cependant, avant d’être un·e sportif·ve d’élite, il y a un·e individu avec des désirs et des craintes. Son exposé a relevé les difficultés que ces sportif·ve·s rencontrent, avant de montrer comment l’aumônerie est un dispositif au service de l’être humain, indépendamment de ses performances et de ses croyances. Ce dernier aspect est étrange, car, à priori, l’aumônerie est un service en lien avec une institution religieuse. Bref, le discours de S. a éveillé ma curiosité sur l’aumônerie en milieu sportif et les échanges avec Prof. Olivier Bauer ont attisé ma curiosité, jusqu’à l’envie de m’engager dans ce travail.

Dès lors, cette mini-recherche est l’occasion de tester et d’approfondir les théories socioanthropologiques en les confrontant à mon «terrain» favori, le football!

1. Terrain préliminaire

1.1. Entre enthousiasme et craintes

Bien qu’enthousiaste à l’idée de découvrir «les coulisses» d’un club de football, plusieurs questions demeurent. Est-ce que des théories socioanthropologiques — développées en cours — allaient réellement me permettre de faire la lumière sur le fonctionnement et les enjeux de l’aumônerie en milieu sportif? Comment être suffisamment crédible pour que des gens acceptent de me laisser un accès à «leur monde»? Au-delà de ces préoccupations qui ont trait à la validation future de ce travail, il y a des appréhensions plus personnelles: partager le quotidien d’inconnu·e·s dans un pays où la météo est souvent maussade, ou encore, passer une semaine à «parler de sport» sans en pratiquer.

1.2. Des aumônier·e·s du sport, en Suisse…

Parallèlement à la demande formulée par Prof. Olivier Bauer auprès de son contact, aumônier d’un club de foot anglais, je contacte, par mail, l’ensemble des clubs de Ligue 1[2] en leur demandant si leur institution possède un service d’aumônerie. Sur les vingt clubs composant ce championnat, seul quatre ont la gentillesse de me répondre. Malheureusement, aucun d’eux ne possède d’aumônerie.

Par l’intermédiaire d’une connaissance, je peux également m’entretenir avec deux agents de joueurs, en Suisse, et aucun d’eux n’a connaissance d’un tel service dans nos championnats nationaux.

Alors que l’aumônier anglais propose gentiment de m’accueillir, la préparation du travail consiste à m’informer sur ce domaine, tant par des rencontres que des lectures.

Alors que ce service est marginal en Suisse, un aumônier et une aumônière acceptent de me rencontrer. Par ces entretiens, mon souhait est de saisir ce qu’est l’aumônerie sportive en Suisse. Qui est aumônier·e (formation, exigences), quelles sont leurs missions et comment cela s’organise ; c’est-à-dire quand, où, pour qui, comment, qui finance, quelles sont les difficultés rencontrées ou encore, quelle serait une aumônerie idéale. Ce panorama doit permettre d’être «efficace» une fois sur place ; notamment en orientant mon regard sur ce qui aura été dit.

Ces premières démarches sont «faciles», car tous deux ont accepté de me rencontrer. J’ai contacté G. par mail via une adresse trouvée sur le net. Le percevant comme théologien, j’ai mis en avant le fait d’être étudiante en «Faculté de théologie et sciences des religions».

Pour l’entretien avec S., le cycle de conférences «sport et religion» m’a permis de m’approcher d’elle et de lui faire part de mon intérêt à explorer la thématique de l’aumônerie sportive, dans le cadre de mon cursus académique. Quelques mois plus tard, nous nous sommes rencontrées, pour un entretien, à l’Université de Lausanne.

1.2.1. Rencontre avec G.

Mercredi 18 septembre, 15 heures, j’arrive à son domicile situé dans un village résidentiel de France, près de Genève. Portail ouvert sur une large cour, maison de plain-pied bordée d’un jardin. Madame m’accueille et m’invite à m’installer sur la terrasse. Alors que son époux se présente, elle apporte de l’eau et des cookies faits maison. J’ai la sensation d’être dans «Desperate Housewives» ! G. semble avoir la soixantaine, habillé d’un pantalon clair et d’une chemise bleue, il m’apparaît bien dynamique. Dès sa première phrase, je ne suis plus dans la série américaine ; mon hôte s’exprime sans accent ! Tout en me tutoyant, G. me demande si je suis moi-même croyante. Cette question n’est pas anodine et sera régulièrement formulée par mes interlocuteur·trice·s. Nul doute que ma réponse va conditionner une partie de sa manière d’être et son discours, notamment la question de l’évangélisation par le sport que nous analyserons ultérieurement. Néanmoins, mon parti pris est celui de l’honnêteté, je réponds donc que je n’ai pas de confession ni de croyance particulière, mais que ceci n’est pas un obstacle au fait de m’intéresser au fonctionnement de l’aumônerie dans le sport. Après ça, l’entretien (enregistré avec son accord) démarre. Durant deux heures, il revient sur son passé, sa «rencontre» avec Dieu, son cheminement spirituel et ce qui l’a conduit à assumer une place dans un ministère. Enfin, il aborde ses premiers pas en tant qu’aumônier du sport: comment est-il arrivé à ce poste? Quelles sont les «consignes» reçues? Comment se sont passées les présentations avec les joueurs (réactions, accueil, évolution et demandes)? Finalement, nous abordons sa vision de l’aumônerie en nous penchant sur les «bonnes et mauvaises pratiques».

G. est issu d’une famille américaine ayant émigré en Europe en 1955. Né à Paris en 1956, ses parents déménagent dans une commune «chic» de Genève, en 1957. Il y vit avec ses deux parents et ses deux frères. G. se définit comme un «expatrié typique». Sa famille fait partie de l’Église épiscopalienne[3].

«J’étais 100 % américain à la maison et 100 % suisse à l’extérieur. Mon père était homme d’affaires.»

«En fait [l’Église épiscopalienne], c’était un club. Moi j’y allais, je dessinais. J’ai toujours cru en Dieu, mais sans plus. (…). Ma mère était une croyante, mais sans plus. (…) c’était plutôt social. Il y avait le culte c’est vrai.»

Enfant, G. fréquente l’école publique de sa commune. À 15 ans, il est inscrit dans une école internationale de Genève, puis à l’Aiglon Collège de Villars-sur-Ollon. Par la suite, il rejoint un lycée non mixte aux États-Unis, avant d’entamer des études d’espagnol et de business dans une université new-yorkaise. À l’issue de sa première année d’université:

«J’étais hippie, j’avais des cheveux longs. Je fumais du haschich (…) Je vivais, pour moi j’appelle ça une vie de débauche aujourd’hui ; je n’étais pas bien dans ma peau. Je voulais arrêter l’université un an pour aller découvrir le sens de la vie. Donc en 1976, je suis rentré à Genève, j’ai pris mon sac à dos et suis parti découvrir le monde.»

Avec le soutien de ses parents, il quitte la Suisse en train, traverse les pays de l’Est pour arriver en Grèce. Après six semaines de soleil, de rencontres et de haschich, G. se sent lassé. Une connaissance rencontrée sur place lui conseille de travailler et il s’envole pour l’Israël. Après trois semaines de cueillette d’olives dans un kibboutz, nouveau départ pour Jérusalem. Sur place, un guide l’oriente vers le tombeau de Jésus.

«Je suis allé au Mont-Golgotha. J’ai été envahi d’émotions. J’ai pleuré comme un bébé.»

Sur les conseils d’une autre rencontre, il met le cap sur l’Inde. Il fait la route en bus avec une quinzaine de personnes qui se rendaient en Inde «pour la drogue». Là-bas, il a un déclic:

«À New Delhi, les gens ont commencé à sortir les seringues pour se shooter et là c’était pas moi. Alors je crois qu’on a tous un niveau de conscience, on se permet des trucs et à un moment ça fait {bruit de sonnette/d’alerte} puis là, faut pas briser sa conscience. Là c’était terminé. J’ai quitté le bus. Ça faisait cinq mois que je voyageais. J’étais dans la rue et c’est là où l’événement de ma vie est arrivé. (…) Le lendemain, je rentrais. (…) Là, il y avait un gars, un Occidental (…), il donnait des bouts de papiers aux gens, un chrétien. Je commence à discuter (…) un Hollandais, vachement sympa le type. (…) On est allé boire un coca. Il me dit “G., est-ce que je peux te montrer un verset dans la Bible?” Alors moi, les chrétiens j’en connaissais aux États-Unis, ce n’était pas mon truc du tout. Pour moi, ils avaient une vie pas intéressante, tout était interdit. (…) {Le hollandais dit: } La Bible c’est le best-seller de tous les temps, tu devrais connaître au moins un verset. (…) Il a ouvert la Bible à Jean 3, 7. (…) “Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.” Alors il m’a dit: écoute ce verset te donne un choix (…) il a donné son fils unique… c’est qui ça?… moi j’savais pas: Jésus Christ et là paf, flash-back en Israël. Là, tout d’un coup la Bible, tiens, il y a un truc historique. (…) Il m’a dit que Jésus est mort et ressuscité pour ton péché. Alors tu as un choix: tu peux dire non c’est faux et tu périras (…) si tu permets que Jésus te pardonne tes péchés tu auras la vie éternelle. Et il a dit: “et toi tu en es où?” (…) Je savais que j’étais pécheur. (…) Est-ce que Jésus est capable de me pardonner tous mes péchés? Alors ça, je ne savais pas. (…) Je me suis dit: bon G., c’est simple, si c’est faux, rien n’arrivera dans ta vie (…). Si c’est vrai et s’il peut vraiment me pardonner tous mes péchés, tout va changer dans ma vie. (…) Alors il m’a dit: “G. est-ce que tu veux recevoir Jésus Christ dans ta vie maintenant?” Alors j’ai dit non je ne suis pas prêt, je me suis levé (…), le gars il m’a suivi dans la rue et m’a dit: “G. repends-toi de tes péchés maintenant, demande à Jésus Christ de te pardonner tes péchés et ta vie va radicalement changer.” Et j’ai dit OK, alors dans la rue (…) j’ai dit, c’était le 2 novembre 1976 (…): J’ai baissé ma tête, j’ai dit: “Jésus, je sais que je suis pécheur, je veux être pardonné (…) je te demande de rentrer dans ma vie, d’envahir ma vie, de pardonner mes péchés et, comme le verset dit, de me donner la vie éternelle.” (…) Je m’attendais à un tonnerre, une voix, rien ! Sauf que j’étais convaincu qu’un truc profondément bouleversant venait d’arriver à ma vie.»

De retour à son «hôtel», voyant ses compagnons de route se droguer, G. trouve la situation «stupide» et leur donne les deux paquets de haschich qu’il lui reste.

«Comme ça, en vingt minutes ! C’est quand même dingue ! (…) Pour moi, c’était radical.»

À son retour à Genève, G. se dit:

«Mes pauvres parents ! Je pars hippie et je reviens Jesus fanatic

La maman réserve un accueil favorable au discours de son fils. En revanche, le papa est fâché. En effet, depuis sa conversion, G. a cessé d’écrire à ses parents ; n’osant pas leur raconter ce qui se passe dans sa vie.

À la rentrée, il s’envole à New York, poursuit ses études, en précisant que ses notes ont augmenté. Parallèlement à ses études, G. fréquente un groupe de chrétien·ne·s évangéliques de l’université. Au sein de cette bande, G. se découvre une passion pour la Bible, au point que, à la fin de ses études, G. réfléchit à la façon dont il pourrait occuper une fonction dans un ministère. Cependant, contraint de gagner sa vie, G. s’engage comme steward dans une compagnie aérienne. Au détour d’une escale, une amie lui présente «une amie chrétienne rencontrée dans l’avion». Cette femme a connu une aventure semblable de conversion et deviendra sa femme. «Par chance», je cite, la compagnie fait faillite et c’est l’occasion pour lui de se lancer dans un master de théologie, à Los Angeles. Ce cursus lui permet, entre autres, d’apprendre à préparer et transmettre un message (en tant que pasteur) tout en demeurant fidèle au texte. En évoluant comme chrétien, G. prend conscience du lieu dans lequel il a grandi: Genève. Et se prend d’admiration pour Jean Calvin. À l’issue de ce cursus, il souhaite devenir missionnaire, comme celui qu’il avait rencontré en Inde, tout en désirant revenir en Suisse.

Après une expérience de dix ans à Paris, comme «implanteur» d’Églises évangéliques protestantes, il rentre à Genève en 1997. Depuis, il officie comme pasteur évangélique. Parallèlement, il aide à ouvrir de nombreuses Églises évangéliques dans la région genevoise, en France et en Suisse.

Il y a 18 ans, G. reçoit un appel des États-Unis. Un homme se présente comme faisant partie de Hockey Ministries International (HMI) et lui propose d’être aumônier d’une équipe de hockey. Sa première réaction est de dire que l’aumônerie n’existe pas en Suisse. Son interlocuteur lui explique qu’un américain, évangélique, a acheté cinq clubs de hockey en Europe, dont un en Suisse. Ce propriétaire souhaite un aumônier pour son équipe. G. le remercie pour son intérêt, mais décline l’offre en précisant que le sport et le hockey ne l’intéressent pas. Cette réponse déclenche l’enthousiasme de son interlocuteur:

«Parfait ! Nous on ne cherche pas quelqu’un qui veut se prendre en photo avec les joueurs de hockey. Nous on ne veut pas quelqu’un qui s’intéresse à la célébrité. Nous on a besoin d’un gars qui s’intéresse aux joueurs en tant que personne.»

Une rencontre est organisée avec le staff et G. déclare:

«On s’est entendu vachement bien. (…) on est devenu copain tout de suite.»

La demande est que l’aumônier soit disponible pour toutes les phases difficiles rencontrées par les athlètes ; blessures, ruptures relationnelles, baisse de performances, etc. L’idée est que le staff technique encadre et accompagne les hockeyeurs vers des performances individuelles et collectives, mais que, pour y parvenir, les joueurs ont besoin d’être bien dans leur tête. Pour reprendre les propos de mon interlocuteur: «l’aumônier n’est pas là pour les aider à marquer, mais est présent s’ils ont besoin d’être aidés émotionnellement ou spirituellement.»

La première rencontre entre G. et l’équipe a lieu dans les vestiaires. Le coach présente G. comme l’aumônier de l’équipe. Dans son discours, le néo-aumônier leur explique que l’on peut, je cite «gagner toute sa vie et perdre son âme[4].» Il complète en leur rappelant qu’ils sont des professionnels, jeunes, beaux, célèbres et avec une âme et qu’il ne saurait pas les aider pour le hockey, mais est disponible en cas de moments de crise, de doutes. Il précise que chacun peut avoir envie ou besoin de parler avec une personne pouvant les aider pour leur âme. Enfin, il utilise une métaphore:

«Vous avez chacun une bouteille d’eau, maintenant, vous avez aussi une bouteille spirituelle, donc si vous avez soif, vous venez me voir. Si vous n’avez pas soif, jamais je ne m’imposerai.»

Pour ce travail, G. dispose d’un badge donnant accès à l’ensemble des installations du club. Personne ne sait réellement en quoi consiste l’aumônerie, pas même lui ! Pour commencer, G. se rend deux fois par semaine aux entraînements, salue chacun dans le vestiaire et assiste aux matches «à domicile». Un jour, G. se confie ses doutes à un membre du staff. G. n’a pas l’impression que ça «match» entre les joueurs et lui ! L’homme lui conseille d’apporter des donuts aux joueurs. Devant l’absence de donuts, en Suisse, G. emporte des brownies préparés par sa femme. La magie opère !

Conjointement à sa présence aux matches et dans les vestiaires, G. planifie des «chapels». Lors d’une visite dans le vestiaire, il explique au groupe son projet: deux fois par mois une étude de vingt minutes portant sur un sujet choisi par le groupe et toutes les réponses seront tirées de la Bible. Chaque joueur inscrit des thèmes sur une feuille et l’aumônier annonce l’étude et le sujet choisi deux jours avant la séance. Argent, sexualité et attentats font partie des questions abordées lors de ces «chapels». Ces moments se déroulent après un entraînement, en semaine. Chaque joueur présent peut repartir avec des notes. L’aumônier précise qu’il y a environ quatre à cinq participants par séance.

L’aumônier explique que sa présence autour de l’équipe (entraînements et matches), dans les vestiaires, avec des brownies, lui permet de saisir l’atmosphère, de sentir qui va bien ou non. Cependant, l’essentiel se passe sur «demande» et là, les rencontres se font en toute discrétion «hors club». Ces demandes peuvent être dans des moments «difficiles» ; comme une blessure ou une rupture. L’aumônier est également sollicité lors d’événements plus «joyeux». À deux reprises, G. a accompagné un hockeyeur souhaitant se marier. Dans la démarche, G. précise toujours attendre d’être sollicité, en insistant sur le fait d’être jamais certain d’être à sa place. Toujours dans le but de «créer un lien» avec les athlètes, G. organise ponctuellement des barbecues chez lui. Ces moments permettent une convivialité entre les joueurs, mais aussi entre l’équipe et lui, en dehors du hockey.

Lorsqu’il assiste aux matches «à la maison», G. se balade, discute avec le public et les personnes présentes. Cette posture lui a permis de rencontrer un directeur d’EMS. De leurs discussions naît une association, chargée de placer des aumôniers dans les EMS de la région.

Outre sa présence aux matches, les moments conviviaux ou les études, G. parle de son rôle lors d’événements tragiques: au décès d’un membre élargi de l’équipe, la famille du défunt le mandate pour conduire la cérémonie funèbre. À cette occasion, le monde du hockey «local» est présent.

À la question de savoir si les hockeyeurs fréquentent une Église en dehors de l’aumônerie, G. attire notre attention sur le fait que, pour un sportif, il est compliqué de fréquenter une Église (horaire, fan), mais aussi en raison de la langue. Pour exemple, G. prêche en français dans son Église, alors qu’il intervient, au sein du club, en anglais.

Après avoir abordé ces différents thèmes, G. me montre un reportage et plusieurs coupures de presse traitant de son travail en tant qu’aumônier. Finalement, il m’offre «la Bible» et «la Bible du Hockeyeur» en précisant que je suis la bienvenue à un culte dans son Église.

1.2.2. Rencontre avec S.

Dans le cadre de conférences sur le thème «sport et religion», S. a partagé son expérience d’aumônière sportive et d’athlète olympique. Sa double posture représente un intérêt en début de travail. Alors que la problématique n’est pas clairement définie — en ignorant encore si l’intérêt va être sur l’aumônerie en tant que dispositif ou sur la façon dont les sportifs et sportives utilisent ce service —, il est intéressant d’avoir le regard de quelqu’un qui a vécu les deux situations. En tant qu’athlète avec les besoins et contraintes inhérentes au sport d’élite et la vision de l’aumônière. Aussi, sa position d’athlète femme est intéressante pour éclairer les difficultés et spécificités que rencontrent les athlètes femmes.

Ainsi, j’ai profité de ce cycle de conférences pour lui parler de mon projet de recherche et elle a gentiment accepté de m’aider, en m’accordant un entretien. Pour préparer au mieux ce moment, j’ai écouté, lu et regardé ses diverses communications dans la presse. Ce travail préalable m’a permis de me faire une idée de la personne et de son parcours. Le défi de l’entretien est d’aller au-delà du discours porté aux médias.

Ainsi, notre entrevue s’est déroulée le 1er novembre 2019, de dix heures à midi, dans la salle de conférence située à côté du décanat de la FTSR. En ayant à l’esprit de comprendre qui et comment on devient aumônière sportive, il est nécessaire de lui permettre de développer son parcours. Durant deux heures, S. est revenue sur son parcours d’enfant et de sportive, en apportant une attention particulière à sa découverte de Jésus. Cet événement a influencé sa trajectoire et l’a conduite à parler de l’aumônerie. Elle a ainsi abordé ce qui l’a motivé à s’engager sur cette voie, d’abord comme «amatrice», puis en se formant. Comment s’organise son activité, dans quel cadre (institution)? Quels sont les buts de l’aumônerie sportive et ses aspirations personnelles sont autant de questions que nous avons abordés au cours de la matinée.

S. est née en 1982 et a passé son enfance, avec ses deux parents, dans un quartier HLM du Nord Vaudois. Elle décrit une situation familiale «pas rose» avec un papa malade, à l’AI. Passionnée de hockey, à l’âge de huit ans, elle s’imagine participer à des Jeux olympiques.

«J’ai rêvé des JO à huit ans. Ce n’était pas encore une discipline olympique, ça faisait marrer tout le monde.»

Elle voit également dans cette participation aux Jeux olympiques, la possibilité de sortir de son milieu, de sa ville et des difficultés familiales. Enfant, elle se souvient de sa maman racontant des histoires de Jésus. Elle complète en disant:

«J’ai été envoyée au catéchisme protestant. C’était très ennuyeux pour moi. Je suis très dynamique et j’aime bien bouger. La forme présentée était très statique (…) fallait s’asseoir et écouter. Moi je me disais que si vivre avec Dieu c’est ça, ben moi je ne peux pas. Je suis dynamique, j’aime bouger, être dehors ; vivre quoi. Je pense que j’ai toujours cru en Dieu, mais ça ne faisait pas partie de ma vie.»

C’est que plus tard, à l’occasion d’un tournoi de qualification en vue des Jeux olympiques de Salt Lake City, qu’elle rencontre Jésus:

«À dix-sept ans, on avait la possibilité de se qualifier pour les Jeux olympiques de Salt Lake City. On était à un tournoi de qualification. (…) Pour un but, on a loupé la qualification. Pour moi, c’était la crise. C’était mon objectif de vie. (…) Après le match, c’est là où j’ai fait la rencontre de Jésus. (…). J’ai crié à Dieu, j’ai tout foiré, j’ai plus rien, prends ma vie, fais ce que tu veux avec. C’est là où j’ai été remplie de sa paix.»

Après cet épisode, elle poursuit sa carrière sportive, tant en club qu’avec l’équipe nationale suisse. Malgré son statut d’hockeyeuse internationale suisse, S. est amatrice dans son sport ; c’est-à-dire qu’elle n’est pas rémunérée pour jouer. Ainsi, après l’école obligatoire, elle entreprend un apprentissage d’employée de commerce dans une société de l’arc lémanique, tout en jouant pour une équipe alémanique. Tout au long de sa carrière S. conjugue travail salarié et sport de haut niveau, avec comme conséquences des «horaires de fous». Pour exemple, S. prend un congé sans solde de six mois pour préparer les Jeux olympiques de Turin.

«Pendant sept ans, j’ai eu à tout casser une semaine de vacances. (…) Quand tu te plantes, ça fait mal. Je voyais l’intensité qui montait. Pour avoir des congés pour le hockey, on me demandait des résultats dans la banque. Au hockey fallait certains résultats pour être sélectionnée. Enfin, j’étais un peu pressée de tous les côtés. Ma situation familiale se dégradait. Donc avec tout ça, qui est-ce qui pouvait m’aider? Alors quand il y a eu cette cassure, c’était une évidence ben Dieu est là.»

Après cette rencontre avec Jésus, elle pense son rêve de Jeux olympiques irréalisable, mais elle accepte la perspective d’une vie éternelle (offerte par Jésus) en échange de son rêve. Néanmoins, une nouvelle occasion de qualification se présente et l’équipe suisse participe aux olympiades de Turin. À la suite de ces Jeux, elle met fin à sa carrière de hockeyeuse et décide de «mettre Jésus et non plus le sport au centre de sa vie».

Après sa retraite sportive, S. s’engage sur un bateau d’»Opération Mobilisation[5]« (abrégé OM[6] !). Il s’agit d’un «organisme missionnaire international, actif dans plus de 110 pays. (…) Le rôle d’OM dans l’Église est de mobiliser les chrétiens pour qu’ils fassent connaître Jésus et partagent Son amour avec chacun, sans distinction d’âge et de nationalité»[7]. À bord, quelque trois cents missionnaires protestant·e·s évangéliques vivent et s’engagent dans différents projets pour venir en aide à des populations vulnérables. À chaque port, une action différente se met en place, en collaboration avec des associations locales. À côté des interventions concrètes, des joutes sportives s’organisent. Peut-être en raison de son passé de sportive d’élite, ces espaces sont ceux que S. préfère. Dès lors, à son retour en Suisse, elle se consacrera à l’aumônerie en milieu sportif.

  • L’aumônerie sportive, qu’est-ce que c’est?

Sa découverte de l’aumônerie se fait avant les Jeux de Turin. L’organisation «Athletes in Action» fait partie du «Multi-Faith-Centre», représentant les grandes religions et traditions. Cet espace se trouve au cœur du village olympique. Sur place, elle rencontre un aumônier et participe à des temps de prière.

«c’est la première fois que quelqu’un priait avec moi dans ma pratique sportive.»

Après son expérience avec l’équipage d’OM et une fois de retour en Suisse, elle entame sa «formation» d’aumônière sportive. Cependant, parce qu’aumônier·e n’est pas un titre protégé, elle décide de «s’équiper» à l’aide de différentes formations. La première est une école biblique (actuel HET-pro). Les multiples enseignements lui permettent une réflexion sur sa foi et son implication, d’étudier les textes en les contextualisant et aussi de se familiariser avec la théologie pratique. Par une seconde formation, «Sport mental Ausbildung», S. accède et exerce des techniques d’entretien. «Sportler ruft Sportler»[8] est une organisation chrétienne qui dispense, notamment, des enseignements basés sur la théologie du sport ; qu’est-ce que la Bible dit du sport? Enfin, et parce que le sport a trait au corps, S. a suit une formation en lien avec la prise en charge de personnes victimes d’abus sexuels. L’absence de formation fait que les aumônier·e·s ont des profils et des formations variées. Cependant et comme pour beaucoup de professions, il existe des réseaux d’aumônier·e·s, permettant notamment d’échanger sur les pratiques et de bénéficier de supervisions. De plus, il semble important de relever qu’au-delà des diplômes, c’est la personnalité de l’aumônier·e, sa posture, sa discrétion, sa probité qui vont faire foi. Parmi les différences, les aumônier·e·s avec une fonction de pasteur pourront proposer des sacrements ou des services religieux. Le champ de pratique varie également. Actuellement, S. propose — entre autres — un service aux athlètes chrétiens qui, par leur activité, n’ont pas la possibilité d’appartenir à une communauté chrétienne. Dans sa pratique, elle échange «à distance» (WhatsApp, Skype) avec les athlètes. Au cours de l’entretien, elle me met en garde contre les objectifs poursuivis par les différents organismes proposant un service d’aumônerie aux sportif·ve·s. En effet, elle opère une distinction entre «in sport VS through sport». Le «in» revient à être présent en soutien aux athlètes: une personne bienveillante, disponible, à l’écoute. Alors que le «through» renvoie, selon elle, à un objectif d’évangélisation. Le but de ces aumônier·e·s est de faire connaître Jésus à tou·te·s, en se servant du sport[9].

Son positionnement est dans le «in» en complétant ainsi:

«J’amène pas de dogme dans le sport, j’amène le Christ. J’amène des interpellations. J’amène à réfléchir, à cheminer selon là où il en est.»

Ce dernier point est crucial, «là où il en est», S. parle ainsi de «discipulat». Cette notion signifie, pour elle, que la personne est déjà convertie et qu’elle va l’accompagner dans ses réflexions, alors que la personne missionnaire va chercher à convertir.

Cette notion sera abordée par chacun·e des aumônier·e·s rencontré·e·s lors de ce travail et fera l’objet d’une analyse en seconde partie de travail.

À terme, S. souhaite s’intéresser aux sportif·ve·s en fin de carrière.

«Les clubs investissent dans la formation, mais pas quand c’est fini parce que ça rapporte rien. (…) Les aider, être disponible quand il n’y a plus rien. Je proposerai un service holistique ; de transition professionnelle. Financièrement, comment gérer soit même son argent alors qu’avant c’était quelqu’un d’autre? Traitement somatique (…) comment prendre soin de son corps après?»

1.3. Aumônier·e en Suisse: deux parcours et beaucoup de points communs

En préambule, j’ai eu la chance de rencontrer un aumônier et une aumônière actif·ve en Suisse romande. Il semblerait que G. et S. soient les seuls dans notre région et que l’ensemble de leurs «collègues» exercent de l’autre côté de la Sarine.

Il est intéressant de se remémorer leurs parcours. Tous deux ont été sensibilisés au christianisme dans leur enfance. Cependant, c’est une fois jeune adulte et dans une période de doutes que nos deux «guides» rencontrent Jésus, personnellement. G. et S. sont ce qu’Olivier Roy nomme des «born again[10]«, c’est-à-dire des individus sans croyance ni relation particulière avec Dieu et qui, face à des événements marquants font la rencontre de Jésus. Cette rencontre marque un avant et un après dans leur vie personnelle, spirituelle et professionnelle. Je postule que sans cet événement, aucun d’entre eux ne se serait orienté vers l’accompagnement spirituel d’athlète.

Ces deux entretiens sensibilisent à un aspect important: il n’y a pas de formation d’aumônier·e du sport. L’un est pasteur, l’autre a suivi différentes formations qu’elle juge nécessaires pour accompagner au mieux les sportif·ve·s. G. est employé par un mouvement américain qui finance son Église de Genève. S. est rattachée à une organisation sportive internationale chrétienne. Dans les deux cas, leurs services sont rétribués par des organisations chrétiennes et non pas par les bénéficiaires. Fort de sa formation de pasteur, G. peut donner des sacrements et célébrer des actes pastoraux alors que S. reste sur des moments de prière.

G. et S. nous permettent également de mieux saisir le quotidien des athlètes (entraînements, siestes, déplacements, matches, travail salarié). Leurs obligations professionnelles (sportive ou hors sport pour S.) font qu’il est compliqué d’appartenir à une communauté de foi. En outre, la contrainte à la performance les rend vulnérables: à qui confier ses difficultés personnelles alors que chacun veut être titulaire? Comment partager ses doutes avec son entourage alors que tou·te·s souhaitent la réussite du/de la sportif·ve sans pour autant être conscient·e de leur quotidien? Ces deux entretiens nous amènent à comprendre le rôle de l’aumônier·e et les «règles du jeu»:

  • Discrétion et confidentialité.
  • Intérêt pour l’humain ; ex.: s’intéresser à Megan et non pas à Rapinoe[11], médaillée olympique et double vainqueur de la Coupe du monde.
  • Être disponible sans imposer ses croyances ; distinction faite entre «in sport» VS «through sport».

En dehors des impératifs précédemment cités, on remarque que G. n’a pas de cahier des charges et que S. est libre de proposer différentes formes d’accompagnement. En faisant partie de l’équipe d’un «Multi-Faith Center», S. peut assurer une présence à un stand, tout en rencontrant les athlètes en dehors de ce cadre: en allant voir des compétitions par exemple.

2. Sur les pas du foot anglais

2.1. Avant de partir

La préparation de ce travail de terrain a suivi différentes étapes. En premier, il a fallu prendre contact avec des personnes actives dans le domaine de l’aumônerie sportive. Pour cela, Prof. Olivier Bauer a eu la gentillesse de me faire bénéficier de ses contacts. Ainsi, nous avons formulé une demande de stage à J., aumônier dans un club mythique d’Angleterre. Craignant un refus du club[12], il propose de me mettre en contact avec des aumôniers du sport et des personnes travaillant au sein d’équipe de football. Rapidement J. me communique une proposition de planning pour la semaine, en précisant que je peux loger chez sa femme et lui. La lecture d’articles sur l’aumônerie sportive et ses acteurs, la rencontre de deux aumônier·e·s actif·ve·s en Romandie, ainsi que d’assister au cycle de conférences «sport et religion» m’ont permis d’avoir une idée générale de cette activité. Cela a également été utile pour construire plusieurs grilles d’entretien, tant pour des staffs que les aumônier·e·s. La rédaction d’un «protocole de recherche», expliquant le but de mon travail, le cadre et le traitement des données a clos cette préparation. Pour la petite histoire, ce protocole — qui m’a occupé tout un dimanche après-midi — était totalement inutile. Mon intermédiaire m’a permis de faire accepter ma présence et mes questions sans avoir à négocier moi-même mon entrée ou l’accès à mes interlocuteur·trice·s.

2.2. Entrons dans le vif du sujet

2.2.1. Qui Quoi Où Quand Comment Pour qui?

  • Lundi 21 janvier 2019, 18 heures:

J. m’attend dans le hall d’arrivée de l’aéroport, une pancarte portant mon nom, à la main. Après des salutations, nous nous dirigeons vers son véhicule. C’est amusant, car, très vite, il me dit ne pas se souvenir de sa rencontre avec Prof. Olivier Bauer. Toutefois, chaque fois qu’il y fera référence, notamment quand il me présentera à nos différent·e·s interlocuteur·trice · s, il prendra le soin de dire «Professeur Bauer» et non pas «Monsieur». Passé les «échanges traditionnels», nous sommes silencieux. Par chance, J. reçoit, sur haut-parleur, un appel d’un supporter de son club. Ce dernier demande à mon hôte d’animer la célébration en mémoire d’un événement tragique ayant touché le club, il y a plus d’un demi-siècle. Très rapidement, J. mentionne que nous sommes deux à l’écouter et lui explique ma présence. L’appel dure environ cinq minutes. J. accepte la mission en précisant qu’il le rappellera la semaine suivante, pour en discuter. Cet appel me lance dans le vif du sujet, tant sur le rôle que peut jouer l’aumônier que sur l’histoire du club. En raccrochant, J. me détaille l’événement, en me précisant que les nombreux décès et blessés ont durablement marqué l’institution et les supporter·trice·s. Il complète en précisant qu’il a, par le passé, animé une commémoration de cet événement. La cérémonie était organisée par le club, en présence des joueurs actuels, des anciennes gloires, des survivants et de nombreux·ses sympathisant·e·s. Après cet appel et toujours dans la voiture, il me parle de sa famille et de ses débuts comme aumônier.

Pour permettre un regard plus complet sur la personne de J., je fais le choix d’intégrer à sa présentation sa rencontre avec Dieu. Ces informations ont été recueillies lors de nos différents trajets en voiture.

J. est né en 1949 et venait de fêter ses 70 ans, en famille, à Disneyland Paris. Il est marié depuis 35 ans à «Ms B.[13]«, qui est, de formation, enseignante d’anglais. En apprenant ceci, ma première réflexion est «la pauvre, elle va m’entendre faire mille fautes durant la semaine !». Enfant, J. suivait — les mercredi et dimanche après-midi — des cours sur la vie de Jésus. De ses propres mots, cela lui paraissait lointain. L’école obligatoire achevée, à 18 ans, il entreprend (et termine) une formation pour devenir enseignant de géographie. Sur son lieu de formation, il y a un groupe d’étudiant·e·s qui organise des «pizza party», diverses réunions et propose des moments de lecture de la Bible. Ce qui interroge le plus J. est que ces jeunes disent être en contact avec Dieu. Cette déclaration l’intrigue et ces chrétien·ne·s attisent sa curiosité. J. les trouve sympathiques (il semblerait que les pizzas aient joué un rôle au départ) et décide de participer à plusieurs de leurs soirées. J. leur demande aussi conseil sur des lectures. À ce moment-là, son but est de comprendre l’esprit et le message de Jésus. Progressivement, J. dit laisser Jésus entrer dans sa vie et accepte de ne pas être parfait (à l’inverse de Jésus). Sa «révélation[14]« intervient grâce à un livre, au dos duquel figure une prière dans laquelle le lecteur demande pardon à Dieu d’avoir vécu pour soi-même. À la lecture de ces lignes, J. ressent un changement. Il précise que la prière était un moyen pour lui de laisser Jésus entrer dans sa vie et d’avoir une relation avec «Lui». Dès lors, il fréquente assidûment ce groupe, tout en étudiant. Parmi les membres, il y a A., son épouse. Il dit que tous deux s’entendaient bien et avaient une vision commune sur leur vie future (mariage, enfants).

Pendant cette formation, J. fait à sept ou huit reprises le même rêve: Dieu lui demande de travailler pour un ministère. Intrigué, il se résigne à en parler à un pasteur qui lui répond que ce rêve représente la volonté de Dieu. Face à ce dilemme (enseignant de géographie ou pasteur) il consulte A., qui lui répond:

«I will support you as a teacher or in a ministry because it’s what’s God’s will».

Après leur mariage, J. entame des études de pasteur alors que son épouse travaille comme enseignante d’anglais pour, je cite, «payer les factures». Dès la fin de ses études, J. occupe la fonction de pasteur dans une ville de l’agglomération de Londres. C’est là-bas qu’il entame sa «carrière d’aumônier» dans le club de foot local, pensionnaire de Premier League[15]. Pour une raison que j’ignore, le couple déménage pour leur ville actuelle. Ils ont deux fils. Le premier vit à cinq minutes de voiture de chez ses parents, officie comme pasteur, marié et père de trois enfants. Le second vit à Londres avec sa femme et ses deux enfants. Il exerce le métier de photographe pour une célèbre agence de presse mondiale.

En 2014, J. prend sa retraite en tant que pasteur. Quelques mois auparavant, il informe également le club de sa retraite à venir, convaincu de devoir stopper sa carrière à 65 ans. Cependant, le club souhaite que son aumônier reste encore deux à trois ans. Ce temps doit leur permettre de trouver un successeur à J. De plus, l’institution projette que son aumônier anime le moment de commémoration du drame survenu un demi-siècle auparavant. Cette cérémonie est agendée en 2018. Durant cette période, J. consacre deux jours par semaine au club, contre trois auparavant. Tout comme c’était le cas pour G.[16], J. est salarié de son Église et le club fait un don à l’institution ecclésiale pour son travail. À la retraite de J. (comme pasteur), le club stoppe les dons au ministère et verse un salaire à son aumônier. Finalement, J. prend sa retraite «sportive» en décembre 2019. Ainsi, à notre rencontre, J. n’est plus officiellement aumônier, mais il a conservé son badge «de travail». C’est grâce à ce sésame qu’il pourra me présenter des personnes travaillant pour le club, au sein des différentes enceintes sportives et administratives.

Toujours en voiture, nous arrivons dans «son quartier», quatre rues parallèles avec, alignées, les mêmes «petites maisons» sur deux étages et une place de parc devant. C’est comme dans les films ! Nous arrivons. La maison a un sas et sa femme vient à notre rencontre. Elle prépare le repas du soir et porte un tablier par-dessus ses vêtements. Après quelques politesses, elle retourne à la cuisine pendant que J. me fait visiter. Au rez-de-chaussée se trouve une salle à manger, un salon, la cuisine et le bureau de J. Au premier étage, il y a la salle de bain, la chambre «d’amis», une mini pièce qui sert de salle de couture à Madame et de salle de jeux aux petits-enfants. La dernière pièce est leur chambre.

Après le tour des lieux, J. me propose un thé et nous nous installons au salon. Son épouse nous rejoint. Tous deux ont pris place sur un canapé et moi sur l’autre. Rapidement, J. me demande si je suis croyante… Cette question me fait sourire, car c’est également la première question que G. m’avait posée. A nouveau, je prends le risque de lui répondre sincèrement. Très certainement qu’une réponse par l’affirmative l’aurait amené à avoir un autre discours.

Tout en regardant un match des U19[17] de son club. J. m’explique son travaille avec les équipes de jeunes[18]. Pour lui, il est important que les jeunes sachent qu’il est disponible. Dans le but de les connaître et «se faire connaître», il organise des discussions autour de thèmes comme l’argent, le succès, la famille, etc… S’agissant des «joueurs pros», J. dit envoyer une lettre aux nouveaux arrivants — pour leur présenter l’aumônerie — et aux «partants» en leur disant qu’il reste disponible, en indiquant quel est l’aumônier du nouveau club ou en conseillant le joueur sur une nouvelle paroisse. Tout comme S. et G., J. souligne la difficulté pour ces joueurs «stars» de trouver une église. Les raisons sont multiples: les contraintes professionnelles liées aux nombreux déplacements, mais également la célébrité. Le risque est d’avoir une Église qui «se fait de la pub» avec un joueur, en devenant une publicité pour le pasteur et l’institution, avec dans l’idée d’accroître les «fidèles» et donc les revenus de la «paroisse». Aussi, lorsqu’un joueur assiste à un office religieux en famille, il n’a pas envie d’être sollicité par rapport à son travail. Un peu comme si, en plein culte, chacun demande à l’informaticien du groupe des conseils pour l’achat d’un ordinateur, l’installation d’un programme, etc. Bien qu’il puisse accompagner un sportif dans sa spiritualité, J. met en garde contre le fait d’utiliser le sport pour évangéliser les athlètes. Ce point fera l’objet de nombreuses discussions et semble partie intégrante de la philosophie de «Sports Chaplaincy UK».

Dans son approche, J. déclare être «around the team». Pour cela, il assiste à des entraînements, aux déjeuners d’équipe, aux matches. Il s’intéresse au joueur en tant qu’individu. Il a ainsi comme posture de demander aux joueurs comment ils vont, comment ça se passe en famille, etc. Lorsqu’un joueur devient père, il va s’intéresser au bébé et à ce que cela implique (nuit blanche, organisation familiale). En revanche, il ne pose pas de question sur le foot ni ne se permet pas de commenter les performances individuelles ou collectives.

Selon lui, il faut compter deux à trois ans pour se faire accepter par l’équipe. Il décrit ce processus à l’aide d’un cercle, d’abord situé à l’extérieur puis il périphérie, c’est à force de disponibilité et de travaille pour gagner la confiance du groupe qu’il entrera dans ce cercle. Désormais «in[19]«, au même titre qu’un autre membre de l’équipe[20]. Dans cette perspective, il est important de créer un lien avec les jeunes qui, potentiellement, devront alimenter, dans le futur, la première équipe. Sur le chemin «pour se faire accepter», il mentionne l’importance des «anciens» dans le processus d’acceptation de l’aumônier par l’équipe. Cette remarque reviendra me sera confirmée par d’autres aumôniers. Ce qui apparaît fondamental pour une relation de confiance entre aumônier et joueur est la question de la confidentialité. Cet aspect me sera unanimement rapporté, tant par les personnes travaillant dans l’encadrement des sportif·ve·s que par les aumônier·e·s rencontré·e·s. Je lui rapporte que des aumônier·e·s distinguent «in sport» VS «through sport» et lui demande comment il comprend cela. Sa réponse est directe, il dit être présent pour aider les gens. Il veut bien parler de sa foi si on lui demande, mais ne fera pas «le premier pas». Il fait la distinction entre son approche, qui est également, selon lui, celle de «Sports Chaplaincy UK» et celle d’»Athletes in Action». «Sports Chaplaincy UK» a pour ligne de conduite «Pastoral proactive, spiritually reactive». Pour J., cette posture implique d’être disponible, d’aller à la rencontre des individus sans leur imposer ses croyances. Pour appuyer ses propos, il précise que les personnes qui font appel à lui sont de confessions diverses.

Nous prenons le repas dans la salle à manger. C’est une pièce rectangulaire d’environ 13 min 2 s La table est positionnée devant la baie vitrée donnant sur la rue. Les meubles en bois me rappellent l’ameublement chez mes parents, lorsque j’étais enfant. Des dizaines de cadres photos décorent les meubles et tout un pan de mur. Ce sont des photos de leurs enfants et petits-enfants. Ces clichés me permettent de «faire connaissance» avec la famille de J. Avant de manger, il m’explique qu’ils ont l’habitude de prier. Pendant ce moment, J. remercie Dieu pour le repas, pour la journée passée et notre rencontre. A. a cuisiné du saumon, des pommes de terre à l’eau et quelques légumes. C’est très bon et je suis soulagée ! Avant de partir, mon entourage m’avait dit que «les Anglais ne savent pas cuisiner» et ces remarques me faisaient craindre de la nourriture en boîte durant une semaine. En mangeant, J. et A. me racontent leur séjour en Suisse, à l’occasion de leurs 35 ans de mariage. Après le dessert, j’aide J. à débarrasser. Les rôles semblent bien définis: Madame cuisine, alors que J. débarrasse et fait un thé à sa femme. Je commence à comprendre que les Anglais, enfin eux, boivent du thé noir, tout le temps. Détestant ça, j’avais eu la bonne idée d’emporter de la verveine ! Aucun d’eux n’osera goûter ! Après le repas, nous retournons au salon pour regarder la suite du match ; merci le replay.

Durant la seconde mi-temps, J. m’explique l’importance du manager dans le fait d’avoir un service d’aumônerie. Cet aspect avait été développé par G. en Suisse. Il mentionne qu’au sein de son club, le changement de manager a failli remettre en cause son intervention. J’apprendrai plus tard que lorsqu’il a pris sa retraite en tant que pasteur, il a aussi souhaité se retirer du club. Cependant, le club souhaitait que J. prenne en charge la commémoration de l’anniversaire du drame ayant touché les joueurs et l’ensemble. Dans cette perspective, la direction a demandé à J. de rester encore un, puis deux et finalement trois ans. Parallèlement, le club a cherché quelqu’un pour la succession de J. Cependant, la tâche semble compliquée. Comme tous mes interlocuteur·trice · s l’ont exprimé ou l’exprimeront, l’aumônier·e est au service des individus indépendamment de leur statut (star, titulaire, remplaçant·e, encadrant·e) et du club (bas de tableau ou leader européen). Cet impératif d’avoir un·e aumônier·e dont l’intérêt est d’être disponible sans vouloir être «dans la lumière[21]« ni imposer sa foi fait qu’aujourd’hui, le club n’a toujours pas trouvé de remplaçant·e. Face à la difficulté de trouver un·e aumônier·e, l’institution va mettre en place un «Players care area». Ce dispositif ressemblerait davantage à un service d’»assistanat» de joueur, que cela soit pour trouver un logement, une école pour les enfants, une banque, mais ce service n’engloberait pas la dimension humaine ou spirituelle. Tout en précisant qu’un «Players care area» n’englobe pas les questions de foi, J. parle de sécularisation, en complétant qu’il ne pourrait pas distribuer de Bible au sein du club. D’autres aumôniers comprennent cette sécularisation comme le fait que la religion ne fait pas partie du club pour lequel ils sont disponibles.

Avant d’aller me coucher, je garde en tête qu’il me faudra revenir là-dessus. Il est 22 h 30 et il me faudra une petite heure pour mettre par écrit les différents événements et discussions de la journée.

  • Mardi 22 janvier 2019

Réveil à 7 h 45 et il neige. Départ à 9 h 30 pour assister à l’entraînement de l’équipe féminine (du club de J.). L’idée de la matinée est que je puisse m’entretenir avec la physiothérapeute de l’équipe.

Avant cela, le petit-déjeuner me réserve bien des surprises. Quand lors de l’»Atelier de terrain en sciences des religions» l’enseignante avait précisé qu’un terrain ethnographique implique de se familiariser avec des sons et des odeurs, en nous invitant à goûter ce que les gens nous proposent, je m’aperçois qu’elle n’avait pas tort ! Au menu, une sorte de pain aux raisins avec de la marmelade… C’est bien trop sucré à mon goût, mais j’ai faim. Ce moment est l’occasion de faire connaissance avec A., la femme de J.

Départ à l’heure, nous roulons une quarantaine de minutes, nous passons différents ponts et J. me conte l’histoire de la ville et les relations avec d’autres grandes villes anglaises.

Nous arrivons sur place et, première surprise, le bâtiment abritant les installations sportives porte le logo d’un club régional ! J. s’adresse à la sécurité pour connaître le terrain sur lequel s’entraîne l’équipe. Nous reprenons la voiture pour cinq minutes et arrivons au bon endroit. Il neige à gros flocons, J. a «prévu le coup» et s’équipe de chaussures de marche. De mon côté, je regrette déjà mes baskets ! Les joueuses s’entraînent sur un terrain synthétique. Elles occupent un demi-terrain pour un exercice des combinaisons. Je reconnais directement l’entraîneure, qui est une ancienne joueuse de l’équipe d’Angleterre. Un assistant nous propose d’aller nous mettre à l’abri, vers la physiothérapeute. Alors que nous contournons le terrain en direction du banc de touche, plusieurs joueuses font un signe à J., pour le saluer. En faisant le tour, J. me présente, à distance, les joueuses et j’en reconnais certaines. Nous arrivons vers la physiothérapeute. J. lui serre la main et elle l’appelle «Rev[22]«. Il me présente en disant que je suis une étudiante de l’Université de Lausanne et que je m’intéresse à l’aumônerie sportive.

K. est originaire d’Écosse (et pendant dix minutes, je vais devoir m’accrocher en raison de son accent !). Elle a d’abord travaillé comme physiothérapeute, en Écosse, dans une équipe masculine avant de rejoindre ce club-ci. C’est sa première expérience avec un aumônier au sein du club. Cependant, je comprends vite que l’équipe et J. se sont «croisés» dans le sens où l’équipe a été créée peu de temps avant que J. prenne sa retraite. Bien qu’elle dise ne rien connaître de l’aumônerie, elle parle de l’importance de la confiance et de la disponibilité dans sa pratique avec les athlètes. Les joueur·se·s voient le ou la physiothérapeute presque quotidiennement pour les soins, mais davantage en cas de programme spécifique suite à une blessure. Dans tous les cas, si l’athlète a confiance dans le ou la physiothérapeute, il ou elle va se confier. La confidentialité est donc centrale dans la relation à l’athlète. Dans sa pratique, elle parle de différence de fonctionnement entre les hommes et les femmes. Pour elle, les femmes vont toujours demander pourquoi il faut faire tel ou tel exercice, alors que les hommes vont appliquer sans poser des questions. Alors qu’elle exerçait son métier dans une équipe masculine, elle raconte que les hommes l’ont d’abord regardé bizarrement, mais qu’à force, ils lui ont parlé, exactement comme le font les femmes. Son explication:

«I’m a guy»

J. ne semble pas d’accord avec ça, car il complète en disant qu’il est préférable d’avoir une femme aumônière dans des équipes de femmes. Il aurait été intéressant que je demande à K. ce qu’elle entend par «être un mec». Par sa remarque, elle semble adhérer au stéréotype de genre[23] voulant qu’une fille évolue dans un univers dit masculin ne soit pas une fille ou, pas vraiment une fille[24]. J. présente également une vision binaire homme/femme. À plusieurs occasions, il déclare qu’une femme aumônière serait plus adéquate pour travailler avec des femmes. De son côté, J. interprète sa capacité à nouer une relation de confiance avec les athlètes, des équipes jeunes ou professionnelles, par son âge. Pour lui, être comme un grand-père fait qu’il n’y a pas de concurrence entre eux et lui. Dans cette situation, il me faut moi-même lutter contre mes propres stéréotypes qui voudraient lier le positionnement de J. à celui de la religion, qui véhiculerait sexisme et homophobie.

Bien que l’aumônerie reste un mystère pour K., elle aborde la difficulté de gérer l’impact des croyances sur le sport. Par exemple, elle se trouve désarmée face aux athlètes suivant le ramadan[25]. En tant que physio, elle dit pouvoir juste aller sur le terrain médical en prévenant des risques de déshydratation, de fatigue et de blessure. L’aumônier·e lui semble être adéquate pour aborder ce type de questions.

À la fin de l’entraînement, J. et moi nous approchons de la manager. Nous la saluons et elle nous propose de venir dîner avec l’équipe. Il neige encore et ça sera plus facile pour discuter.

Nous reprenons la voiture et arrivons aux premières installations sportives de ce matin. Le bâtiment abrite différentes salles (vestiaires, échauffement, musculation, soins). Depuis le parking (une dizaine de places), nous entrons directement dans une grande salle. Un buffet et quatre tables sont dressés. Un rétroprojecteur diffuse l’image de la première équipe (masculine !).

Figure 1: Équipe féminine: plan de la salle

La physiothérapeute est la première à arriver. Un groupe de trois joueuses, en claquettes et training, arrivent. J. me les présente. Progressivement, les joueuses et le staff s’installent et chacun·e va se servir. Il y a une table avec le staff[26] (où J. et moi sommes assis) et trois tables de joueuses. K.S — la manager — est la dernière arrivée. Juste avant de manger, elle s’adresse à moi — en m’appelant Steffi — et me demande ce que je fais. Je lui dis être étudiante à l’Université de Lausanne et que je m’intéresse à l’aumônerie sportive. Sur un ton pas très convaincu, elle me demande si je souhaite être aumônière. À ma réponse, elle semble soulagée ! Elle m’explique que la présence de l’aumônerie est nouvelle pour elle. En tant que joueuse, elle n’a jamais eu la présence d’un·e aumônier·e autour de l’équipe. En arrivant dans ce club, l’aumônier lui a été présenté comme faisant partie intégrante de l’institution. Cependant, J. lui a été présenté en septembre et il a pris sa retraite en décembre, donc elle n’a pas grand-chose à dire là-dessus. Les autres membres du staff n’ont pas d’expérience de l’aumônerie sportive. Pendant le repas, l’équipe d’encadrement prépare le prochain déplacement de l’équipe. Ils discutent également de l’entraînement. Le ton est très amical. Du côté des joueuses, beaucoup sont sur leur portable ou se prennent en photo. Les petits groupes se «mélangent», en changeant de table notamment. Selon K., le groupe est encore homogène, car récemment constitué et les joueuses jeunes (moins de 25 ans, hormis la gardienne).

Compte tenu de l’importance plusieurs fois rapportée du lien de confiance et de la confidentialité, je ne m’imagine pas, après cinq minutes, aller leur poser plein de questions… Dès lors, ce repas sera plutôt l’occasion d’observer les interactions entre les joueuses et J. Il va se lever à plusieurs reprises pour saluer et discuter aux tables. Les joueuses l’écoutent et semblent lui réserver un bon accueil. Pour approcher les joueuses, il aurait été intéressant de les revoir plusieurs reprises.

À 14 h, nous remercions K.S et partons.

Dans la voiture, je le remercie d’avoir organisé cette rencontre et lui demande où est-ce que K.S a entraîné. Suivant les matches internationaux, je me souvenais d’elle en tant que joueuse. Par cette question, l’idée est d’amener J. à me parler de K.S et de pouvoir aborder certains thèmes liés aux «sports féminins». Dans ce cas, il faudrait plutôt parler de femmes dans des «sports masculins[27]«. Mon souhait est d’approfondir son idée qu’une aumônière femme est plus apte à accompagner des femmes.

J. ne répond pas du tout à ma question qui était «quelle équipe K.S a entraînée?», mais me fait sa «biographie». Elle est une ancienne joueuse de l’équipe d’Angleterre et de plusieurs grands clubs anglais. Dans la vie, elle est mariée à une femme et est maman de trois enfants. Le couple avait d’ailleurs largement communiqué autour des grossesses. Pour lui, le sport féminin compte une majorité de femmes lesbiennes alors que l’homosexualité est très mal vue chez les hommes. Je lui demande si cela fait partie des thèmes que les joueurs abordent avec lui… Sa réponse et non. Et la famille? Cette question l’amène à parler de la sexualité dans le sport. Dans le sens où, selon lui, les joueurs sont poussés à avoir des relations sexuelles avec des jeunes femmes et que les femmes veulent coucher avec les footballeurs. Il me raconte le cas d’un footballeur, infidèle, qui est venu le voir parce que sa femme souhaitait divorcer. Le joueur a demandé à J. s’il est marié. J. a répondu «depuis 25 ans». Surpris, le joueur a répondu que c’est le nombre de conquêtes qu’il avait eu. J. a amené ce joueur à réfléchir sur le sens qu’il donne à son mariage.

Parmi les addictions des footballeurs, J. mentionne la pornographie et les paris sportifs. L’aumônier lie l’endettement de certains joueurs au fonctionnement même du football (et plus largement) du sport. Si vous écoutez les interviews d’après-match, que l’équipe ait gagné ou perdu, le coach et les joueurs vous diront être tournés vers le prochain match. Vous pouvez perdre quatre, six, dix matches d’affiliée, le championnat n’est pas terminé et l’équipe travaille sur la prochaine rencontre en disant qu’ils gagneront ! Cette manière de penser, transposée aux paris fait que vous pouvez perdre, 1 000, 10 000, 100 000 livres, mais au pari d’après, vous pourrez gagner !

Alors je lui demande comment il fait pour répondre ou prévenir ce genre de difficultés ou d’addictions. Sa première réponse est de mettre les clubs devant leurs responsabilités, notamment pendant la formation des joueurs. Selon lui, il faut intégrer la question de la gestion de l’argent et de l’image aux cursus d’études suivis par les aspirants footballeurs. Dans les réunions qu’ils organisent avec les jeunes joueurs, l’argent, la gestion de l’image, la sexualité font partie des thèmes abordés. Il prend souvent l’exemple de deux jeunes signant leur premier contrat professionnel avec un gros salaire. L’un des jeunes achète une grosse voiture alors que le second investit dans un appartement. Par cet exemple, il souhaite amener les jeunes au sens à donner à ces dépenses. Que cherche-t-on lorsqu’on achète une grosse voiture? Quel est le sens d’un appartement?

Je réitère ma question sur sa façon de répondre aux sollicitations des joueurs. Il dit leur proposer de prier pour eux et cela, peu importe que le joueur soit ou non croyant. Pour des joueurs chrétiens, J. se permet de parler de ce que la Bible dit du thème abordé par le joueur.

Malheureusement, je constate que ma question initiale, à savoir les difficultés rencontrées par les femmes, est passée «aux oubliettes» avec le thème de l’homosexualité. Il me semble que le sujet est «sensible» à aborder avec J. Je tenterai d’y revenir ultérieurement.

Nous arrivons chez lui vers 15 h et il est temps de prendre des notes sur les événements du jour. Après 48 heures «non-stop» sur ce travail, il est temps de m’aérer l’esprit avec un footing.

Pour la soirée, J. propose que nous regardions la commémoration du drame ayant frappé le club soixante ans auparavant. Ce moment est une ouverture sur l’histoire du club.

  • Mercredi 23 janvier 2019

9 h, départ en voiture, direction Bradford. Le club de rugby de la ville accueille un meeting d’aumônier adhérant à «Sports Chaplaincy UK». L’heure de route est l’occasion de revenir sur la discussion de la veille et les messages qu’il s’applique à faire passer à la jeune génération. La question de l’argent l’amène à développer le fonctionnement du foot autour des transferts, de la rétribution des joueurs et des agents. Bien qu’inutile pour la recherche, son exposé permet de mieux saisir ce qui se «cache» derrière les 222 millions payés par le Paris Saint-Germain au FC Barcelone pour le transfert de Neymar Jr.

Dans la discussion, J. apporte une distinction dans son approche entre joueur chrétien et non-chrétien. La question qui est amenée avec un joueur ayant la foi est «est-ce que tu te comportes en bon chrétien?» alors qu’avec un joueur non chrétien, il parlera d’éthique. Son approche de l’éthique englobe l’attitude avec la famille, le rapport à l’argent et aux autres personnes. Dans les deux cas, on comprend que le vocabulaire choisi comprend des mêmes comportements à valoriser. L’idée est de véhiculer des valeurs morales qui peuvent être les mêmes pour un·e chrétien·ne que pour un·e non chrétien·ne. Finalement, la fidélité en cas de mariage, la gestion de l’argent, donner aux pauvres sont, jusque dans les années 1960 «des valeurs chrétiennes sécularisées[28]«. En exemple, il cite plusieurs athlètes qui reversent chaque année 1 % de leurs revenus à une œuvre caritative.

Figure 2: Bradford: disposition de la salle

Il est près de 10 h 45 et nous arrivons au club de rugby de Bradford. Le parking peut accueillir une quinzaine de voitures et j’ai la sensation d’arriver dans un «club de village», comme le FC Bettens en Suisse. Malgré mon impression, le stade peut accueillir près de 10 000 spectateur·trice·s. Sur le moment, je me demande où est-ce que les gens se garent. Bref, nous arrivons dans une buvette et un Monsieur, grand, gros et avec une casquette sur la tête, nous indique que la réunion est en face. Les bâtiments ressemblent à des «portakabins», mais en «dur».

Alors que nous entrons, une femme et un homme nous souhaitent la bienvenue. Il s’agit de l’aumônier du club, W., membre de la direction de «Sports Chaplaincy UK», et de son épouse. Un second monsieur (M.) arrive, il s’agit du frère de W. Lui est aumônier du club local de football. Nous sommes visiblement en avance (nous sommes les seuls) et J. me présente à nos hôtes de la matinée. Tous trois semblent contents de ma présence, mais, à mon sens, c’est le «style» anglais. Tout en discutant avec moi, Madame met en place la collation (thé, café et biscuits du supermarché) alors que J. s’entretient avec les deux hommes. Le local est une grande pièce, d’environ 50 min 2 s, divisée en plusieurs espaces. Deux radiateurs d’appoints tentent de réchauffer l’espace. Progressivement, des hommes arrivent, se saluent, échangent des «banalités», mais peu semblent se connaître. Tous ces hommes, à l’exception d’un, sont blancs, et ont entre 45 et 60 ans. À l’instar des organisateurs qui portent, l’un une chemise et l’autre un pull en V type «cachemire», les autres sont en jeans et sweat-shirt vieux. Sans les connaître et mis à part celui qui est en short et t-shirt, tous ces hommes se ressemblent ! Ignorant comment seraient les gens, j’avais fait le pari de troquer mon cool sweat à capuche contre un blazer. Résultat, je me trouve trop bien habillée pour cette réunion. Comme à son habitude, J. porte une chemise, un pull en V et un pantalon de costume. Ce portrait des participants montre l’absence de mixité. La seule femme présente est l’épouse de W., l’aumônier du club et membre de la direction de «Sports Chaplaincy UK».

En attendant le début de la réunion, je feuillette «Activate». C’est le journal de «Sports Chaplaincy UK». Un article sur l’aumônerie dans le football, joué par les femmes, retient mon attention, car on y parle d’une femme officiant comme aumônière. J. a également rédigé un article dans lequel il partage ses 41 ans d’expérience. Finalement, c’est en rédigeant ces lignes que le contenu de la dernière page retient mon attention. On peut y lire «Sports Chaplaincy needs you» avec en gros caractères quatre injonctions (pray, join us, keep in touch, support us) qu’on mettra, en seconde partie de travail, en perspective avec le discours et les observations réalisées.

La réunion démarre. Nous sommes tou·te·s assis·e·s sur des canapés formant un U. Successivement, deux hommes arrivent alors que W. explique le déroulement de la matinée. Le second arrivant tient un bol de porridge dans sa main, l’odeur m’incommode et, manque de chance, il prend place à côté de moi ! À cet instant, je me dis que la réunion va être longue.

En introduction, il déroule le programme de la journée.

  1. Présentation des participant·e·s
  2. Prière
  3. Retour sur des situations vécues par les aumôniers
  4. Feed-back sur le travail de l’organisation «Sports Chaplaincy UK»
  5. Comment faire la promotion des services d’aumônerie
  6. Prière

Chacun·e se présente, en disant son nom, le club et le sport dans lequel il travaille. Tous officient dans des clubs de football ou de rugby, mais je ne reconnais aucune de ces institutions. Lorsque vient mon tour, j’explique ma présence et demande, en précisant que les données seront anonymisées, s’ils sont d’accord que je prenne quelques notes durant la réunion. Tout le monde accepte et cela va me faire gagner un temps précieux. Une fois les présentations faites, W. demande à l’assemblée si quelqu’un souhaite conduire la prière. Un participant se porte volontaire. Durant ce moment, certains regardent leurs pieds, d’autres ferment les yeux, certains ont les mains jointes où dans la même position que celle de Mohammed Salah[29] lorsqu’il marque un but. Certains commentent en ajoutant des remerciements à Dieu. Certains chuchotent alors que d’autres semblent «en transe». Ce moment m’est bien étrange et devient rigolo lorsque, mon étrange[30] voisin ira à la cuisine, alors qu’un autre regarde son iPhone. Le moment me paraît «sacré» et il me semble assez inadéquat de «faire autre chose», comme se lever ou faire du bruit… Il faut croire que chacun est libre ! En racontant cet épisode à un étudiant en théologie, celui-ci me dira qu’il est possible de rattacher les manières de prier (s’exprimer doucement, «entrer en transe», se taire, etc.) à différents courants du protestantisme.

Après la prière, l’idée est de permettre à chacun de partager son expérience d’aumônier, en évoquant une situation concrète. Parmi les situations évoquées, J. aborde le service organisé en mémoire du drame qui a touché son club ou le service de Noël qui a réuni l’ensemble des joueurs (chrétien, musulman, sans confession ou croyance particulière). Un autre aumônier partage sa difficile collaboration avec le manager. Cette situation fait écho dans l’assemblée et résonne également aux discours de G. et J. Dans la situation évoquée, le manager souhaite tout contrôler et partout ; cela englobe l’activité de l’aumônier. Cependant, tous sont unanimes sur l’absolue nécessité d’être indépendant, dans le sens où, pour que les athlètes osent les approcher, ils doivent avoir la certitude que leur situation ne sera pas évoquée ultérieurement. Dans l’entourage de l’équipe, assistant·e, physio[31] et préparateur·trice mental·e vont rendre compte de l’aptitude de l’athlète à «tenir sa place». Dans cette perspective, on imagine facilement qu’un manager puisse douter des capacités de son défenseur central à se sentir concerné si celui-ci fait face à l’annonce récente d’un cancer de son enfant. Avec un doute sur les capacités d’être «à 100 %», le coach peut choisir de ne pas aligner son défenseur. Extérieurement, cela peut paraître anodin, mais «chauffer le banc[32]» est toujours mal vécu par des compétiteur·trice · s. Plusieurs situations évoquent des cas de conversions. Le premier exemple est celui d’un supporter hospitalisé. Tout au long de sa convalescence, l’aumônier lui rend de multiples visites[33]. Finalement, ce fan est devenu chrétien. L’histoire surprenante d’un joueur est contée. Alors qu’il est accompagné sur le chemin de la rééducation, un sportif, catholique se convertit à un courant du protestantisme. L’aumônier raconte avoir remercié Dieu pour son aide.

La question que je me suis alors posée est de savoir si cet aumônier remercie Dieu d’avoir aidé l’athlète dans sa guérison ou d’avoir «transformé» cet athlète en athlète chrétien?…

Le témoignage suivant fait écho à l’importance du groupe dans l’acceptation de l’aumônier. L’un d’eux raconte que, souvent, il propose au sportif qui le «consulte» de prier pour lui. Un jour, il dira devant tout le monde que la prière de l’aumônier a fonctionné. Ce joueur est juif et l’aumônier est protestant baptiste. Toutes ces situations «légères» ont été saluées par l’assemblée.

Le premier cas évoqué était plus grave et le manque de réaction m’a laissée dubitative. Un aumônier raconte qu’un homme de son Église lui a avoué avoir abusé d’une fillette. Se sentant démuni, l’aumônier en a référé aux cadres de son institution. L’homme a été exclu, mais travaille depuis plus de vingt ans dans un club de foot… Cet exemple pose des questions sur les limites de la confidentialité et sur les dispositifs permettant à l’aumônier de dénoncer des situations qui vont au-delà de la loi. On peut aussi s’interroger sur la responsabilité de l’Église. Dans ce cas, son réflexe semble être de protéger ses propres membres en se séparant de l’homme indélicat. Cependant, cette discrète gestion laisse cet homme libre de commettre un nouvel abus. Cette situation entre en résonnance avec les récents scandales traversés par l’Église catholique.

Lorsqu’un aumônier comme J. sensibilise les jeunes et les athlètes à des questions comme qui es-tu? Quelle est ton éthique? Est-ce que ton comportement est en accord avec ta foi? on ose difficilement imaginer qu’à côté de ce travail de «mise en conformité» entre les croyances et les actes, une communauté laisse un tel cas «filer»… Les réponses apportées par l’assemblée sont très vagues. Il ne semble pas que la situation et les façons de la gérer soient collectivement pensées. Ce moment soulève bien des questions, dont l’une est celle des outils dont disposent les aumônier·e·s pour répondre aux différents sujets qui leur sont amenés. Pour exemple et en l’absence d’un cursus type, on se souvient que S. choisit de suivre différentes formations pour faire face à la pluralité de situations que les athlètes peuvent rencontrer.

La seconde partie de la réunion porte sur les manières d’être visible et de promouvoir l’association. Pour rappel, W. présente brièvement «Sports Chaplaincy UK». J. est à l’origine du mouvement qu’on peut comprendre comme une faîtière des aumônier·e·s actif·ve·s dans le sport. «Score» rebaptisé «Sports Chaplaincy UK» édite différents supports pour promouvoir un service d’aumônerie en milieu sportif. Une de leur brochure vise à présenter un service pastoral et spirituel lors d’événements sportifs amateurs ou professionnels, en y présentant les valeurs, le fonctionnement et les apports d’un tel service. Finalement, W. présente les nouveaux outils dédiés à la publicisation du mouvement, comme une application et un compte Twitter. Pour ce dernier point, les membres sont invités à poster des prières sur leur «page» respective. W. insiste sur l’importance de prier pour et avec les autres. Cet aspect me pose une question. J’imaginais volontiers la prière comme un «acte» privé alors que là, l’idée est de le montrer à tou·te·s. Ce mode de communication est intéressant et repose la question de l’utilité finale de l’aumônerie dans le sport. Est-ce, comme le dit le slogan, «pastoral proactive, spiritually reactive» ou alors l’inverse? Les rencontres à venir permettront de mieux saisir cet enjeu qui sera abordé dans le second volet de ce travail. Enfin, et de façon très pragmatique, l’assemblée discute du manque de compatibilité entre l’heure du culte et les horaires de sport ! Ce qui peut apparaître comme un détail est pris au sérieux et, avant cette réunion, G. et J. avaient déjà évoqué ce souci. Outre les multiples déplacements et la notoriété des «pros», l’heure de culte prive les «sportif·ve·s pratiquant·e·s» d’un accès à une communauté ou à un moment vécu par «la communauté».

Au moment de la pause, W. s’est proposé de répondre à mes questions. J. et moi le suivons dans son bureau. Les locaux sont en travaux et il fait froid. J. est présent et, en début d’entretien, c’est compliqué de «prendre la main». Finalement, cette brève entrevue[34] a confirmé les éléments apportés, précédemment, par J. Lui aussi est arrivé dans l’aumônerie sportive «par hasard». C’est son prédécesseur qui l’a contacté (départ en retraite) et une «succession» a été organisée. W. relève l’importance de la direction dans la mise en place d’un tel service. En termes de pratique, alors que G. n’est pas fan de sport et que J. n’évoque pas les résultats de l’équipe avec les joueurs, W. regarde que la première mi-temps de son équipe. Cette stratégie est le fruit d’un constat: l’aumônier sentait que sa manière d’être et de s’adresser aux joueurs changeait selon que l’équipe ait gagné ou perdu. Cette posture ne lui semble pas compatible avec sa fonction. Aussi, il juge nécessaire d’être «copain[35]« avec tout le monde, indépendamment des performances individuelles ou collectives. À la question de savoir comment le club peut l’aider, il cible l’importance de la communication. Par cela, l’idée est que chacun·e connaisse la disponibilité de l’aumônier·e, surtout si le service est nouveau dans une structure. Sans répondre à la question de ce que l’aumônier·e apporte au club, W. évoque le long processus d’intégration de l’aumônier. Tout comme J., il distingue le fait d’être «around the team», du moment où l’aumônier est «in», comme un membre du staff. Ce processus prend aussi trois ans selon lui, tout en mentionnant l’importance des leaders du groupe dans cette «adoption».

Après la réunion, J., W., son frère[36] et moi allons manger dans un «pub typique». Au menu, Fish & Chips. Nous prenons place à une table alors que d’autres client·e·s sont installé·e·s au bar. Passé le moment de prière, mené par J., la discussion s’engage autour de la réunion du matin et les différents résultats sportifs diffusés par les écrans. Les trois hommes disent être satisfaits de la réunion, en précisant qu’il y aura davantage de monde, le lendemain, à Liverpool. Je profite du moment pour poser la question de l’absence de femmes à cette réunion. W. et son frère souhaite la présence des femmes dans l’aumônerie sportive et lient leur absence à la présence des femmes dans le sport. Malheureusement, je ne peux pas développer le sujet, car J. coupe la discussion en amenant un autre thème. J’ai l’amère sensation que tout ce qui concerne les femmes et le sport est et sera compliqué à aborder. C’est aussi en écrivant ces lignes que je réalise qu’à la fin de la réunion, la femme de W. a rangé la collation et n’est pas venue manger avec nous…

Vers 14 h 30, nous reprenons la voiture direction le centre d’entraînement du club de J. Le complexe est situé dans une zone agricole. Après deux check-points, avec chaque fois un agent de sécurité et une barrière automatique, nous pénétrons sur le parking. Chaque visiteur doit annoncer son arrivée et son départ à l’accueil. J. salue cordialement la réceptionniste, à qui il explique notre venue. Alors qu’elle prépare mon badge, la coach de l’équipe féminine entre dans le bâtiment et vient nous saluer. Muni de mon badge, nous ressortons, traversons le parking pour arriver au bâtiment «des jeunes». Un terrain borde le complexe et des jeunes (env. 15 ans) saluent J. Il s’arrête quelques minutes pour discuter avec deux d’entre eux, pendant que j’observe l’endroit.

Figure 3: Academy: plan de la cafétéria 1

L’«Academy» abrite une cafétéria, des terrains synthétiques couverts, des chambres, mais également toutes les salles de soins, de musculation et d’entraînement dédiés à «la relève». L’ensemble du complexe compte trois bâtiments et une structure en «portakabin». Depuis le parking, nous voyons que deux terrains de foot, mais J. m’explique que le centre d’entraînement en compte une quinzaine.

Un grand escalier fait face à l’entrée de l’»Academy» et nous montons à la cafétéria. Aux murs, les portraits des joueurs de l’équipe première issus du centre de formation. Le message me semble clair pour les jeunes du club: «it’s possible». Une baie vitrée donne sur un terrain. La cafétéria compte six grandes tables et le mobilier est aux couleurs du club. Un self-service (gratuit) propose différentes boissons, dont des boissons isotoniques. Un panier de fruits, du pain et différentes barres de céréales sont également disponibles. J. me dit que l’ensemble des équipes juniors jouent leurs matches à domicile ici, alors, le week-end, l’endroit est rempli de parents ! Alors que J. et moi discutons, un joueur et un membre du staff viendront le saluer.

L.P. arrive. C’est un homme d’une soixantaine d’années, mince, vêtu d’un survêtement du club. Nous sommes à une table ronde, L.P. est assis entre J. et moi. Physiothérapeute de formation, il est dans ce club depuis six ans. Il dit qu’au début, c’était pour rendre service, car une équipe «jeune» n’avait pas de manager. Maintenant, il est assistant du manager au sein de l’équipe première. Pendant l’entretien, L.P. évoque la posture de l’aumônier. Selon lui, il doit être:

  1. «familiar face».
  2. «approachable»
  3. «not over religious»
  4. «open for other religions»

Le point 3 implique pour L.P. de ne pas amener ses croyances, au risque que les personnes d’autres confessions ne viennent pas. Il insiste sur le fait que l’aumônier ne doit pas influencer ni offenser. Sa posture doit être la même, peu importe la personne. J. complète ses propos en disant que l’aumônier n’a pas à se mêler des entraînements. L.P. distingue le public d’une Église de celui d’un club de football, dans lequel la plupart des gens ne sont pas religieux. Selon lui, par le service d’aumônerie, le club permet d’aborder des questions de spiritualité. Ce thème pourrait être abordé avec un·e physiothérapeute pendant une séance de soins, mais l’aumônier, par sa dimension «religieuse» apporte une crédibilité. Cet argument est mentionné par le manager rencontré le lendemain, celui-ci considère que, pour les chrétien·ne·s, la fonction de «représentant de l’Église» apporte une légitimité. Cependant, il semble que pour rester crédible, les aumônier·e·s doivent s’adapter au public. Lors d’une discussion autour de la manière de ne pas imposer sa foi, J. donne l’exemple d’un aumônier américain licencié parce qu’il ordonnait aux athlètes de se convertir, sous peine d’aller en enfer ! Le cas est extrême, mais montre que l’enjeu est autour de «la bonne distance». «Pastoral proactive, spiritually reactive» implique d’aller vers les gens, d’être disponible, bienveillant[37] pour le côté pastoral alors que l’aumônier devrait «attendre» une demande spécifique pour aborder le religieux. Pour exemple, le lundi soir, J. avait précisé ne pas parler de sa foi sans y être invité. Durant cette semaine en Angleterre, je n’ai jamais eu la sensation qu’il tentait de m’imposer ses croyances. En revanche, G. s’était montré plus insistant pour que je quitte notre entretien avec une Bible. Néanmoins, comment considérer les propositions de prière faites par les aumôniers à leurs interlocuteur·trice·s?

Pour cet assistant, l’aumônier a une place particulière, car c’est le seul qui ne va pas «parler» avec le manager. Par là, il entend la question de la confidentialité. Il prend l’exemple du médecin qui va communiquer avec le manager pour dire si un joueur est apte à être, ou non, aligné. Dans le cas de l’aumônier, la confidentialité est totale. Il insiste sur cet aspect en précisant que les rencontres peuvent avoir lieu à l’extérieur du club, en toute discrétion. De plus, l’aumônier a du temps pour écouter. Cette disponibilité (temps) sera également mise en avant, le lendemain, par W.K.

La grande difficulté de ces entretiens programmés est le temps imparti. Cet impératif fait qu’il est compliqué de suivre les méthodes vues en cours. Alors que l’enseignante souhaitait qu’on soit, je cite, «curieux de tout pour amener la personne à discuter[38]«, le timing imposé incite à aller «straight to the point»[39], en abordant directement la question de l’aumônerie. En suivant le modèle: parcours personnel, athlète et aumônerie, L.P. semblait surpris, comme dans l’attente du thème de l’aumônerie. À plusieurs reprises, il cherche l’approbation de J., en se tournant vers lui ou en précisant n’être pas certain que sa réponse soit juste.

À ma grande surprise, c’est à la fin de l’entretien, alors que J. discutait plus loin, que tout s’est détendu. Nous avons évoqué les matches passés et à venir de la ligue des champions (son club était toujours en compétition). Enthousiaste, L.P. me propose de venir assister à un match international des U23. Malheureusement, la rencontre a lieu alors que je serai en route pour l’aéroport ! Une demi-heure plus tard, la discussion se termine sur les vacances de L.P., en France. En partant, je me dis que la rencontre se serait déroulée différemment si nous avions d’abord échangé sur le football.

De retour chez J. et A., il est à nouveau temps d’inscrire quelques commentaires dans mon journal de bord, de relire mes notes pour cibler les points sur lesquels il faudra revenir. Tout au long de la semaine, les trajets en voiture m’ont permis d’approfondir ce que je n’avais pas ou peu compris. C’est aussi sur ces temps-là que j’ai pu comprendre comment J. est devenu pasteur puis aumônier.

Les journées sont intenses et c’est inhabituel d’être si concentrée sur ce qui se passe et se dit autour de moi. Chaque soir, footing et corde à sauter me permettent de «faire une pause» !

  • Jeudi 24 janvier 2019

9 h 45 nous arrivons devant Anfield[40], J. s’annonce et la barrière de sécurité se lève. Même si l’Olympique de Marseille est le meilleur club du monde, je suis impressionnée par le stade. À ce moment-là, je me dis que je vais devoir mettre mes émotions de côté pour être attentive à ce qui se passe pendant la journée. Nous passons les portes vitrées et l’hôtesse d’accueil nous remet un badge en échange d’une signature. Le hall est lumineux et trois écrans annoncent les différents événements de la journée. Un homme portant un survêtement et un polo aux couleurs de Liverpool s’approche de nous. C’est l’aumônier du club qui nous invite à entrer dans la salle de réunion.

Figure 4: Salle de réunion du Liverpool FC

Seules quelques personnes sont présentes et J. et moi allons nous présenter. À droite de l’entrée, il y a un buffet avec des boissons chaudes et des jus de fruits. La salle est grande, mais sombre, sans fenêtre. Au mur, plusieurs portraits d’anciennes gloires du club. Plusieurs tables sont «collées» pour former la table de réunion. En se présentant, J. propose à un des hommes, seul avec son thé, de partager son expérience d’aumônier avec moi. B. doit avoir entre 40 et 45 ans. J’ignore si c’est ses yeux bleus ou son style jean, baskets et blazer, mais B. m’apparaît très sympathique. Nous discuterons jusqu’au début de la réunion, à la pause, puis pendant le repas de midi.

B. est titulaire d’un Master en «leadership in church». Pour compléter le panorama des formations suivies par les aumôniers, il aurait été intéressant que je lui demande dans quelle institution il a obtenu son diplôme… En dehors de sa mission d’aumônier, il exerce comme «coach de vie». C’est à l’occasion d’un repas (privé) que B. fait la rencontre du directeur d’un club de football. À la fin de la soirée, B. est aumônier de ce club. Cette nouvelle position ne va pas de soi et ses premiers pas sont hésitants. Tout comme G., il ne sait pas réellement quelle est sa fonction ni comment entrer en relation. Amener des bonbons au personnel et aux joueurs est un des outils que B. choisit pour briser la glace.

En début de mandat, B. décide de proposer une activité aux joueurs. Avec la complicité d’un membre de l’équipe d’encadrement, B. convie l’équipe à une partie golf. Ce moment est un moyen de plus d’entrer doucement en contact. Cette initiative lui réussit, car un joueur demande à l’aumônier de bénir la croix qu’il porte autour du cou ! B. m’avoue avoir été surpris tout en accédant à la demande du sportif. Quelque temps plus tard, alors que B. est toujours dans le flou, un joueur blessé s’adresse à l’aumônier avec une demande: «I need luck». B. propose au malheureux de prier pour lui. Bien que non-croyant, le joueur accepte. Quelque temps plus tard, rétabli, le joueur dira bien fort, devant l’ensemble de l’équipe, que l’aumônier a prié pour lui et que ça a marché !

Ces quelques exemples révèlent des similitudes dans les parcours. La sensation de chercher son rôle et de ne pas savoir comment entrer en relation avec les athlètes. G. a avoué être impressionné par le vestiaire et le corps des hockeyeurs. Face à leurs doutes, ces deux aumôniers ont reçu le soutien et des conseils de l’équipe d’encadrement. Aussi, je n’aurai pas imaginé que ces sportifs d’élite mangent gâteaux et bonbons entre les entraînements ! Les deux premières demandes formulées à B. illustrent la crédibilité dont bénéficie l’aumônier par son statut. On n’imagine pas qu’un athlète demande à la personne préposée au «Player care department» de bénir une croix…

B. consacre l’équivalent d’un jour par semaine à son club. Il dîne avec les joueurs et assiste aux matches à domicile. B. lie son engagement comme aumônier d’une équipe de football à sa passion du sport et sa foi en Jésus. À ma question de savoir quelle est sa position en cas de défaite, il distingue deux éléments: son amour du sport est lié à ses émotions, alors que Jésus guide sa vie. Cette considération lui permet de ne pas être triste en cas de défaite. Et en tant qu’aumônier, il se dit détaché de sa position de supporter.

La réunion commence. La table est trop petite pour accueillir tout le monde et un cercle se crée en bout de table. Il y a 19 participants, tous des hommes, tous blancs, tous pas très jeunes[41] ! Comme pour la réunion du jour d’avant, les femmes sont absentes et il n’y a pas de «diversité». En revanche, j’ignore si c’est le lieu qui joue sur les tenues, mais les participants portent presque tous une chemise. W. a sorti la cravate ! La réunion est lancée par l’aumônier de Liverpool qui, en souhaitant la bienvenue à tout le monde, déclare «Dieu vous aime». W. reprend la parole pour expliquer le programme:

  1. Tour de table, présentation
  2. Prière
  3. Développement de l’organisation
  4. Prière en groupe
  5. Repas

Tout comme la veille, j’explique ma présence à l’occasion de ce tour de table et demande la permission de rédiger quelques notes durant la réunion. Tout le monde est d’accord[42]. Encore une fois, l’ensemble des participants ont plus de 45 ans et sont des hommes blancs. En se présentant, chacun indique le sport et le club auquel il est affilié. De Suisse, la plupart de ces clubs me sont inconnus. Tous travaillent avec des athlètes hommes.

Après un moment de prière collectif, W. distribue le magazine «Activate». Alors que les participants feuillettent le journal, W. mentionne l’égale importance de chaque aumônier, indépendamment du club dans lequel chacun officie. Cette remarque est validée par de nombreux hochements de tête. De mon côté, cette remarque fait écho aux propos de J., sur les obstacles à la participation d’un sportif[43] star à la vie d’une paroisse. Outre les horaires et les nombreux déplacements des sportifs, J. a mentionné la personnalité du pasteur, en dénonçant le fait que certains ont envie d’être «le pasteur de…». Dans cette même perspective, je comprends le commentaire de W. comme une mise en garde formulée aux aumôniers qui seraient tentés de «gonfler leur ego» en acceptant d’être disponible uniquement pour les clubs et les champions les plus reconnus.

Le premier point abordé est un retour sur les événements organisés, par les aumôniers, dans leur club respectif. Alors qu’ils sont tous des aumôniers protestants de différentes obédiences, leur difficulté semble être de proposer un événement à tous, peu importe les croyances de chacun. En exemple, J. revient sur les tergiversations qu’il y a eu au sein de son club. Finalement, les leaders du groupe auraient dit que si l’aumônier est là, tout le monde doit être présent ! Un autre homme partage son expérience. Alors qu’un collaborateur, sans couverture d’assurance perte de gain, est tombé malade, l’aumônier a organisé une cagnotte pour lui venir en aide. Le geste est salué par l’assemblée. Alors que «Sports Chaplaincy UK» souhaite mettre en avant les différentes actions de ses membres, les aumôniers se trouvent «bloqués» au sein des clubs, dans le sens où aucune institution n’est d’accord de communiquer autour d’événement communautaire, mais le point n’est pas développé davantage.

Alors que le partage d’expériences avait occupé un tiers de la réunion de Bradford, ce moment est bref. La réunion est découpée en deux grands moments, la publicisation du «Sports Chaplaincy UK», autour des réseaux sociaux et un moment de prière en petit groupe.

Le moment de prière en petit groupe m’a beaucoup amusée ! Alors que des équipes d’environ quatre personnes se constituent, assis en rond. J. me demande si je souhaite rester. Avec du recul, ma réponse me fait sourire ! Oui, je participe volontiers au moment de prière ! J. explique à notre nouveau groupe ma présence et, tour à tour, chacun revient sur sa pratique. Lorsqu’ils sont sollicités, tous proposent la prière. Cependant, ils sont unanimes sur le fait de prier pour que Dieu aide la personne à affronter ses responsabilités, son quotidien, mais jamais pour la victoire. Cet aspect amène des anecdotes marrantes de la part de certaines personnes non croyantes. À la suite d’une série de 8 victoires d’affilée, un président a félicité son aumônier pour l’efficacité des prières. Dans leur pratique, les aumôniers du groupe s’entendent également sur leur rôle, à savoir d’être disponible pour tous, mais d’aller vers ceux qui sont blessés ou qui traversent un moment difficile. L’un d’eux prend l’exemple de Xherdan Shaqiri[44] (oui, nous sommes à Liverpool) en disant que lorsque ce joueur marque un but décisif, le rôle de l’aumônier n’est pas d’aller vers lui en priorité. Un joueur qui joue et se montre décisif est sollicité par le public et les sponsors alors il n’a pas besoin de l’aumônier. À l’inverse, un joueur blessé ou régulièrement remplaçant peut avoir envie de partager son ressenti et l’aumônier doit être présent pour lui. Je profite de la présence de ce petit groupe d’aumônier pour revenir sur la remarque que L.P. avait formulée: un aumônier ne doit pas être «over religious» et leur demande comment chacun comprend cet avis. J. répond en premier et je pense que son intervention oriente le reste des réponses. Cependant, B. dit que son club fonctionne comme une communauté, mais pas une communauté de foi, et son club lui a demandé d’intervenir dans la mosquée locale. Alors que J. dit que c’est désormais l’heure de prier, les trois hommes continuent de partager leur expérience!

Figure 5: Salon de J. & A.

W. annonce la fin du moment de prière et le moment du repas. En mangeant, B. m’avoue sa motivation profonde, qui, à mon sens, est le grand tabou des aumônier·e·s… Alors que le moment du repas est mal engagé: la nourriture est bizarre (c’est des toasts à la salade russe), j’ai envie d’un coca et surtout d’une pause. B. prend place à côté de moi et me parle. Malgré mon agacement, je garde vaguement le contact avec lui et j’ai raison ! Alors qu’il dénonce les aumôniers ou mouvements religieux qui se servent du sport pour gagner des membres, il marque une pause puis reprend pour distinguer sa posture d’aumônier de celle d’homme croyant. Ainsi, en tant qu’aumônier, il considère qu’il ne doit pas influencer les gens, mais son but, en tant que chrétien est que chacun·e connaisse Jésus ! BINGO ! L’aumônier placé à sa droite tente de dissimuler son rire et moi, je le regarde avec des grands yeux. Un peu trop spontanément, je concède que personne n’a osé avouer ça avant. Ma remarque, qui à mon sens n’est pas bonne, ne l’interrompt pas dans son élan et il continue de m’expliquer comment Jésus l’aide au quotidien. Nous sommes interrompus dans notre conversation.

L’aumônier de Liverpool qui propose de visiter le stade. Comme J. et moi avons un rendez-vous dans l’après-midi, je lui demande si nous pouvons rester. Devant mon enthousiasme, il accepte. La visite du stade est inutile pour ce travail, mais un pur plaisir pour la fan de football que je suis. À observer les aumôniers qui participent également à ce tour, je ne suis pas la seule à être émerveillée ! À la fin de la visite et voyant mes yeux grands ouverts, l’aumônier propose que nous allions visiter le musée ! J. accepte pour 45 minutes, sinon nous serons en retard pour notre prochain rendez-vous. Le musée motive bien moins de monde, car je suis toute seule !

Sur le chemin du retour et face à mon grand sourire, J. me dit que la découverte de «son stade» sera encore mieux ! Tout en le remerciant de son aide, je réponds que je me réjouis de visiter «son club», dont, plus jeune, je suivais les matches.

Nous sommes de retour vers 15 h 15 et W. arrive dans la foulée. Après qu’il ait salué A. puis échangé quelques mots avec J., nous nous asseyons dans le salon. Je le remercie pour sa disponibilité et adopte la «stratégie» de parler football avant d’aborder réellement l’entretien. Il est le manager d’une équipe féminine professionnelle[45] de football de la ville de Londres, évoluant en FA Women’s Super League[46]. Tout comme K, la physiothérapeute, et L.P. l’assistant, nous rencontrons une personne qui ne travaille pas comme aumônier, mais, par son rôle d’encadrant, a une expérience de collaboration avec un service d’aumônerie. Ainsi, l’idée est d’accéder à sa vision de l’aumônerie en milieu sportif.

La moitié de l’entretien se fait sans J.

W.K a 41 ans et est originaire d’Écosse où il a d’abord joué au football comme semi-professionnel, tout en passant les diplômes d’entraîneur. Depuis 2006 et les débuts de sa carrière de coach[47], W.K a été qu’assistant dans une équipe masculine M14[48], puis manager d’une équipe M17 masculine. Fort de différents succès et de sa licence UEFA A[49], W.K aura plusieurs expériences de manager d’équipe féminine de football, d’abord en Irlande puis en Angleterre. Sa large expérience de coach, notamment d’équipes féminines, lui permet un regard sur la situation du «football joué par les femmes[50]« et les difficultés rencontrées par les joueuses. Lorsqu’on parle de football et sans que je lui pose la question, W.K signale une différence majeure entre coacher une équipe d’hommes ou de femmes: le temps pour créer un lien de confiance. Selon lui, un homme va croire et appliquer ce que le coach dit alors qu’une femme va questionner ce qu’on lui demande de faire. Pour W.K, une femme met du temps à faire confiance, mais cette confiance demeure à vie. Cette même remarque avait été formulée par K.

Un autre point central est le manque d’argent dans le «football joué par les femmes[51]«. Il parle du quotidien des joueuses contraintes d’avoir un emploi rémunéré à côté de leur carrière de footballeuse. Dans son club actuel, comme c’est le cas dans l’équipe coachée par K.S, les joueuses sont professionnelles et vivent du football. Cependant, ces femmes n’ont pas les revenus de Neymar ou Mbappé et pour assurer leur avenir post-football, elles ont l’obligation de concilier des études à leur carrière de footballeuse professionnelle. Pour imaginer leur emploi du temps, souvenez-vous des exigences de vos études et ajoutez à ce programme de l’époque, deux entraînements quotidiens, la séance de kiné et le repas avec l’équipe… Difficile à concilier non? Dans ce contexte de hautes exigences, beaucoup de femmes sont touchées par des troubles alimentaires. Alors que J. avait pointé la pornographie comme problème omniprésent chez les garçons, W.K souligne, chez les filles, l’omniprésence de troubles alimentaires et de questions liées à l’orientation sexuelle. Comme l’a évoqué précédemment J., les femmes homosexuelles sont surreprésentées dans le football[52]. Toutes ces thématiques ne sont pas abordées par les joueuses avec leur coach. W.K y voit plusieurs explications, dont le manque de temps et le fait qu’il soit un homme. En songeant aux discussions avec K. et J., on peut aussi se dire que, de manière globale, les athlètes ne vont pas aborder leur problème avec leur entraîneur, par crainte d’être écarté·e·s de la compétition.

Lors de sa première expérience de coach d’une équipe féminine[53], un aumônier était présent. Malgré son investissement, l’aumônier pense préférable que les équipes féminines aient une femme comme aumônière.

Pour mettre en lumière l’intérêt d’avoir une femme dans ce rôle, W.K prend en exemple l’aumônière qui suit son équipe. C’est une femme de 32 ans, pratiquant le hockey. Selon W.K, la position d’athlète de l’aumônière lui permet de comprendre les exigences et les enjeux liés au sport d’élite. Cependant, cette aumônière est présentée comme «Lifestyle coach» et non pas comme «Chaplain». W.K ne voit pas d’avantage à l’avoir présentée ainsi. La raison de savoir qu’est-ce qui fait qu’elle ait été présentée comme «Lifestyle coach» est floue. Cette aumônière n’a pas de formation spécifique, mais W.K répond par l’affirmative lorsque je lui demande si elle est croyante[54]. Le coach perçoit cette femme comme une athlète qui, dans le cadre de l’équipe, est présente pour les joueuses.

Sa conception de l’aumônerie est un endroit où la confidentialité est garantie avec une personne à l’écoute des joueuses. Il définit cette personne comme une «big sister» et prend en exemple cette «Lifestyle coach» avec qui les joueuses partagent des moments, hors du football, notamment en assistant à des matches de hockey.

Au quotidien, la personne qui a la fonction d’aumônière est là pour écouter et aider l’athlète à trouver des solutions réalistes. Pour créer un lien avec l’équipe. Pour W.K, la fonction de «Chaplain» n’est pas liée aux questions religieuses, mais, pour des athlètes croyant·e·s, le titre donne selon W.K, une posture d’expert·e.

À la question de savoir quelles seraient les différences entre un·e coach mental et un·e aumônier·e. Selon lui, l’aumônière réalise un travail de psychologue. Cependant, le psychologue de l’équipe travaille pour la performance alors que l’aumônier aide, indirectement, à la performance, parce que la vie personnelle de l’individu a un impact sur sa vie d’athlète. Pour éclairer son propos, il me transmet un article[55] sur ce thème.

La seconde partie de l’entretien se fait en la présence de J. et nous avons un moment de discussion autour de l’équipe féminine suisse de football et sur les résultats de sa propre équipe. Après ça, nous revenons sur l’importance pour un athlète de se sentir «bien». J. prend l’exemple d’un joueur marié, mais qui fréquente aussi une femme[56]. Alors que sa copine (non officielle) attend un enfant de lui, l’homme n’en a pas parlé à femme. J. pose la question de savoir à quoi cet homme pense lorsqu’il est au football. Est-il concentré sur son travail ou sa vie personnelle?

W.K voit également un intérêt à offrir un service d’aumônerie à des équipes juniors (adolescent. e. s), en parlant des changements importants que rencontrent les jeunes. Que ça soit pour des garçons ou des filles, un·e «Lifestyle coach» doit jouer un rôle éducatif auprès des jeunes. J. indique que 95 % des joueurs (garçons) âgés de 16 ans ne seront pas dans les équipes professionnelles à l’âge de 21 ans. Dans cette perspective, un «Player care department» est nécessaire pour éduquer ces jeunes au fait que leur vie ne sera certainement pas faite d’une carrière professionnelle. Cette donnée renforce la nécessité du double projet: études et football. J. revient sur la gestion de l’argent chez les jeunes et l’exemple qu’il avait donné. Si, avec un premier cachet, le jeune achète une voiture et non pas un appartement, que lui restera-t-il si son contrat n’est pas renouvelé?

Finalement, W.K évoque la situation d’une jeune joueuse qui avait été adoptée. À l’adolescence, cette prometteuse joueuse traverse une période difficile avec des questions identitaires. Avant un camp avec l’équipe nationale, la joueuse a consommé de l’alcool et du cannabis. Malheureusement, un contrôle antidopage, inopiné, a eu lieu. Paniquée, la joueuse en a parlé à l’aumônière. Par chance, les traces de drogue étaient trop faibles pour que la joueuse soit sanctionnée et l’aumônière a mis en place un suivi de cette joueuse. La situation ne s’est pas reproduite.

W.K et J. se rejoignent sur l’idée que le manager porte une attention particulière à ses joueur·se·s tout en n’ayant ni le temps ni les outils pour les aider. L’aumônier·e consacre l’ensemble de son temps aux athlètes, en ne menaçant pas sa place au sein du groupe. J., ajoute qu’un club de petite taille favorise le travail de l’aumônier·e, car il y a moins de joueur·se·s et donc, une meilleure proximité.

L’entretien a duré 1 h 9 et W.K me dit être disponible, par mail, si besoin.

Nous sommes jeudi soir et c’est ma dernière soirée en Angleterre. Pour fêter la semaine passée ensemble, A., J. et moi allons au restaurant. Alors que, durant la semaine, je n’avais pas la sensation que la femme de J. était «fan de moi», elle prend de nombreuses photos de nous au cours de cette sortie. Durant la soirée, A. et J. évoquent leur rôle de grands-parents. Dès vendredi soir, ils accueilleront deux de leurs petits-enfants, pour le week-end.

Au retour du restaurant, je reprends l’ensemble de mes notes avec, une question que je me réjouis de poser à J., à quoi lui sert la Bible qu’il emmène toujours avec lui?

Ce travail de relecture me fait revenir sur l’ensemble de la semaine… À ce stade-ci, je pense pouvoir dégager quelques pistes sur la pratique et un enjeu majeur à l’aumônerie en milieu sportif. D’un point de vue plus personnel, je n’en reviens toujours pas d’avoir visité Anfield et son musée[57] ! Au programme du lendemain, visite du stade du club de J. ! Bien que je me réjouisse déjà d’y être, il me faudra rester concentrée parce que J. m’a toujours dit être l’aumônier de tou·te·s. La visite de ce stade et du musée est une occasion d’observer J. avec tous ces gens. Est-ce que tous ces employés le connaissent? Comment va-t-il s’adresser à eux et inversement? Au-delà de toutes ces interrogations, je dois garder en tête que J. est officiellement à la retraite. Les personnes récemment arrivées au club ne le connaissent pas…

  • Vendredi 25 janvier 2019

En milieu de matinée, J. et moi partons pour «son club». Je profite du moment de voiture pour lui dire que j’ai remarqué qu’il a toujours une mini Bible sur lui… Il m’explique en avoir toujours une avec lui lorsqu’il se rend au club ou à un rendez-vous. En cas de question, sa Bible est une ressource ; qu’est-ce que Dieu a dit ou comment ses messagers se sont comportés dans telle ou telle situation? Il complète en disant que si la personne est intéressée, il donne volontiers son exemplaire… Cette déclaration me rappelle l’entretien avec G., qui avait dit baser l’ensemble de ses réponses sur la Bible, aussi, il avait insisté pour que je reparte avec un exemplaire…

Arrivés dans l’enceinte du stade, nous croisons un premier employé qui reconnaît très bien J. Les deux hommes échangent quelques mots après que J. eût expliqué ma présence et notre programme de la semaine. Lorsque nous repartons, ce même homme demande à J. un entretien. Malgré sa retraite, J. accepte une rencontre la semaine d’après.

Tout au long de la matinée, J. est reconnu et échange avec les différent·e·s collaborateur·trice·s rencontré·e·s. Il explique ma présence à chacun·e en détaillant avoir été contacté par le Prof. Olivier Bauer. On peut entendre une certaine fierté dans sa voix. Tout·e·s savent qui il est, mais beaucoup ignorent qu’il est désormais retraité.

Une fois à l’intérieur du stade, J. et moi ne passons pas par les caisses, mais montant directement au PC sécurité. Là-bas, après quelques minutes d’échange avec le collaborateur, celui-ci me délivrera un pass donnant accès au «Tour[58]»et au musée.

L’attente de la visite se fait dans une grande pièce où l’histoire du club recouvre les murs. Ce décor est une nouvelle occasion pour J. de me conter certains matches auxquels il a assisté. Dans l’attente nous disputons également une partie de baby-foot. Alors que J. m’avait dit ne pas participer à la visite du stade, il suit le groupe. Sa présence fait que le guide me parle du club entre les moments de présentation du stade au groupe. Ce guide évoque l’ambiance générale du club, qui, selon lui, dépend du manager de la première équipe. Le club avait connu un changement de manager quelques semaines auparavant. Tout comme l’avait décrit J., cette nouvelle arrivée a dynamisé le jeu de l’équipe et le moral des collaborateur·trice·s.

Ce «Tour» est un moment sympa pendant lequel J. me raconte des événements qui l’ont marqué. C’est aussi l’occasion de prendre de multiples photos souvenirs, devant l’écusson du club, dans le vestiaire des joueurs ou à d’autres mythiques endroits.

Après la visite du «temple[59]«, nous nous dirigeons vers la mémoire du club: le musée. Pendant que J. discute avec deux employés (présents pour prendre en photo les visiteur·se·s avec un trophée de la Ligue des Champions[60]), je m’intéresse aux différents panneaux retraçant l’histoire du club. Alors que je visionne des films consacrés aux légendes du club, J. m’appelle pour faire une photo avec La Coupe. Après cette plongée au cœur de l’Histoire[61], je rejoins J. à la cafétéria. Il nous faudra encore plus d’une demi-heure pour rejoindre la voiture. Non pas que le parking soit très éloigné, mais parce que J. prend soin de saluer chaque personne croisée. Aussi, le fait qu’il rende son badge la semaine suivante fait que, peut-être, il profite des derniers instants au sein du club.

Cette matinée fut l’occasion de constater à quel point J. est bienveillant avec chacun·e. Sa personnalité et son charisme font de lui quelqu’un que j’ai apprécié écouter. Tout au long de la semaine, il a partagé son expérience d’aumônier avec passion, en revenant sur son vécu comme on raconterait une histoire. J’imagine aussi que c’est ses qualités humaines qui ont fait de lui un aumônier visiblement apprécié de ses collègues. Je postule également que c’est parce qu’il est apprécié que différents membres du staff ont accepté la demande d’entretien formulée par J.

Avant d’entamer le repas et pour les remercier de leur immense disponibilité, je leur demande si je peux «lancer» la prière. Il semble touché par ma proposition. J. complète mes quelques mots en remerciant Dieu de notre rencontre et en lui demandant protection pour le trajet à venir.

Cet homme fut un parfait guide pour une première découverte de l’aumônerie en milieu sportif. Cependant, son leadership et son expérience dans cet univers font que, au cours d’entretien, mes interlocuteurs ont souvent cherché l’approbation de J. Lors de discussions en petit groupe, il m’a semblé que les aumôniers alignaient leur discours sur celui de J.

Cette expérience ne prétend pas refléter le fonctionnement de chaque service d’aumônerie en milieu sportif. Les différents contacts établis peuvent servir de base à un approfondissement de ce travail.

Dans les jours suivant mon retour, J. adresse un mail au Prof. Olivier Bauer pour lui détailler notre semaine. Par son mail, on lit tout l’engagement qu’il a pris comme une mission. Depuis mon séjour en Angleterre, il arrive que nous échangions des mails pour commenter les compétitions européennes de football.

3. Quels sont les enjeux et dilemmes majeurs pour l’aumônerie sportive?

Rencontrer des aumôniers, des coachs et des staffs permet de varier les angles de vue. Chacun·e a une vision et des intérêts différents par rapport à l’aumônerie en milieu sportif et nous allons revenir sur ce que nous avons appris.

Du point de vue des aumôniers, la posture unanime est d’être disponible pour les athlètes [et le personnel du club selon les structures] dans un cadre de bienveillance et de confidentialité stricte. Plusieurs aumôniers notent des «premiers pas» hésitants et le recours à de la nourriture et des activités récréatives pour approcher les athlètes. Parmi les éléments facilitant le processus, la posture du manager et des leaders du groupe peuvent agir comme des facilitateurs.

Dans leur pratique, les aumôniers ont des «activités communes», comme être présent à certains entraînements, manger avec les joueurs ou venir assister aux matches «à la maison». Certains proposent des moments de réflexion autour de thèmes d’actualités ou touchant à des étapes de la vie (contrat pro, mise en couple, naissance d’un enfant). Tous déclarent être disponibles pour rencontrer leur interlocuteur en dehors des institutions sportives.

Les aumôniers (rencontrés dans le cadre de «Sports Chaplaincy UK») disent suivre un modèle «pastoral proactive, spiritually reactive» en insistant sur la nécessité d’être disponible pour celle et ceux qui sont en difficulté et d’apporter une écoute sans apporter de dogmes ni de croyances[62]. En suivant cela, on peut imaginer une aumônerie «sans confession». Mais cet argument me semble difficilement tenable au regard des différentes brochures et guidelines éditées par «Sports Chaplaincy UK».

Du côté des personnes travaillant au sein d’équipe professionnelle, que ça soit comme physiothérapeute, manager ou assistant, tou·te·s s’accordent sur les difficultés rencontrées par les sportif·ve·s d’élite. Chacun traverse, à un moment de sa carrière, une période compliquée. Dans un univers ultra compétitif, la baisse de performance ou une blessure a pour conséquence la perte de sa place, au sein de l’équipe. Dans ce contexte où l’ensemble des dispositifs sportifs et médicaux sont pensés pour atteindre les performances, l’intérêt pour l’être humain est laissé de côté. Cependant, la façon dont l’athlète se sent en tant qu’individu influence son bien-être et, indirectement, sa capacité à être concentré sur son travail sportif. Ainsi, ces staffs voient en la figure du «Chaplain» l’oreille attentive dont le sportif ou la sportive peut avoir besoin. De leurs avis, la question de la religion occupe une place secondaire. Alors que, l’aumônier doit s’abstenir d’être «over religious [63]» de crainte de faire peur aux athlètes et à son club, la figure d’aumônier (entendu comme théologien·ne) peut rassurer des athlètes chrétien·ne·s et légitimer leur présence au sein de l’effectif. Du côté des clubs et aux propos des aumôniers, on devine un souhait de ne pas communiquer autour du service d’aumônerie. Pour rappel, J. n’a pas formulé de demande officielle de stage, car son institution avait refusé les précédentes demandes. Lors de la seconde rencontre des aumôniers, à Liverpool, ces derniers partagent leurs difficultés à organiser un événement pour Noël.

Cet impératif de terrain (la discrétion) rencontré par l’aumônier entre en contradiction avec les objectifs affichés de «Sports Chaplaincy UK». Au cours des deux réunions, la direction de l’association a affiché clairement ses intentions de se faire connaître en utilisant les réseaux sociaux et en incitant chacun à utiliser ses outils de communication pour rester en contact avec les autres aumôniers.

Aussi, il aurait été intéressant de connaître la position des instances dirigeantes de club, par l’intermédiaire d’un·e attaché·e de presse par exemple, sur la présence d’un·e aumônier·e. Alors que des aumôniers racontent être sollicités en cas d’événements tragiques, tous disent parallèlement que le club n’a rien à voir avec la religion. Pour exemple, l’un d’eux affirme que, s’il se mettait à distribuer des Bibles, le club le congédierait. Ainsi, il y aurait des moments spécifiques (deuil, Noël) pendant lesquels le club serait d’accord de «faire entrer», un événement «rituel» chrétien, de manière organisée.

Certains clubs, dont celui de W.K, ont choisi de présenter l’aumônière comme «Lifestyle coach» et face à la difficulté de trouver un remplaçant à J, l’institution penche pour un «Player care department». Mais dans quel but?

Il aurait été intéressant de connaître comment des athlètes faisant appel ou non à l’aumônier·e vivent cette présence au sein du groupe. Le regard de sportif.ve aurait éclairé leur ressenti de «pastoral proactive, spiritually reactive».

4. Problématique

Nous avions postulé que les enjeux majeurs de l’aumônerie sportive seraient «l’aumônerie en tant que dispositif» et «la façon dont les sportifs et sportives utilisent ce service». Comme nous avons pu le comprendre, l’enjeu majeur tourne plutôt autour de la posture de l’aumônier·e. Cependant, cette position dépend des différents acteurs présents au sein de l’institution sportive, de l’aumônier·e et des ministères qui les mettent à disposition. L’intérêt du club et de l’encadrement est clair: la performance de l’équipe. Quel est le but de l’aumônier? Alors que plusieurs aumôniers déclarent prier pour que les sportif·ve·s soient capables de faire face à leurs responsabilités, un second est revenu sur cette déclaration en distinguant ce qui est de l’ordre de sa posture professionnelle, de ce qui relève de ses convictions personnelles. Sa posture professionnelle implique d’être disponible pour permettre un mieux-être des individus alors que son désir intime est que chacun·e rencontre Jésus.


[1] Stefany Zbinden est étudiante du Bachelor en Sciences des religions à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (FTSR). Cet article reprend la partie observation de son travail personnel. Je profite de l’occasion pour remercier les différentes personnes qui ont rendu ce travail possible: Prof. Olivier Bauer pour son enthousiasme et ses relectures attentives, les aumonier·e·s et toutes les personnes qui ont accepté de partager leurs expériences avec moi. Un merci particulier à J. pour son accompagnement et sa bienveillance tout au long de la semaine passée en Angleterre.

[2] Il s’agit de la ligue la plus haute du championnat français de football. C’est l’équivalent de la Super League suisse.

[3] Église anglicane aux États-Unis.

[4]Mon interlocuteur s’est inspiré de Marc 8:36

[5] https://video.om.org, consulté le 15 avril 2019

[6] A mon grand regret, l’Olympique de Marseille n’est pas la seule « institution » à se faire appeler « OM ».

[7] https://fr.om.org, consulté le 24 avril 2019

[8] https://www.srsonline.ch; consulté le 5 août 2019.

[9] Après relecture du travail, S. à la gentillesse de repréciser cette distinction. Pour ne pas réinterpréter son commentaire, je choisis de l’ajouter tel quel:

« L’information donnée est qu’il y a de nombreuses organisations chrétiennes impliquées dans le sport. Certaines « in » sport, sont celles proposant notamment des services d’aumônerie et les organisations active through sport utilisent des évènements sportifs pour organiser des évènements avec les différentes églises locales. Les ministères « through sport » sont axés évangélisation. L’aumônerie n’a pas pour objectif premier de convertir la personne, mais de l’accompagner là où elle se trouve sur son chemin. »

[10] Roy, Olivier, La sainte ignorance: le temps de la religion sans culture, Seuil, 2008

[11] Si l’exemple ne vous parle pas, vous pouvez remplacer Megan Rapinoe par Cristiano Ronaldo

[12] Toutes les demandes de stages précédemment formulées ont été refusé par le club

[13] C’est comme ça que je l’ai toujours entendu s’adresser à son épouse.

[14] Mot utilisé par J. pour parler de sa conversion

[15] La Premier League est la ligue la plus haute du championnat anglais de football. C’est l’équivalent de la Super League suisse.

[16] Voir plus haut

[17] U19 ou M19 = équipe avec des joueur·se·s âgé·e·s de moins de 19 ans.

[18] Uniquement des équipes masculines. L’unique équipe féminine est la « première équipe »

[19] Terme utilisé par J.

[20] « Équipe » est compris au sens large, c’est-à-dire l’ensemble des joueurs, des entraîneurs, assistants, médecins, chargé du communication, magasinier, chargé de sécurité, etc.

[21] Le club ne communique pas autour de l’aumônerie. Les demandes officielles de stage au sein de l’aumônerie sont systématiquement refusées par la direction du club. Lors du colloque du 24 janvier 2019, à Liverpool, la direction de « Sports Chaplaincy UK » avait mis en garde les participants (tous aumôniers) contre les risques de vouloir être l’aumônier de X ou Y joueur.

[22] L’abréviation de « révérend », fait référence aux pasteurs https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/révérend_révérende/69110; consulté le 28 août 2019

[23] Les stéréotypes de genre sont tout une série de traits/aptitudes/habilités communément pensées comme naturelles/innée en fonction du sexe biologique de l’individu. Parmi les stéréotypes fréquents: un bébé garçon pleure parce qu’il est en colère alors que le bébé fille pleure parce qu’elle est triste. Pour compléter, lire Plaza, Mélissa, « Pas pour les filles? », Robert Laffont, 2019

[24] Mennesson, Christine. « Être une femme dans un sport « masculin ». Modes de socialisation et construction des dispositions sexuées », Sociétés contemporaines, vol. no 55, no. 3, 2004, pp. 69-90.

[25] Pendant le 9ème mois du calendrier lunaire, certain·e·s pratiquant·e·s musulman·e·s s’abstiennent de manger, de boire, de fumer et d’avoir des relations sexuelles entre le lever et le coucher du soleil
https://www.cnrtl.fr/definition/ramadan; consulté le 14 août 2019

[26] Le staff comprend, la manager, un assistant, une préparatrice physique, une physio, un entraîneur de gardienne.

[27] Mennesson, Christine. « Être une femme dans un sport « masculin ». Modes de socialisation et construction des dispositions sexuées », Sociétés contemporaines, vol. no 55, no. 3, 2004, pp. 69-90.

[28] Roy, Olivier, L’Europe est-elle chrétienne?, Seuil, 2019
Selon O. Roy, jusque dans les années 1960, les « valeurs chrétiennes » sont reprises par l’État. Ceci permettait une « cohabitation » entre État et Église. Depuis les années 1960 et l’avènement de certains droits aux personnes homosexuelles, de droits autours de la natalité (IG, PMA/GPA), il y a rupture entre les valeurs des états et les valeurs chrétiennes

[29] Joueur du Liverpool FC. D’origine égyptienne, il est connu pour être un pratiquant musulman. Après chaque but, il remercie Dieu, en se prosternant ou en levant les doigts et les yeux en direction du ciel. Certains aumôniers adoptent cette seconde posture durant le moment de prière.

[30] Étrange parce qu’il mange un « truc » qui a tout de l’ « aliment gage », à faire goûter lors d’un rallye pour enfants!

[31] K. a bien spécifié qu’elle communique sur les capacités physiques et non sur les difficultés et les doutes rencontrés par l’athlète.

[32] Expression utilisée pour désigner les joueur·se·s qui ne commencent pas la partie. Ils et elles peuvent entrer en cours de match, selon les décisions du ou de la coach.

[33] J’ignore si les visites sont à la demande du supporter ou à la seule initiative de l’aumônier.

[34] Entretien d’une vingtaine de minutes, pendant la « pause-café ».

[35] Il a utilisé le mot « friend».

[36] M. fait aussi partie de la direction de « Sports Chaplaincy UK » et est aumônier de l’équipe de football locale (4ème division anglaise).

[37] Défini par J. avec la notion de « care »

[38] Rodier, Christine, Atelier de terrain en sciences des religions, Université de Lausanne, semestre printemps 2017

[39] La formule en anglais évite de nommer un célèbre club de football!

[40] Anfield est le stade (situé sur Anfield Road) dans lequel joue le Liverpool FC.

[41]Sans garantie car c’est de l’observation, il me semble qu’aucun a moins de 40 ans.

[42] En réalité, W. avait validé ma présence (à cette réunion et celle de la veille) plusieurs mois auparavant.

[43] Dans ce cas je n’utilise pas le langage inclusif car J. a toujours pris des exemples de sportifs hommes.

[44] Joueur international suisse. Il évolue au poste d’attaquant et joue depuis 2018 pour le Liverpool FC.

[45] Équipe professionnelle au sens où les joueuses vivent de leur sport et n’exerce pas un autre métier à côté.

[46] C’est l’équivalent de la Premier League pour les hommes.

[47] Coach est le terme qu’il a lui-même utilisé même si ses fonctions officielles ont été, assistant puis manager.

[48] M14 signifie « moins de 14 ans », c’est-à-dire une équipe où les joueurs n’ont pas 15 ans révolus.

[49] A chaque catégorie de jeu correspond un diplôme. En Suisse, la licence UEFA A permet d’entraîner des équipes masculines de 1ère ligue, 1ère ligue promotion et des équipes féminines de Ligue Nationale A.

[50] Cette formule est utilisée par Mélissa Plaza, pour contrer l’expression « football féminin », qui, selon elle, alimente l’idée qu’il existerait deux football différents; celui des hommes (le vrai foot) et celui des femmes (pas totalement du foot). Plaza, Mélissa, « pas pour les filles? », Robert Laffont, 2019

[51] Ibid.

[52] Sablik, Émilie, et Christine Mennesson. « Carrières sexuelles et pratiques sportives », Sciences sociales et sport, vol. 1, no. 1, 2008, pp. 79-113.

[53] L’équipe évoluait au plus haut niveau: Scottish Women’s Premier League.

[54] Rétrospectivement, la question n’était pas forcément pertinente. J’aurais dû la formuler autrement.

[55] Richard Gamble , Denise M. Hill & Andrew Parker (2013): Revs and Psychos: Role, Impact and Interaction of Sport Chaplains and Sport Psychologists within English Premiership Soccer, Journal of Applied Sport Psychology, 25:2, 249-264

[56] Durant la semaine, beaucoup d’exemples donnés par J. concerne des footballeurs « infidèles »… Soit la question est centrale et correspond à une valeur importante pour lui, soit il y a que des footballeurs « volages »!

[57] Je devrais plutôt me réjouir de pouvoir apporter des pistes à ma question initiale mais, par cette phrase, c’est évident que mon amour du foot a pris le pas sur les études!

[58] Mot utilisé par le club (et par les clubs de football en général) pour parler de la visite de leurs infrastructures.

[59] Petit clin d’œil aux métaphores religieuses que le Prof. Olivier Bauer relève régulièrement dans la presse. Pour les non-initié·e·s, le temple est utilisé, dans ce cas, pour définir le stade.

[60] Il s’agit d’une compétition regroupant les meilleurs clubs des championnats européens. La compétition se déroule parallèlement aux championnats nationaux.

[61] Je n’exagère pas, les grandes matches de football devraient être enseignés à l’école!

[62] Cependant, ils proposent de prier pour les personnes qui les sollicitent.

[63] Propos de L.P, le 23 janvier 2019