Le Thorium, une contribution d’énergies non carbonées au climat

Par Claude Joseph,

L’énergie nucléaire est une des énergies qui émet les plus faibles quantités de carbone. Cette forme d’énergie exploitée dans les réacteurs actuels à Uranium est contestée à cause des grandes quantités de déchets radioactifs de longues durées de vies qu’elle produit et des risques d’accident. Ces défauts majeurs seraient supprimés en utilisant le Thorium à la place de l’Uranium. Cette technologie aurait en outre l’avantage de permettre l’élimination progressive des déchets radioactifs de longues durées de vie existant.

Avons-nous besoin de l’énergie nucléaire ?

L’énergie nucléaire est une des sources d’énergie qui produit le moins de carbone. Dans son rapport sur la limitation de la température moyenne du globe à 1.50, le GIEC envisage quatre scénarii qui tous comportent le maintien d’une part importante d’énergie d’origine nucléaire. En Suisse, jusqu’à récemment, l’énergie nucléaire produisait 40% de l’électricité, qu’il faudra compenser si on sort du nucléaire. Le développement souhaitable de la mobilité et du chauffage domestique n’utilisant plus d’énergie fossile entrainera une nécessaire augmentation des besoins d’électricité. Alors que les énergies dites renouvelables (photovoltaïque et éolienne) dépendent des circonstances météorologiques et environnementales, les sources hydrauliques et nucléaires apportent seules en continu la contribution nécessaire à satisfaire la demande d’électricité non carbonée.
Or l’énergie nucléaire, favorisée après la crise du pétrole des années 60, est impopulaire aujourd’hui après les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. L’énergie nucléaire actuelle basée sur l’Uranium souffre des deux défauts majeurs, la radioactivité des déchets et la sécurité. L’emploi d’une autre forme d’énergie nucléaire basée sur le Thorium comme combustible nucléaire, évite ces inconvénients. Mais de quoi sont constitués les déchets nucléaires ?

Nature des déchets

On doit distinguer entre deux sortes de déchets : les transuraniens et les produits de fission. Nos réacteurs actuels fonctionnent avec de l’Uranium enrichi ; l’énergie est produite par la fission de l’isotope 235 de l’Uranium qui ne constitue dans le combustible qu’environ le 3 à 4% de l’Uranium, le reste, soit 96%, est de l’Uranium 238. La capture de neutron par cet Uranium 238 conduit à la formation du Plutonium 239 ainsi qu’à d’autres transuraniens plus massifs (les actinides mineurs). Ces transuraniens sont de très longues durées de demi-vie (la demi-vie du Plutonium est de 24’000 ans, c’est-à-dire qu’il faut attendre environ 160’000 ans pour que sa radioactivité soit réduite d’un facteur 100.
Les deux noyaux résultant de la fission d’un noyau d’Uranium 235 sont aussi radioactifs. Par contre la plupart de ces produits de fission sont de durée de vie courte ou moyenne, seul deux éléments produits en faibles quantités sont de longues durées de vie. Globalement la radioactivité des produits de fission revient à la radioactivité du minerai d’Uranium lui-même en 250 à 300 ans (voir graphique). S’il est envisageable de contrôler des dépôts de déchets de produits de fission, ce n’est certainement pas le cas des transuraniens.

La sécurité

Nos réacteurs utilisent l’eau pour ralentir les neutrons et pour transporter la chaleur du cœur du réacteur vers les turbines génératrices de l’électricité. Afin que l’eau reste liquide aux hautes températures du cœur, il faut la maintenir sous haute pression. C’est la raison pour laquelle nos réacteurs sont confinés dans des enceintes massives qui doivent être étanches à la pression. En cas d’accident avec perte de refroidissement du cœur du réacteur l’eau peut bouillir ou même se dissocier en hydrogène et oxygène avec risque d’explosion et de dispersion de radioactivité (Fukushima).

Une solution à ces problèmes : Le Thorium

Le Thorium est un actinide de la même famille chimique que l’Uranium. Il n’existe que sous une seule forme isotopique : le Thoriun 232. Le Thorium n’est pas directement fissile. Exposé à des neutrons, le noyau de Thorium se transforme suite à la capture d’un neutron en Uranium 233, qui est très fissile.. Étant sensiblement plus léger que l’Uranium il faudrait pour former du Plutonium que le même noyau initial de Thorium capture successivement 6 neutrons, ce qui est fort peu probable. Les déchets de ce type de réacteur sont donc essentiellement les produits de fission.
Plusieurs types de réacteurs au Thorium peuvent être considérés, le plus sûr et le plus prometteur est le Réacteur à sels fondus. Le Thorium y est utilisé sous la forme de sels de Fluorure de Lithium et de Béryllium. Liquide à haute température ces sels sont à la fois combustible nucléaire et fluide transportant la chaleur (caloporteur). Il fonctionne à la pression atmosphérique et un système de vidange automatique en cas de surchauffe du cœur assure la sécurité de fonctionnement. La faisabilité du Réacteur à sels fondus a été éprouvée à Oak Ridge aux USA où Alvin Weinberg a fait fonctionner, dans les années 60, un tel réacteur pendant 4 ans.
Enfin notons que le Thorium est très abondant dans la croute terrestre, trois à quatre fois plus que l’Uranium et que la totalité de la masse du Thorium est utilisable, c’est-à-dire qu’à masse égale le Thorium contient 40 fois plus d’énergie que l’Uranium naturel. Le Thorium est en fait le sous-produit de l’extraction des terres rares ; il en existe déjà plusieurs milliers de tonnes de disponibles. Il peut assurer les besoins énergétiques de la planète pendant plusieurs millénaires.

Éliminer le Plutonium et autres transuraniens

Le Plutonium et les autres transuraniens sont, comme décrit plus haut, les déchets radioactifs de très longues durées de vie les plus nocifs. Il est possible de les transformer en déchets de vie plus courte en les faisant fissionner. Une possibilité est de les insérer dans des réacteurs à Uranium à neutrons rapides. Cette possibilité, longtemps envisagée (voir superphénix en France) a été dans la plupart des tentatives abandonnée pour des raisons de sécurité. Une possibilité plus intéressante consiste à coupler un réacteur sous critique à un accélérateur fournissant les neutrons nécessaires à l’entretien de la réaction en chaîne (ADS, Accelerator Driven System). Un projet développé par Carlo Rubbia et son équipe permet par exemple de transmuter environ 1.4 tonne de Transuraniens (Plutonium compris) chaque année tout en produisant une puissance électrique de 650 MWe. Le dispositif est sûr, il fonctionne à la pression atmosphérique, est refroidi au Plomb liquide et en cas de problème, il suffit d’interrompre le faisceau de l’accélérateur pour arrêter la réaction en chaîne. IThEC (International Thorium Energy Committee) association localisée à Genève développe un projet de démonstrateur des performances d’un tel dispositif.

En conclusion, j’estime que les deux possibilités doivent être envisagées pour répondre à l’urgence climatique, des réacteurs à sels fondus de Thorium de moyenne puissance répartis sur le territoire pour la production d’électricité et quelques ADS pour transmuter les stocks existants de transuraniens. Il faut agir vite, l’expérience a montré que le délai de réalisation de tels systèmes est d’une dizaine d’année.

4 Comments on “Le Thorium, une contribution d’énergies non carbonées au climat”

  1. Très intéressant, je suis tout à fait d’accord c’est une bonne solution, arrêtons de mettre ces centaines d’éoliennes sur nos crêtes jurassiennes et gardons une nature intacte importante pour tous.

  2. Bravo pour cet excellent article !
    Les centrales à l’uranium ont été financées par les militaires qui avaient besoin de plutonium pour faire des bombes nucléaires.
    Cela fait plusieurs années que je parle de la filière du thorium, mais j’ai l’impression de prêcher dans le désert…
    Les centrales au thorium sont la meilleure solution pour pallier la future pénurie d’électricité.
    Est-ce qu’il serait possible de remplacer « la chaudière à vapeur » des centrales à uranium par un réacteur au thorium et de récupérer l’ensemble turbine-alternateur des anciennes centrales à l’uranium?
    Que pouvons-nous faire pour accélérer la construction de nouvelles centrales au Thorium?

  3. Démonstration simple, compréhensible pour les non physiciens. CQFD.
    Alors pourquoi continue-t’on à vouloir construire des éoliennes aux rendements insuffisants et qui occultent les impacts sur la faune et la flore, des panneaux solaires dont la production est désastreuse ( et quid du retraitement des panneaux hors service?) et dont le rendement n’est pas non plus au top.
    La Chine lance son prototype de centrale au Thorium. Quid des européens ?

  4. Bravo Monsieur Joseph. Vous présentez une solution à multiples facettes: déchets nucléaires et énergie. Deux des problèmes actuels les plus fondamentaux que l’on peut résoudre ensemble.

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