Origine des formation carbonatées du Nord Cameroun : déchiffrer les mémoires de la terre

Thèse soutenue par Nathalie Diaz, le 2 juin 2017, Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST)

Un paysage est une archive de la Terre et, sachant le déchiffrer, il peut raconter son histoire. Le sol en fait part intégrante et il évolue à travers des périodes environnementales plus ou moins stables. Les périodes instables sont dominées par des processus sédimentaires, alors que les plus stables sont dominées par des processus biogéochimiques, liés au développement de la vie et des sols.

Dans le Nord du Cameroun (Afrique de l’Ouest), des sols ayant des morphologies en dôme et recouverts de nodules carbonatés ont été observés dans des zones en érosion. Ce travail a eu pour but de comprendre l’origine de ces formations carbonatées, et d’étudier (1) leur nature pédo-sédimentaire, (2) les processus de formation et leur paléoenvironnement, et (3) leur âge et évolution.

L’étude des sols en dôme a montré qu’ils étaient alcalins, riches en particules fines, riches en smectite, et avec des structures cassantes en fentes. Ces caractéristiques sont propres aux Vertisols. Pourtant, les Vertisols actuels du Nord Cameroun se trouvent dans des zones inondées en aval, où l’érosion est faible, alors que les sols en dôme se situent en amont. Les sols en dôme sont donc interprétés comme des reliques de Vertisols, héritées d’une période plus humide, au cours de laquelle les zones inondées, et donc les Vertisols, auraient été plus étendues. Cependant, les nodules carbonatés sont composés de calcite, qui est un minéral précipitant en conditions alcalines. Si telles sont les conditions aujourd’hui, elles l’étaient pas forcément dans un passé plus humide. Il faut donc l’expliquer.

Les reliques de Vertisols se trouvent dans un bassin granitique pauvre en calcium (Ca). Une étude parallèle a montré pourtant que le Ca des nodules est fourni par ce granite. Ce paradoxe est possible si le Ca, une fois libéré de la roche, s’accumule dans l’écosystème. Mais comment ? L’étude plus fine des nodules a montré qu’ils se sont formés dans des sols saisonnièrement inondés et lorsqu’une forêt était présente. Ceci se produisait aussi à une époque charnière durant laquelle les conditions s’asséchaient. Des cristaux d’oxalate ont été trouvés dans les nodules. L’oxalate est un produit ubiquiste des plantes et c’est aussi une source de carbone (C) pour certaines bactéries, qui le consomment aussitôt libéré dans le sol. Cette consommation est connue pour alcaliniser le milieu.

L’hypothèse est donc que dans un passé plus humide, un écosystème forestier en zone humide se développait, accumulait du Ca et du C et produisait de l’oxalate. Les conditions se sont ensuite asséchées, menant au retrait de la forêt et à la libération des éléments et de l’oxalate, dont la consommation a initié l’augmentation du pH dans le sol. Une fois les conditions de pH atteintes, la calcite a pu précipiter sous forme de nodules. Ainsi, des changements hydriques ont initié le transfert des éléments d’un monde organique vers un monde inorganique, via des processus bactériens. Ce monde organique épuisé, et les conditions continuant à s’assécher, le système s’est érodé menant au paysage actuel.

Quel âge à ce paysage ? Combinant des méthodes de luminescence et de carbone radiogénique, il a été monté qu’il datait de la dernière période humide en Afrique il y a environ 10’000 ans. Le matériel parent des sols aurait été déposé avant pendant une période plus sèche. La période humide a ensuite commencé menant au développement de la forêt et des Vertisols en zones humides. Un assèchement des conditions marque la fin de cette période menant au retrait de cet écosystème. Le monde organique jusqu’alors créé, se transforme en un monde inorganique. Comme les conditions ont continué à s’assécher jusqu’à aujourd’hui, une période d’érosion a ensuite été initiée menant au paysage relique actuel.

L’étude combinée du paysage, des sols et des nodules carbonatés a permis de remonter le temps, et de reconstituer les processus pédo-sédimentaires évoluant durant les variations climatiques du Quaternaire récent en Afrique de l’Ouest.

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