Notre environnement et les interactions qui le régissent sont au cœur des questions que différentes équipes de la FGSE cherchent à résoudre. Ces interactions conditionnent la qualité et le rythme des grands cycles biogéochimiques dans le sol : l’apparition et la dégradation des nutriments, des minéraux, mais aussi des polluants.
Pietro de Anna, promu professeur associé à l’Institut des sciences de la Terre , apporte une nouvelle perspective à ces questions. Physicien théoricien de formation, le professeur de Anna intègre aujourd’hui une approche expérimentale à l’étude des interactions, entre la physique, la chimie et la microbiologie : il se place à l’échelle de la bactérie dans son environnement. C’est à cette échelle que se tissent la plupart des réactions géo-bio-chimiques qui contrôlent les phénomènes globaux (comme les cycles). La bactérie est un microélément de la grande chaine qui gouverne l’environnement et la vie sur Terre, dont Pietro de Anna cherche à comprendre le comportement. Il nous a ouvert les portes de son laboratoire.
Imaginez que vous êtes une bactérie, et que vous vous déplacez dans le sol… Vous n’y êtes pas ? Suivez donc le guide.
Une bactérie dans une goutte d’eau
Vous vous représentez peut-être un laboratoire de géochimie ou de microbiologie environnementale avec de grands flacons contenant diverses mixtures et suspensions. C’est dans ce genre de fiasques de plusieurs décilitres que sont souvent étudiées les populations et les communautés bactériennes. Un volume immense par rapport à l’échelle de la bactérie – qui se situe autour du micromètre (µm), c’est-à-dire d’un millionième de mètre. Cela équivaut à étudier un être humain nageant au milieu d’un océan, ou perdu seul dans un désert. Assez loin de la réalité « ressentie » par l’individu en somme. Ces fiasques constituent par ailleurs uniquement un milieu homogène. On y examine l’évolution temporelle d’une ou plusieurs grandeurs – comme le pH, ou la concentration en oxygène, la population d’une espèce microbienne, par exemple. Cette approche classique de la microbiologie environnementale et de la géochimie – basées sur des systèmes bien mélangés – permet de comprendre un système microbiologique et ses relations avec la chimie de son environnement. D’un autre côté, cette approche néglige la variabilité spatiale de l’environnement naturel.
À très petite échelle, les bactéries et les composantes chimiques qui sont transportées dans les sols font face à beaucoup de barrières et de surfaces. Le sol se présente comme un milieu irrégulier : pH, nutriments et oxygène varient dans l’espace et avec le temps. Le sol est donc pour la bactérie un espace hétérogène (donc, variable) et confiné (entre les grains solides qui constituent sa matrice). C’est l’impact de ces deux facteurs, hétérogénéité et confinement, sur le comportement macroscopique d’un système environnemental que Pietro de Anna essaie de comprendre.
Pour décrire le transport des microorganismes, des colloïdes et des solutés dans des conditions plus proches de « la vraie vie du sol », Pietro de Anna et son équipe ont développé des techniques de pointe dans le Laboratoire de mécanique des fluides environnementale.
Passer du micro au macro
Grâce à des micromaquettes transparentes (microfluidiques) creusées de manière contrôlée et collées sur des lames en verre, l’équipe suit en temps réel la présence et le transport de bactéries, solutés ou suspensions colloïdales, injectées à pression ou débit contrôlés. Avec un microscope muni d’une caméra numérique à haute résolution (video-microscopy), il est possible de mesurer et localiser le transport de ces éléments, leur filtration par le milieu, la consommation d’oxygène, etc.
Comment relier les mécanismes à petite échelle avec leurs conséquences observées au niveau macroscopique ? Les théories classiques de mélange et transport ne parviennent pas à combler cette brèche, à réaliser cette liaison entre échelles très différentes (ou upscaling). Pietro de Anna travaille à améliorer ces modèles théoriques, afin de pouvoir prédire les résultats observés. Les expériences menées ici en laboratoire permettent d’une part de quantifier ces mécanismes de petite échelle et d’autre part de valider ou non les nouveaux modèles théoriques.
Par exemple, dans un article publié récemment dans Nature Physics, Pietro de Anna et collaborateurs ont montré que les gradients chimiques à très petite échelle – au niveau de pores microscopiques – modulent le mouvement de dispersion globale des bactéries. Cette avancée a été possible grâce à un système de microfluidique constitué d’une distribution aléatoire d’obstacles cylindriques à section circulaire ou en forme de croissant. Ce modèle simule des sols naturels pour capturer le désordre d’écoulement et les gradients chimiques à l’échelle des pores. Les bactéries parviennent à exploiter des microgradients pour profiter de micropoches de nutriments, modifiant ainsi la dispersion globale de la population bactérienne dans le milieu. Il s’agit d’une nouvelle démonstration que la dynamique à grande échelle est souvent déterminée par le comportement des micro-organismes au niveau des individus – en particulier, les comportements visant à détecter et à exploiter les gradients de ressources et à améliorer l’absorption des ressources.
Un monde microscopique à découvrir
On sait encore très peu de choses sur l’univers de bactéries : on estime que seulement 1% des bactéries existantes sont connus, et que seulement 1% de celles-ci peuvent être étudiées en laboratoire. Pietro de Anna transmet son enthousiasme aux étudiant·es, pour qui il a développé un laboratoire didactique, grâce à un fonds FIP (Virtual Didactic laboratory). Cela les aide à mieux appréhender les équations complexes vues en cours.
Ce qui se passe à l’échelle de la bactérie peut donc nous aider à comprendre des phénomènes globaux comme les cycles biochimiques, la reminéralisation, la biorémédiation (la décontamination de milieux pollués, notamment à l’aide de microorganismes) et l’ampleur de ces phénomènes. Comprendre le transport et le mélange de bactéries dans le sol pourra peut-être aussi aider à mieux comprendre comment les gènes vont passer d’une population à l’autre – ce qu’on appelle le transfert horizontal. La transmission de gènes entre bactéries joue un rôle particulièrement important pour les populations humaines si on pense aux gènes responsables de la résistance aux antibiotiques. Le taux de transferts va, très probablement, dépendre de processus à très petites échelles, que les expériences menées dans ce laboratoire contribuent à élucider.
Pour en savoir davantage, jetez un œil à Environmental Fluid Mechanics qui montre les derniers résultats de l’équipe. Laissez-vous séduire par la beauté de la recherche à l’échelle microscopique !