Texte original publié sur https://wp.unil.ch/hecoutreach/ai-as-a-tool-for-human-skill-development/
L’article montre comment l’intelligence artificielle devient un outil innovant pour développer les compétences humaines fondamentales comme l’empathie, la communication et le leadership. Grâce à la réalité virtuelle et à l’analyse comportementale, l’IA permet d’évaluer et d’entraîner ces compétences à grande échelle, dans des situations réalistes et stressantes. Paradoxalement, la technologie contribue ainsi à renforcer ce qui nous rend profondément humains.
À l’ère de l’intelligence artificielle, les compétences humaines telles que l’empathie, la collaboration, le leadership et la communication deviennent plus essentielles que jamais. Dans un monde professionnel marqué par l’incertitude, la complexité et le changement rapide (VUCA), ces compétences dites « soft skills » prennent une valeur stratégique. Selon le cadre de l’OCDE pour l’apprentissage 2030, elles sont devenues indispensables pour faire face aux défis futurs. Aujourd’hui, ces compétences sont désormais considérées comme les « nouvelles hard skills ». Les entreprises doivent donc non seulement les intégrer davantage dans leurs processus de recrutement, mais aussi investir dans leur développement au sein de leurs équipes.
La meilleure manière d’évaluer les compétences interpersonnelles consiste à placer les individus dans des situations sociales complexes. Par exemple, un candidat peut être amené à annoncer un licenciement ou à motiver une équipe en difficulté, pendant qu’un jury observe ses réactions et comportements. Ces « work samples » sont très efficaces pour prédire la performance future, mais ils restent coûteux et difficiles à organiser, car ils nécessitent des acteurs, du temps et des observateurs spécialisés.
C’est ici que les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle entrent en jeu. Grâce à la réalité virtuelle, il est désormais possible de simuler ces situations avec des collègues virtuels. Le candidat peut, par exemple, faire face à un employé agressif ou s’exprimer devant un public virtuel. L’interaction est filmée, puis analysée par des algorithmes capables d’extraire les comportements verbaux et non verbaux. Ces données sont ensuite reliées à des indicateurs de performance réelle. Avec suffisamment de données, l’IA peut apprendre à reconnaître les comportements clés et prédire les performances de nouveaux candidats. Cette méthode permet une évaluation rapide et à grande échelle. Toutefois, elle présente aussi des limites, notamment la nécessité de grandes bases de données et la difficulté d’évaluer objectivement la performance, notamment pour les postes de leadership.
Les compétences interpersonnelles peuvent également être développées par la formation. Les entreprises investissent déjà massivement dans l’entraînement de leurs cadres, en particulier en communication et en leadership. Traditionnellement, ces formations reposent sur l’observation de modèles exemplaires et la pratique accompagnée de retours. Par exemple, analyser un discours de Barack Obama pour s’entraîner à la prise de parole en public. Les nouvelles technologies viennent renforcer ces méthodes en plongeant les apprenants dans des environnements immersifs où ils peuvent s’exercer face à un public virtuel, en ressentant un niveau de stress comparable à une situation réelle.
L’entraînement peut être encore intensifié par l’ajout de facteurs de stress supplémentaires. L’article donne l’exemple d’un orateur s’exerçant sur une planche suspendue au-dessus du vide, combinant la peur du vide à la peur de parler en public. Une fois ces deux peurs maîtrisées, la situation réelle devient beaucoup plus facile à gérer. L’IA peut également analyser automatiquement le comportement du participant et fournir un retour immédiat. Par exemple, si le regard de l’orateur fuit le public, l’audience virtuelle peut s’endormir, signalant clairement un problème d’engagement.
Ainsi, loin de remplacer l’humain, l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles possibilités pour développer les compétences qui font la spécificité de l’être humain. En combinant réalité virtuelle, analyse comportementale et apprentissage automatique, l’IA devient un véritable outil d’entraînement émotionnel et relationnel. Le paradoxe est frappant : une technologie souvent considérée comme déshumanisante contribue en réalité à renforcer l’empathie, la communication et le leadership. En ce sens, la technologie peut véritablement nous aider à devenir plus humains.
Marianne Schmid Mast est professeure de comportement organisationnel et doyenne de HEC Lausanne. Ses recherches qui utilisent notamment la réalité virtuelle portent sur la communication interpersonnelle, le leadership et les dynamiques hiérarchiques.
Faculté des hautes études commerciales
