L’effet Facebook: comment l’utilisation de Facebook conditionne le processus décisionnel du consommateur

Les spécialistes du marketing sont bien conscients que les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle important pour influencer les consommateurs, que ce soit par exemple via la recommandation de produits ou pour fidéliser la clientèle. Cependant, les recherches de Tobias Schlager et Christian Hildebrand suggèrent que l’effet de Facebook sur les consommateurs est à la fois plus subtil et puissant qu’on ne le pense globalement. Ils démontrent que le simple fait de naviguer sur cette plateforme a un impact significatif sur la prise de décision ultérieure des consommateurs.

L’importance de l’expérience client est bien comprise par les spécialistes du marketing. Le parcours d’achat du consommateur (ou « customer journey », comme il est communément désigné en anglais) en fait partie. En cartographiant chaque activité et chaque point de contact entre le consommateur et l’entreprise – au fur et à mesure que le consommateur réfléchit, fait des recherches et effectue un achat – les entreprises tentent de créer de la valeur en utilisant ces informations. Cependant, comme le révèlent les recherches de Tobias Schlager (HEC Lausanne, Université de Lausanne) et Christian Hildebrand (Université de Saint Gall), un point d’arrêt possible dans le parcours du client a une influence profonde et sous-estimée sur sa prise de décision.

Ces dernières années, les spécialistes du marketing ont porté leur attention sur les médias sociaux et le rôle qu’ils jouent dans le parcours d’achat du client. Facebook, avec plus de deux milliards d’utilisateurs actifs par mois, a fait l’objet d’une attention particulière. Les spécialistes du marketing, conformément à la recherche dans ce domaine, se sont surtout concentrés sur l’impact direct de Facebook sur la prise de décision des consommateurs, dans le présent et dans le futur. Cela comprend, par exemple, la collecte d’informations avant l’achat, l’effet sur les intentions d’achat et l’influence de Facebook sur la fidélité des clients.

Tobias Schlager et Christian Hildebrand, ont cependant pressenti que Facebook (et peut-être également d’autres médias sociaux) pourrait avoir un effet indirect important sur les consommateurs et leur prise de décision; un effet qui se déclencherait même simplement en naviguant sur les réseaux sociaux et dans le contenu de ses amis par exemple, sans rechercher spécifiquement des informations relatives à un produit ou à un achat.

Leur théorie repose sur le fait que la nature de Facebook, en particulier la façon dont ce réseau  encourage les gens à se concentrer sur ce que les autres pensent d’eux, influence le comportement ultérieur du consommateur. Les utilisateurs sont sensibilisés aux opinions des autres, craignent un jugement négatif et prennent des décisions qui tendent à se rallier à la majorité et à éviter les critiques, plutôt que des décisions qui affirment leur individualisme.

Les chercheurs ont testé leur théorie à l’aide d’un important set de données anonymisées portant sur près de 200’000 configurations individuelles de véhicules sur neuf marchés européens (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni, Espagne, Norvège, Pays-Bas, Finlande et Suède) collectées sur 12 mois, ainsi que sur des données de web tracking. Ainsi, les chercheurs ont pu reconstituer l’historique de navigation des consommateurs (et identifier les recommandations de Facebook), retracer leurs décisions sur les caractéristiques choisies pour leur pack automobile et déterminer si cela avait débouché sur une vente réelle.

Tobias Schlager et Christian Hildebrand avaient prédit que les consommateurs qui consultent Facebook avant de prendre leur décision d’achat feraient des choix plus conventionnels quant à la configuration du véhicule et aux diverses fonctions souhaitées. Cela s’est avéré exact. En incitant les gens à se concentrer sur ce que les autres pourraient penser d’eux, la navigation sur Facebook façonne indirectement leurs choix en tant que consommateurs. Cet effet est contraire aux résultats de recherches antérieures, selon lesquelles les consommateurs pourraient normalement avoir tendance à choisir des options non conventionnelles, exprimant ainsi leur singularité.

Dans ce cas, les choix « conventionnels » sont les options qu’un consommateur considère comme étant choisies et socialement acceptées par la majorité des autres consommateurs (lui offrant ainsi un moyen fiable d’éviter la désapprobation et le rejet). Dans le cadre de cette recherche, les auteurs ont mis au point un indice de notation de la conventionnalité, basé sur l’évaluation des caractéristiques par un échantillon de personnes similaire à celui utilisé dans le jeu de données.

Les auteurs ont mené un certain nombre d’autres expériences pour établir que le mécanisme qu’ils croyaient à l’œuvre était à l’origine du choix ultérieur de la configuration du produit. Par exemple, dans le cas d’une tenue vestimentaire aux différentes options, telles que des poignets colorés, ils ont comparé l’effet sur les choix de consommation produit par une exposition à Facebook par rapport à une exposition à d’autres plateformes de médias sociaux telles que Twitter et Instagram. Leurs conclusions, tirées de ces expériences supplémentaires, ont confirmé à la fois que Facebook produit un effet beaucoup plus important que d’autres sites de médias sociaux et que le mécanisme – l’accent mis sur les autres et le désir de se conformer en choisissant des configurations de produits conventionnelles – a effectivement influencé la prise de décision.

Ces résultats ont des implications considérables pour les dirigeants d’entreprises et plus particulièrement pour les spécialistes du marketing, dans tous les secteurs où les entreprises cherchent à influencer le choix des clients. Pour commencer, ils montrent qu’il est essentiel de comprendre le parcours du client au-delà des points de contact contrôlés directement par l’entreprise. De plus, comme le soulignent les chercheurs, l’utilisation et l’analyse systématiques des données de web tracking peuvent aider à orienter les décisions de marketing en fonction des produits et de leurs caractéristiques à offrir aux consommateurs, selon les sites web référents ou consultés précédemment.

Il est intéressant de noter que l’effet Facebook peut également être exploité pour maximiser la rentabilité. Une entreprise souhaitant favoriser la vente de produits plus conventionnels pourrait inciter les consommateurs à visiter Facebook avant de prendre leurs décisions d’achat de produits ou de services. Comme le soulignent d’ailleurs les auteurs, offrir des configurations de produits plus conventionnelles peut accroître la rentabilité grâce à une réduction substantielle des coûts associés, tels que les coûts de production.

Au contraire, si une entreprise souhaite promouvoir des produits ou services moins conventionnels, elle devrait chercher à atténuer l’effet pro-conventionnel de Facebook. On pourrait y parvenir en démontrant qu’une minorité de consommateurs préfère le choix conventionnel. Ou encore, les consommateurs pourraient être exposés à une simple intervention qui les incite à se concentrer sur eux-mêmes plutôt que sur les autres, contrecarrant ainsi l’effet Facebook. Dans leur article de recherche, les auteurs expliquent l’utilisation de cette méthode pour encourager les configurations moins conventionnelles, même après une exposition à Facebook.

Bien qu’il s’agisse là de quelques-unes des principales implications pratiques de l’effet Facebook, il y en aura sans aucun doute d’autres à exploiter par les spécialistes du marketing. Ce qui est clair, c’est qu’étant donné l’omniprésence et la popularité de Facebook, l’effet Facebook révélé par les chercheurs (avec sa tendance à homogénéiser le processus décisionnel et à promouvoir la conformité) ne peut être ignoré.


Papiers de recherche:

Hildebrand, C. & Schlager, T., Focusing on others before you shop: exposure to Facebook promotes conventional product configurations, Journal of the Academy of Marketing Science (2018)

Éditorial du numéro spécial: Hamilton, R. & Price, L. L., Consumer journeys: developing consumer-based strategy, Journal of the Academy of Marketing Science (2019)


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