Comment lutter contre les « fake news » et la désinformation

Les fake news (infos mensongères) sont une épidémie insidieuse à l’échelle mondiale. La diffusion intentionnelle de faux contenus, appelée désinformation, est aujourd’hui largement répandue dans les médias numériques et traditionnels. Elle est également présente dans le tissu des plateformes de médias sociaux.  

Cette explosion a été alimentée par des agendas politiques et commerciaux, le partage sur les réseaux sociaux, les contenus clickbait (conçus pour attirer des clics via des titres et visuels exagérés, voire trompeurs) et les deepfakes (enregistrement vidéo ou audio réalisé ou modifié avec l’IA). Elle a eu un impact significatif, bouleversant la démocratie et le discours public. Ces activités faussent également les marchés et réduisent la confiance dans les informations elles-mêmes. Par exemple, selon un sondage Gallup, la confiance dans les médias américains n’a jamais été aussi faible depuis plus de cinquante ans1.

La question de la véracité de l’information et de la responsabilité se pose d’autant plus, et en particulier depuis que les plateformes de médias sociaux, notamment Facebook et Instagram, ont cessé de faire appel à des vérificateurs de faits indépendants. Des outils d’intelligence artificielle (IA) de plus en plus sophistiqués alimentent également les faux contenus.

La psychologie des fake news

« Les fausses nouvelles représentent une menace réelle pour la réputation, qui est extrêmement importante pour les entreprises et les gouvernements. À l’avenir, la diffusion de désinformations va s’intensifier sur les réseaux sociaux, dont certaines cibleront les entreprises. Dans quelques années, il sera presque impossible de détecter si un contenu est authentique ou non », explique Patrick Haack, professeur de stratégie et de management responsable à HEC Lausanne.

« Cela rend la communication de crise plus difficile car vous devez surveiller en permanence les médias sociaux, qui peuvent également se transformer en véritable déferlante de critiques en l’espace de quelques minutes. Les stratégies de réponse traditionnelles ne fonctionnent pas non plus. »

Cela s’explique par le biais de confirmation fondamental : les gens ont tendance à chercher, interpréter et privilégier les informations qui confortent leurs propres croyances. Dans certains cas, ces croyances ne sont pas fondées sur des vérités. C’est le cas notamment avec les médias sociaux, où les gens ne voient que les nouvelles qui confirment leurs préjugés, qui sont ensuite amplifiés dans des chambres d’écho.

« Nous voyons rarement des contenus en ligne qui remettent en question nos croyances. Cela signifie que nous assistons à une polarisation croissante au sein de la population, qui est ancrée dans des réalités différentes. Ces groupes polarisés pensent également qu’ils sont moins touchés par les « fake news » que ceux qui se trouvent de l’autre côté de l’argument », explique P. Haack.

Les recherches menées par le professeur Haack et d’autres chercheurs·euses ont porté sur la manière dont les « fake news » affectent notre jugement de premier ordre. Il s’agit de ce que nous pensons personnellement d’un individu ou d’une entreprise. Et comment elles affectent le jugement de second ordre, qui se base sur ce que nous pensons que les autres pensent.2   

Ils ont constaté que l’effet négatif des fausses nouvelles est plus important pour les jugements de second ordre. Cela signifie que même si nous nous rendons compte qu’une nouvelle est fausse, nous pouvons encore être influencés par les réactions des autres, qui croient que l’information est vraie. Cette constatation a d’énormes implications pour comprendre le comportement des gens et y répondre. 

« Lutter contre les fausses nouvelles avec des faits exacts ne suffit pas, car même si une personne ne croit pas à une nouvelle, si elle croit que d’autres personnes pensent qu’elle est vraie, elle peut changer de comportement, les jugements de second ordre ayant un impact sur les jugements de premier ordre », explique le Prof. Haack. « C’est ce qui explique comment se produisent les paniques bancaires. Je peux croire que ma banque est solide, mais si j’entends une rumeur disant que d’autres s’inquiètent de son avenir et retirent leur argent, cela influence mon comportement : je retire moi aussi mes fonds, même si je sais que la rumeur sur la faillite de la banque est infondée. « 

L’une des principales recommandations de la recherche du Prof. Haack est de concevoir des stratégies de réponse qui ne ciblent pas seulement les jugements de premier ordre, mais aussi les jugements de second ordre. C’est là que les témoignages d’autres personnes, en particulier de pairs et d’expert·e·s du secteur, dénonçant les fake news, peuvent constituer une forme essentielle de preuve sociale. 

Un outil IA contre la désinformation

Liudmila Zavolokina, professeure assistante en systèmes d’information et innovation numérique à HEC Lausanne, a créé avec son équipe un outil d’IA générative capable d’analyser les nouvelles numériques en ligne et de mettre en évidence, en temps réel, la propagande et la désinformation3.

« Les gens doivent être plus actifs dans leur façon d’assimiler les nouvelles, et un tel outil d’IA peut contrer la désinformation, car il aide les lecteurs·trices à remettre en question ce qu’ils lisent. L’une des choses que nous expérimentons est la possibilité pour les lecteurs de voir l’autre côté d’un argument à l’aide d’un outil d’IA, ce qui serait également utile pour lutter contre le biais de confirmation », déclare-t-elle.

De nouvelles recherches menées par la Prof. Zavolokina et d’autres chercheurs·euses montrent que si l’outil d’IA stimule la pensée critique lorsqu’il est utilisé, cet effet disparaît dès que la personne n’y a plus accès 4 car les gens l’utilisent comme une « béquille » pour détecter la propagande. Ce dont ils ont peut-être besoin, c’est de nouvelles compétences et d’un apprentissage actif pour mieux détecter la désinformation.

« Nous souhaitons également étudier la possibilité de faire de cet outil un produit afin de soutenir les organisations médiatiques et les gouvernements et de les aider à détecter avec précision les campagnes de propagande à l’avenir », explique la Prof. Zavolokina.

Références :

  1. Five Key Insights Into Americans’ Views of the News Media, Gallup, 27 février 2025
  2. Fooling Them, Not Me? How Fake News Affects Evaluators’ Reputation Judgments and Behavioural Intentions, Simone Mariconda, Marta Pizzetti, Michael Etter, and Patrick Haack, Business & Society, Sage Journal16 août 2024
  3. Think Fast, Think Slow, Think Critical: Designing an Automated Propaganda Detection Tool, Liudmila Zavolokina, Kilian Sprenkamp, Zoya Katashinskaya, Daniel Gordon Jones, Gerhard Schwabe, Proceedings of ACM CHI Conference on Human Factors in Computing Systems, 29 février 2024
  4. Effective Yet Ephemeral Propaganda Defence: There Needs to Be More than One-Shot Inoculation to Enhance Critical Thinking, Nicolas Hoferer, Kilian Sprenkamp, Dorian Christoph Quelle, Daniel Gordon Jones, Zoya Katashinskaya, Alexandre Bovet, Liudmila Zavolokina, Proceedings of CHI, Human-Computer Interaction11 mars 2025