Bouleversements de la vie sur Terre : tout est dans le timing


L’émission brutale de grandes quantités de laves a entraîné de grands bouleversements au cours des temps géologiques. Les mécanismes de ces événements volcaniques restent énigmatiques. Toutefois, des chercheurs de l’Université de Lausanne et de Genève viennent de dissiper en partie ce mystère, en montrant que la disparition d’une grande partie des espèces vivantes résulte de l’évolution de la composition des gaz émis lors d’événements volcaniques exceptionnels. Les émissions de gaz soufrés (SO2) puis de gaz carbonique (CO2) ont provoqué deux périodes climatiques extrêmes, qui se sont succédées : un refroidissement initial, suivi d’un réchauffement de l’atmosphère.

L’évolution de la vie sur Terre est marquée
par plusieurs bouleversements majeurs.

Ces événements qui affectent tous les écosystèmes sont expliqués par l’émission de grandes quantités de laves et de gaz provoquant de brusques changements climatiques et un empoisonnement des eaux et des sols. Ces manifestations volcaniques extrêmes, appelées « provinces volcaniques » au vu de leur extension géographique, peuvent émettre des quantités phénoménales de laves (plusieurs millions de km3) durant une très courte période de temps à l’échelle géologique (500’000 ans à 1 million d’années). La taille de ces provinces volcaniques est tellement importante que si un tel événement se produisait aujourd’hui, il pourrait recouvrir l’ensemble de l’Europe d’une couche de laves épaisse de 100 à 200 m.

La correspondance temporelle entre grandes extinctions des espèces vivantes et émissions volcaniques est bien établie. Toutefois, la succession d’événements volcaniques et environnementaux amenant à la disparition de 50 à 90% des espèces vivantes reste encore incomprise. Pour tenter d’éclaircir ce mystère, une équipe de chercheurs de l’Université de Lausanne, en collaboration avec leurs collègues de l’Université de Genève, de l’Université de Princeton et du musée d’Histoire naturelle de Paris, ont entrepris l’étude des archives fossiles de deux extinctions majeures liées aux limites des périodes Trias-Jurassique et Pliensbachien-Toarcien observées il y a respectivement 201 et 183 millions d’années. Ces événements correspondent à la formation des provinces volcaniques du CAMP, pour Central Atlantic Magmatic Province, dont on trouve les traces sur les bordures de l’Atlantique, allant du Canada au Brésil et du Portugal au Sénégal, et du Karoo-Ferrar située actuellement en Afrique du Sud, Australie et Antarctique.

Deux périodes climatiques extrêmes :
un refroidissement suivi d’un réchauffement.

L’étude des données paléontologiques et géochimiques, combinée aux dernières techniques de datation géologique, a permis d’établir pour la première fois une corrélation temporelle entre les enregistrements fossiles et les traces du volcanisme avec une précision suffisante pour démontrer que ces épisodes catastrophiques ne représentent pas un seul événement. Grâce à cette meilleure résolution temporelle, il apparaît que ces événements correspondent en fait à deux périodes climatiques extrêmes successives, avec un refroidissement initial suivi d’un réchauffement global de l’atmosphère.

Des changements climatiques peuvent être expliqués par le relâchement de grandes quantités de gaz volcaniques dans l’atmosphère, dont les principaux sont le SO2 et le CO2. La clé permettant d’expliquer les changements climatiques observés aux limites Trias-Jurassique et Pliensbachien-Toarcien réside dans le fait de montrer que les émissions de SO2 et de CO2 n’ont pas été simultanées, mais successives. Pour parvenir à cette explication, il a fallu reconsidérer les mécanismes liés à la genèse des provinces volcaniques afin de montrer l’existence d’un décalage temporel entre les rejets de SO2 et les émissions de CO2.

Le rôle joué par la lithosphère mis en évidence.

Dans l’article publié dans le journal Nature Scientific Reports, les auteurs mettent en évidence le rôle de l’épaisseur de la lithosphère, partie rigide de notre planète comprenant la croûte et la partie supérieure du manteau terrestre, dans le processus de formation des magmas. La formation des magmas, roches fondues qui vont donner naissance aux laves en surface, est expliquée par la remontée de matériel chaud provenant de la limite du noyau terrestre. Lorsque ce matériel remonte, il atteint sa température de fusion vers 150 à 180 km de profondeur.

Or, les provinces volcaniques du Karoo-Ferrar et du CAMP sont émises sur des parties de la lithosphère épaissies (>200 km) très anciennes. Ainsi, ce surépaississement de la lithosphère froide empêche les magmas de se former directement en profondeur. Les remontées de matériel chaud vont ainsi commencer par réchauffer la base de la lithosphère avant de pouvoir produire de grands volumes de laves. Durant ce processus d’interaction initial, de grandes quantités de SO2 stockées dans la lithosphère peuvent être libérées dans l’atmosphère, provoquant un refroidissement rapide de la surface du globe. Ensuite, l’émission des laves du Karoo-Ferrar et du CAMP produit un réchauffement climatique extrême lié à l’émission de CO2 (un gaz à effet de serre), provoquant une montée rapide du niveau des océans. De plus, l’interaction des gaz volcaniques avec l’environnement génère plusieurs empoisonnements successifs des eaux et des sols expliquant la disparition de nombreuses espèces vivantes. La mise en évidence du rôle de la lithosphère lors du processus de formation des provinces volcaniques permet d’expliquer également pourquoi certaines provinces volcaniques induisent des conséquences majeures sur l’évolution de la vie sur Terre alors que d’autres épanchements de même volume semblent avoir des effets négligeables sur les écosystèmes.

Ce type de volcanisme catastrophique ne paraît pas constituer une menace dans l’immédiat, car aucun indicateur géophysique ne semble suggérer qu’un tel processus est en train de se produire. Cependant, une meilleure compréhension des processus passés confirme l’importance des émissions de gaz sur l’évolution des conditions climatiques et du niveau marin permettant ainsi de tester certains scénarios pour le futur de notre planète.

Auteurs : Jean Guex1, Sebastien Pilet1*, Othmar Muntener1, Annachiara Bartolini2, Jorge Spangenberg3, Blair Schoene4, Bryan Sell5, Urs Schaltegger5

1 Institute of Earth Sciences, University of Lausanne, 1015 Lausanne, Switzerland
2 Muséum national d’histoire naturelle, CNRS UMR 7207 Paleobiodiversité et Paléoenvironnements, CP38, 8 rue Buffon, 75005 Paris, France
3 Institute of Earth Surface Dynamics, University of Lausanne, 1015 Lausanne, Switzerland
4 Department of Geosciences, Princeton University, 219 Guyot Hall, Princeton, New Jersey 08544, USA
5 Section of Earth & Environmental Sciences, University of Geneva, Rue des Maraîchers 13, 1205 Geneva, Switzerland

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