Matrix Subway Fight* -Néo contre l’agent Smith : une allégorie de la résistance menée par Néo aux prises avec son striatum ?
Par Julien Rousseau
Sixième extinction de masse des espèces animales et végétales, acidification des océans, pollution plastique, disparition des terres arables, déforestations massives, dégradation de la qualité de l’air…les faits sont là. Scientifiquement prouvés depuis des décennies et back-checkés avec succès, ces phénomènes s’accélèrent et innervent depuis peu « l’opinion publique ». Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment s’engager, individuellement et collectivement, corps et âme, pour un présent et un avenir durable et désirable ? Comment mettre toutes les chances de notre côté, pour que notre engagement vers un monde meilleur soit un succès individuel et collectif ? Voici quelques pistes de réflexion et éléments de réponse.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Certains parlent d’une propension proprement « humaine », anthropologique à la destruction des écosystèmes. Ce serait dans « l’ADN » des bipèdes que nous sommes. Notamment à cause de notre cerveau reptilien, de la présence au cœur de notre cerveau du striatum et de son mécanisme. Un mécanisme qui serait responsable de la crise écologique dont nous sommes les contemporains. Une crise synonyme d’effondrement du vivant et donc de la civilisation telle que nous la connaissons, à plus ou moins brève échéance.
D’autres évoquent l’importance sous-estimée des récits, symboles des carcans psychiques dont nous serions prisonniers. En particulier les récits matérialistes et consuméristes qui sont autant « d’architectures invisibles[1] », qui dictent notre conduite et notre rapport à l’autre, structurent notre psyché et nos croyances collectives, régissent notre vie en société, sans que nous en ayons forcément conscience au quotidien.
Et si ces deux interprétations sur l’origine de la crise de civilisation à laquelle nous faisons face ne s’opposaient pas. Mieux : et si l’interprétation physiologique (le striatum) et l’interprétation psychique et culturelle (l’architecture invisible des récits) étaient complémentaires ?
1- Nous avons besoin de faire évoluer notre cerveau archaïque pour sortir de l’ornière, car les récits qui sont le fruit de ses mécanismes sont toxiques. Nous aurions en ce sens besoin d’expérimenter de nouvelles pratiques qui apprivoisent notre striatum…
2- …pour être capables collectivement de créer et d’explorer en conscience de nouveaux récits. Des récits qui soient compatibles avec un présent et un avenir à la fois soutenables et désirables.
1) Quelles pratiques pour apprivoiser notre striatum ?
Comment apprivoiser notre « ennemi intérieur », responsable du désastre écologique ? Ce n’est pas parce que notre tendance à l’appropriation, à l’accumulation, à la compulsion serait inscrite en nous-mêmes, au cœur de notre cerveau, que nous ne pouvons pas pour autant en déjouer les mécanismes. Pour que l’apprivoisement opère et fonctionne dans la durée, il faut lier en pratique ascèse et plaisir, à travers de nouvelles activités et habitudes telles que:
– La Méditation , le yoga, les techniques d’intelligence collective et jeux coopératifs pour améliorer la conscience que nous avons de nous-mêmes, notre empathie, notre santé et développer l’altruisme. Il s’agit par ces techniques individuelles et collectives d’appréhender un autre rapport à soi et à l’autre ; autre que la seule compétition qui nous isole les uns des autres.
– Un régime alimentaire qui prenne soin de notre « deuxième cerveau », notre microbiote intestinal, en partie responsable de nos humeurs, donc du rapport que nous entretenons à nous-mêmes et aux autres. Une pratique encadrée du jeûne, la slow food et l’alimentation en pleine conscience
– L’adoption de pédagogies alternatives, notamment celles qui mettent les enfants en lien avec le vivant dès le plus jeune âge, pour les sensibiliser à la préservation de la biodiversité
– Pratiquer périodiquement le jeûne digital et entamer une digital detox …pour éviter l’addiction aux écrans
Et bien d’autres exemples que j’ignore : je compte sur vous en commentaire pour m’aider à « hacker mon cerveau ». En d’autre terme, réduire la part des comportements propices aux addictions (qui nous replient sur nous-mêmes), qui peuvent être destructeurs, et développer des comportements qui « relient ».
Certains usages et techniques précités, pratiqués périodiquement, devraient infléchir les injonctions de notre striatum à l’origine de nos tentations égoïstes, de nos pulsions consuméristes et de nos réflexes anthropocentrés.
Parce qu’elles contribuent au développement de notre conscience, de notre sensibilité, de notre altruisme et de notre empathie, les pratiques précitées peuvent constituer un point d’ancrage pour qu’un avenir durable et désirable puisse s’épanouir plus facilement dans les têtes et dans les cœurs du corps social.
Considérant le fonctionnement du striatum qui réside au cœur de votre cerveau, soyez conscient d’une chose : critiquer ou promouvoir ces activités à votre échelle augmente ou diminue leur désirabilité sociale et a des conséquences sur leur adoption ou leur stigmatisation à plus grande échelle.
Lorsque vous redonnez de l’espoir et des perspectives aux gens, vous commencez à faire disparaître la notion d’impossibilité de leur vocabulaire. 5% c’est, d’après le sociologue Everett Rogers, la base d’adhésion nécessaire pour que tout changement soit possible à l’échelle de la société[2]. Qu’il s’agisse d’une idée, d’une pratique ou d’une vision de l’avenir, il faut qu’a minima 5% de l’opinion l’adopte pour qu’elle « existe » socialement. Le changement de mindset sociétal s’opère à partir d’un seuil de 10 à 25% d’opinion favorable[3] : l’idée, la pratique ou la vision de l’avenir en question cesse alors d’être minoritaire et devient une nouvelle norme sociale. Autrement dit, elle intègre le récit dominant.
» Au départ, nous n’avons de pouvoir que sur nous-même. Nous sommes notre propre empire, celui que nous pouvons gouverner, réformer, transformer. Agir sur nous-même, sur notre environnement proche n’est pas une finalité, mais l’amorce de réalisations plus vastes. En transformant notre fiction individuelle, nous proposons à ceux qui nous entourent le ferment d’un récit collectif. » Cyril Dion
2) Quels récits pour le XXIème siècle, l’ère de l’urgence écologique ?
» L’enjeu, aujourd’hui, est de s’accorder sur un récit (ou plusieurs), et de le coconstruire ensemble. De s’ouvrir de nouveaux horizons. Je pense à la phrase d’Antoine de Saint-Exupéry que nous citons dans notre dernier livre : “Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et belle.” Pablo Servigne
Quels sont les ingrédients du récit dont nous avons besoin aujourd’hui ? Pour le savoir, il faut opérer le diagnostic des écueils de « l’architecture invisible » de la Matrice dans laquelle nous sommes nés. Autrement dit, le diagnostic du récit égoïste, consumériste et anthropocentré, résultat des injonctions débridées de notre cerveau archaïque, qui nous a conduit au désastre écologique.
Sans en avoir véritablement conscience, nous vivons dans un récit dominant qui considère implicitement :
- Que la nature et la communauté des vivants (autre qu’humains) sont avant tout une source de matières premières inépuisables dédiées au confort des bipèdes (pour ne pas dire au confort d’une minorité d’entre eux)
- Que l’Homme est séparé d’une nature dont il est « maitre et possesseur »
- Que le progrès et la high tech sont synonymes
Pour les générations présentes et à venir, nous avons besoin d’un récit à la fois crédible et fédérateur afin d’envisager concrètement les contours d’un avenir soutenable et désirable. Je n’ai pas la recette miracle de ce récit. Néanmoins, essayons d’esquisser la liste des ingrédients et condiments qui paraissent incontournables pour réussir ce plat de résistance :
- La biodiversité et sa préservation doivent avoir un rôle clé dans la préparation, dans la mesure où la biodiversité est à la base de notre alimentation et de notre santé. Le Pr Robert Barbault synthétise d’une phrase l’enjeu : « La biodiversité c’est le passage du concept de l’homme et la nature à celui de l’homme dans la nature »
- Redéfinir le progrès comme « l’amélioration durable des conditions de vie humaine », ce qui implique d’anticiper et de projeter les externalités négatives de l’usage d’une technologie sur le vivant à court, moyen et long terme
- Ne pas oublier d’aimer la nature (la communauté des vivants) et d’en prendre soin comme nous-mêmes en la considérant comme une source d’inspiration
- Enfin, passer d’un Homme « Maître et Possesseur de la nature » à un être humain « Serviteur et Protecteur de la communauté des vivants (dont il fait partie intégrante) » …dans son intérêt bien compris.
Conclusion : « Hacker notre cerveau » et devenir « adulte »
Anthropocène: le ver est dans le fruit…la racine du mal (l’excès) est en nous. Si notre cerveau archaïque nous a longtemps protégé, les mécanismes de notre striatum nous mettent aujourd’hui en danger.
Ainsi, hacker notre cerveau (pour nous départir de nos addictions mortifères à long terme) devient une voie vers la sagesse. Autrement dit, la promesse d’un salut, ou plus modestement, la perspective d’une résilience accrue pour les générations présentes et à venir. Un « hacking cérébral » très différent de celui du Google Brain Project : hacker notre cerveau de manière souveraine, sans vice caché ni recours à une high tech privative, par l’intermédiaire de pratiques et d’activités qui nous mettent davantage en lien avec nous-mêmes, les autres et les vivants. Génératrices de liens, ces expériences susceptibles de nous transformer sont un terreau fertile, propice à l’éclosion de nouveaux récits.
C’est à partir d’initiatives qui jettent les bases d’un nouveau récit qu’une prise de conscience plus globale peut avoir lieu, engendrant à terme un changement sociétal, sous réserve que cette prise de conscience soit partagée par une génération : nos actes d’achat (aussi anodins soient-ils) et nos actes de candidature sont des bulletins de vote économiques. Quand nous achetons un produit, quand nous postulons à une offre d’emploi, nous votons pour une entreprise et un modèle de société, c’est-à-dire pour une manière de produire (qui produit quoi et où, entreprise et fournisseurs compris ? quel est son rapport à la nature ? aux vivants ? au partage des richesses avec ceux qui vivent et travaillent à ses côtés ?). En un mot, nous confortons une entreprise dans ses choix en les cautionnant à travers nos actes d’achat ou de candidature. Même s’ils restent individuels, nos actes peuvent être coordonnés. Nous leur conférons ainsi davantage de sens et de poids dans la trame de notre quotidien. Et ce d’autant que nous nous sentons moins seuls à agir. In fine, on se rend compte que ne pas avoir de pouvoir ne veut pas dire ne pas avoir d’influence. Incorporer ce récit impacte nos identités (moi citoyen, moi consommateur, moi salarié ou entrepreneur) : nos identités sont moins fragmentées, isolées les unes des autres. C’est l’effet d’une démarche qui a du sens et d’actes qui gagnent en cohérence. C’est cette quête de sens en acte, cette détermination à agir aujourd’hui pour demain qui unit nos différentes identités et nous relient davantage à nous-mêmes, aux autres et aux vivants.
Systématiser la démarche pour gagner en puissance : vers une spiritualité militante
Si « faire ma part » me tient à cœur, je peux évaluer ma progression : mesurer ma contribution individuelle à un avenir soutenable et désirable. Notamment en m’aidant du mantra qui suit comme d’une boussole pour évaluer en conscience mon « état d’âme », c’est à dire mes pensées, mes actes et leurs impacts (aussi anodins soient-ils) :
– Est-ce que cette pensée ou cet acte me met davantage en lien avec moi-même ?
– Est-ce que cette pensée ou cet acte me met davantage en lien avec les autres ? Est-ce que cela me permet de connecter les autres entre eux ?
– Est-ce que cette pensée ou cet acte me met davantage en lien avec la nature/la communauté des vivants ?
Enfin, dans les grandes lignes, si je devais conter à ma fille l’histoire de l’Humanité, je lui dirais que c’est une histoire qui comporte 3 chapitres. 3 chapitres qui ont simultanément lieu à la surface du globe :
- Le premier relate l’enfance de l’humanité : nous croyons parfois en une transcendance dont nous craignons le jugement … car nous savons que nous sommes mortels
- Le second relate l’adolescence de l’humanité : nous croyons parfois que nous sommes « maîtres et possesseurs » de la nature, nous refoulons parfois les conséquences de nos actes sur nous-mêmes, sur les autres et sur la communauté des vivants, nous agissons parfois comme si demain n’existait pas … car nous savons que nous sommes mortels
- Le troisième chapitre relate l’âge adulte de l’humanité (seul chapitre qui ne soit pas encore gravé dans le marbre) : il décrit la sensibilité de ceux qui mesurent la vulnérabilité du vivant, la conscience qu’ils ont de leurs impacts et leur engagement pour sa préservation, au-delà d’eux-mêmes…car ils savent qu’ils ne sont pas propriétaires de la Terre mais qu’ils l’empruntent à leurs enfants.
Je dirais à ma fille que c’est à nous de participer, avec d’autres, à l’écriture de ce dernier chapitre…car personne ne pourra accomplir notre humanité à notre place.
[1] Cyril Dion, Petit manuel de résistance contemporaine (2018)
[2] Cité par Lawrence Lessig dans le documentaire « Larry Lessig : la rébellion du professeur d’Harvard » (Arte 2015) [3] Science et Vie juin 2019 « Théorie de l’effondrement : notre société peut-elle vraiment disparaître ? » https://www.science-et-vie.com/archives-par-numero/n-1221 : « Une expérience publiée en juin 2018 dans Science a établi que la conversion à grande échelle vers une nouvelle norme sociale pouvait intervenir à partir d’un seuil de 25% de la population déjà convertie. » D’autres sources parlent d’un seuil à seulement 10%, notamment une source gouvernementale qui s’appuie sur l’ouvrage Tipping Point du Journaliste Malcolm Gladwell, mentionné dans cet article.