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Lukas Baumgartner nous fait partager une journée typique. À ses côtés, nous déambulons d’un laboratoire à l’autre. Au programme : des lancements de mesures entrecoupées par d’intenses discussions d’équipe.
Face à trois écrans, concentré sur les réglages complexes de la Microsonde électronique, Lukas Baumgartner de l’Institut des sciences de la Terre s’apprête à faire parler des pierres de tonalite (granitoïde), extraites d’un site italien qu’il étudie depuis sa thèse.
Des corps mouvants qui racontent l’histoire de la Terre
Lukas Baumgartner veut tout savoir de la composition chimique de ces tonalites et des roches encaissantes – des sédiments métamorphiques. Mais pour comprendre sa démarche, il faut d’abord revenir en arrière. Longtemps en arrière.
La Terre s’est formée après le Bigbang, par accrétion, constituant petit à petit un cœur, qui attire les éléments les plus lourds, un manteau visqueux et une croûte qui se durcit en refroidissant. C’est ainsi qu’à Lausanne, nous marchons sur une croûte d’à peu près 30 km d’épaisseur qui « flotte » sur le manteau. Le flux des roches entre croûte et manteau les amène à entrer en collision, à s’écarter, à plonger… Ces mouvements géologiques ont des conséquences sur la composition des roches, mais aussi des conséquences plus globales. La formation des Alpes, par exemple, en est une. Les variations du CO2 dans l’atmosphère découlent aussi de ces phénomènes, ce qui n’est pas sans importance en ces temps de réchauffement climatique !
« J’étudie une partie de ces mécanismes, une toute petite partie ! »
Lukas Baumgertner
De grandes questions dans un laboratoire à taille humaine
Pour comprendre ces flux de roches plutoniques sous nos pieds, leurs conséquences thermiques et la durée de vie des « anomalies thermiques » liées au magma, différentes méthodes s’offrent aux géologues. Le forage en est une, mais les températures et pressions sont telles en profondeur qu’on ne va guère au-delà de 10 km. L’autre solution, c’est ce que Lukas Baumgartner met en œuvre ici : étudier les roches accessibles à la surface et retracer leur histoire grâce à leur composition chimique. En parallèle, il soumet des minéraux à de hautes pressions et températures, et compare les conséquences de ces expériences à ce qu’on observe dans la nature. Finalement, les lois physiques – comme la diffusion de chaleur dans les roches, ou la diffusion des éléments dans des minéraux comme le grenat – nous permettent de remonter la chronologie des phénomènes géologiques, tels que les événements ignés et métamorphiques courts.
Pratiquement, la Microsonde électronique envoie des électrons sur la lame (photo ci-dessous) et mesure les rayons X émis, caractéristiques pour chaque élément. Des analyses chimiques quantitatives à haute résolution spatiale en résultent. Pour ces machines délicates, un soutien technique qualifié est crucial. En l’occurrence, le chercheur Martin Robyr est toujours là en cas de problème.
Voilà, les mesures sont lancées sur la microsonde. En attendant les résultats, Lukas enchaîne sur un projet parallèle. Cette fois, il s’agit de foraminifères et de l’histoire du climat.
Le changement climatique : une question vieille comme la Terre
Alors que l’on spécule sur l’intensité du changement climatique à venir, les températures qu’a connues de la Terre dans le passé font également débat. Notre fenêtre d’observation des températures de la Terre, nos archives, ce sont notamment les foraminifères. La composition isotopique de ces animaux marins fossilisés microscopiques est en effet utilisée pour retracer la température qui régnait de leur vivant. Mais aujourd’hui, les scientifiques se demandent si ces mesures isotopiques ne seraient pas aussi altérées par les conditions subies après la mort des foraminifères. Au cours d’un projet avec le Prof. Anders Meibom et ses collègues, Lukas Baumgartner s’est ainsi lancé dans l’analyse de la fiabilité des résultats isotopiques. Avec elle, c’est toute notre vision de l’histoire de la Terre qui pourrait être chamboulée.
De toute évidence, une fois encore, pratiquer une expérience grandeur nature et observer les transformations des foraminifères sur plusieurs millions d’années est irréalisable. Comme alternative, pourquoi ne pas faire subir aux foraminifères des températures et des pressions très fortes, mais pendant un temps moins long ? Une expérience qui se déroule en somme dans un temps de chercheur, pas celui de foraminifères fossiles. Ensuite, il s’agit d’examiner les effets sur leur composition ; puis, d’extrapoler sur plusieurs milliers d’années ce qu’on observe en quelques heures. Cela fonctionne, car la loi de diffusion – qui décrit le changement de composition isotopique en fonction du temps – est proportionnelle à la température et la pression.
La clef de l’énigme dans le cristal
Les foraminifères sont notamment constitués d’une accumulation de cristaux de calcite à une échelle nanométrique. Pour élucider l’âge des foraminifères, on peut donc aussi interroger un cristal calcite (photo ci-dessous) de la même composition qu’eux. C’est ce dont Lukas Baumgartner et ses collègues discutent autour d’un café. L’équipe se demande quelles mesures de diffusion réaliser sur le cristal : selon quel angle ? Comment couper le cristal ? Et avec quelle précision ? Chacun de ces détails compte. Et la décision se fonde sur la littérature et les moyens techniques disponibles…
Attention, fourneaux brûlants
Comment manipuler des températures et des pressions si fortes ? Le Laboratoire hydrothermal permet d’atteindre 2000 bars – la pression subie par les roches à 7 km sous la surface – et 800 °C ! Pour résister aux pressions les plus grandes, on utilise des tubes – appelés bombes – de stellite, qui résistent à l’explosion jusqu’à des températures de 850 °C sous pression. Un de ces tubes, brisé, est posé en évidence à côté de l’installation : il rappelle aux expérimentateur·trices que les manipulations à ces niveaux de pression et de température sont éminemment dangereuses et que le nom de ces tubes ne doit rien au hasard ! Ces tubes sont censés être quasi incassables, mais celui-ci a violemment explosé en refroidissant trop vite au contact de l’eau…
Dans les fours, les échantillons à étudier peuvent également être placés dans des mini-tubes d’or ou de platine : ces métaux réagissent peu et résistent à des températures allant jusqu’à 1560 °C.
Dans ce laboratoire, on peut aussi étudier la composition des minéraux et la réaction de l’eau portée à très haute température, afin de reconstituer les conditions de pression et de température subies par les roches métamorphiques. La composition des fluides est par exemple essentielle pour comprendre les interactions fluides-roches dans les systèmes géothermiques. La vitesse de diffusion des éléments est également déterminée ici : elle permet d’évaluer les températures et pressions critiques (dites constantes critiques), qui donnent une idée de la durée de stabilité des minéraux en fonction des conditions qu’ils traversent.
La visite s’arrête ici, et pour connaitre la suite, ou pour en savoir plus, suivez les résultats de l’équipe !