Le séminaire de Master « Agriculture urbaine » offre chaque année l’opportunité aux étudiant·es de réfléchir de manière créative aux pratiques agricoles dans et autour de la ville. Les projets vidéo 2025 rendent compte de la relation des agriculteur·ices et des jardinier·es aux oiseaux et contribuent ainsi à l’exploration d’une « géographie humanimale »
Ces travaux ont été réalisés sous la direction de Joëlle Salomon Cavin (Professeure en géographie environnementale à l’Institut de géographie et durabilité – IGD), avec le soutien de Lazare Duval (assistant doctorant à l’IGD) et l’aide de Nicolas Rohrer (réalisateur indépendant) et Carlos Tapia (réalisateur du Centre de soutien à l’enseignement de l’UNIL – CSE).

La coexistence avec les oiseaux dans les espaces cultivés urbains
Quels oiseaux fréquentent les champs et jardins, dans ou autour de la ville ? Les pratiques agricoles impliquent de côtoyer une multitude d’autres êtres vivants. Parmi ceux-ci, les oiseaux qui, en raison de leur régime alimentaire et de leur mode de déplacement, cohabitent souvent avec les humains dans les espaces cultivés. L’ensemble des travaux montre la diversité des relations qui se tissent entre les humains et les oiseaux en fonction des fruits et légumes cultivés, des animaux élevés, de l’organisation de l’espace et des espèces d’oiseaux qui le fréquentent, des saisons, des connaissances et de la sensibilité de l’enquêté·e.
Les vidéos soulignent ainsi que les cultures productives inclinent la relation du côté du conflit et de la concurrence pour une même ressource. Les corneilles deviennent des visiteuses peu appréciées en période de semi. A l’inverse, certain·es agriculteur·rices voient les oiseaux comme des collaborateurs dans la lutte contre des insectes ou des rongeurs jugés nuisibles : hirondelles pour les mouches, faucons et chouettes pour les souris et les mulots.
Les jardins visités apparaissent généralement comme des lieux de négociation et de tolérance avec les oiseaux. Le jardin est parfois aménagé à la fois pour permettre aux poules de circuler et pour protéger le potager. Il faudra souvent accepter de partager les cerises avec l’avifaune. Les enquêté·es témoignent d’une connaissance fine de certains individus ailés dont ils pourront identifier les routines, voire la personnalité : tel héron viendra se poser chaque jour à la même heure, telle poule préfèrera la compagnie des humains à un groupe de nouveaux gallinacés.
Le statut domestique d’un oiseau incline la relation du côté de l’attachement. Des canetons et des poussins qu’on aura vu grandir seront identifiés par un prénom et on en déplorera le décès suite à déprédation par le renard. A l’inverse, les oiseaux sauvages font l’objet d’un intérêt diffus. Les agriculteur·ices et jardinier.es ne font pas la différence entre les individus.
La plupart des vidéos confirment l’importance du « charisme animal » dans l’appréhension des espèces par les humains : les rapaces sont admirés, y compris par les étudiant·s qui les filment longuement, tel ce faucon perché sur son nichoir dans une grange. L’intelligence des corvidés est soulignée à différentes reprises.
Filmer des oiseaux : un défi technique qui pousse à cultiver l’art de l’attention
Le caractère mobile et difficilement saisissable des oiseaux a poussé les étudiant·es à contourner la contrainte en faisant montre de créativité : par exemple une vidéo sans oiseaux visibles mais enrichie par leurs chants continus ou par des dessins d’oiseaux, pour pallier leur absence. Composer avec la contrainte incite les étudiant·es à jouer avec l’ensemble des possibilités offertes par la vidéo. Outre l’acquisition de compétences techniques de vidéo et de montage, cette session aura permis aux étudiant·es de développer « l’art de l’attention aux vivants ». L’éducation du regard, l’attention à l’environnement ont constitué le cœur de l’intervention en cours de semestre de Pierre Baumgart, artiste naturaliste.
Pour aller plus loin
Charisme animal : Jamie Lorimer définit le charisme animal comme l’ensemble des propriétés d’un organisme qui régissent son appréciation par les humains. Les espèces charismatiques (tigre, loup, éléphant…) servent souvent de symboles et de levier d’action pour des politiques de conservation.
Géographie humanimale : la géographie animale s’inscrit dans une perspective dite relationniste qui ne cherche à étudier ni les humains ni les animaux pour eux-mêmes, mais la relation qui s’établit entre eux.
Art de l’attention aux vivants : cultiver l’art de l’attention à toute sorte d’organismes vivants, à l’exemple du champignon Matsutake, telle est l’invitation de l’anthropologue Anna L. Tsing avec ses collègues de l’Atlas Feral.
Séminaire de Master
Depuis 2020, des étudiant·es de Master interviewent des agriculteur·rices et de jardinier·ères sur leurs rapports à la nature, dans le cadre d’un séminaire en agriculture urbaine.
Le projet continue : retrouvez les entretiens de toutes les sessions, ainsi que les réflexions surgissant autour de ces belles rencontres entre humains et non-humains.