Des trophées de la Commune en Suisse
À l’occasion des journées « Parlons Commune ! » (24-26 septembre 2021), les Archives cantonales vaudoises (vd.ch/acv) ont exposé dans leur salle de lecture le drapeau du 145e bataillon de la Commune, ramené par un officier suisse au service des Versaillais.
Dans la famille Cérésole, pasteurs, militaires, hommes d’État et pacifistes font apparemment bon ménage. Parmi les sept fils du pasteur veveysan Auguste Cérésole, Adolphe devient militaire de carrière, Alfred est théologien et écrivain populaire, Paul sera juge puis conseiller fédéral, son fils Pierre un grand pacifiste.
Adolphe Cérésole (1836-1881) était au service de la France dans le Régiment étranger. Il a tenu et illustré son journal pendant les campagnes d’Italie, du Mexique puis de France pendant de longues années.
Le 1er avril 1871, le Régiment étranger arrive en train à Versailles « pour soutenir le gouvernement contre la Canaille qui s’était donné rendez-vous dans la Commune de Paris ». Il prend des barricades, brûle des maisons, fait des prisonniers, « figures atroces s’il en fut », et le 2 mai le capitaine Cérésole se voit décoré de la Légion d’honneur, qu’il sable au champagne.
Après quelques jours de repos et de flâneries, il reprend le combat le 19 mai, pour les derniers jours de la Commune de Paris, la Semaine sanglante. Il en dresse la chronologie dans un article de la Revue militaire suisse, l’année suivante :
« Le 25 mai. Le régiment se porte sur Courbevoie et entre à Paris par l’Arc de triomphe de l’Étoile. Les tambours battent la marche du régiment en passant sur les fortifications de Paris. Le régiment est dirigé en suivant les bastions sur la Chapelle où il passe la nuit. Bastion 43.
Le 26 mai. Le régiment occupe la gare du Nord et la Chapelle. Le soir le 5e bataillon occupe la gare de Strasbourg.
Le 27 mai. Le 5e bataillon occupe la gare de l’Est, puis rejoint les autres à midi aux barricades, rue de Puebla aux pieds des buttes Chaumont.
Le régiment enlève ce jour plusieurs barricades. Le soir du même jour, 4 compagnies du 5e bataillon (la 1re Cérésole, 2e Bossler, 5e Massini, 7e de Gabarde) enlèvent avec la plus grande vigueur les buttes Chaumont et s’y maintiennent. Un grand nombre de trophées, drapeaux, canons, tombent entre les mains du régiment. On ne fait pas de prisonniers ; tout ce qui est pris les armes à la main est passé par les armes.
Pendant ce temps les 1er et 2e bataillons font plus de 2000 prisonniers dans la Mairie du 2e arrondissement. L’insurrection et l’anarchie râlent.
Le 28 mai. Patrouilles par bataillons dans les quartiers de Belleville. Le régiment fournit plusieurs piquets d’exécution et s’en acquitte avec conviction. Le soir le régiment campe sur les vertes pelouses des buttes Chaumont. Les clairons y sonnent les Pompiers de Nanterre à la retraite.
Le 29 mai. Sur les buttes. Travaux de propreté. »
Adolphe Cérésole enverra ces trophées en Suisse. Avec quelques « fanfreluches », le drapeau du 145e bataillon de la Garde nationale est conservé aux Archives cantonales vaudoises, dans le fonds de la famille Cérésole. Lorsqu’un caporal s’en est saisi, le drapeau était criblé de balles ; lorsque les Archives l’ont fait restaurer en 2003, elles n’ont malheureusement pas souhaité que les trous restent visibles, on n’en aperçoit que quelques traces à condition de l’examiner de près.
« Je ne sais si ma compagnie a tué 200 communards. J’espère qu’il y en a davantage et pour moi il n’y en a jamais eu de trop. Je ne les ai jamais aimés, mais lorsque j’ai vu des aventuriers, misérables pygmées, danser la polka sur la colonne Vendôme renversée, mon cœur a bondi de rage », écrit-il à son frère.
Marianne Enckell a été avec Patrick Auderset commissaire de l’exposition Sous le drapeau syndical, Lausanne, Musée Arlaud, 2014, où a figuré ce drapeau. Elle collabore en outre au CIRA (Centre international de recherches sur l’anarchisme) à Lausanne.
Sources
- Archives cantonales vaudoises, Archives privées : P Cérésole (famille), inventaire.
- Adolphe Cérésole, « Le régiment étranger dans la guerre de 1870-1871 : notes avec itinéraire des 1er et 2e puis 5e bataillons du régiment étranger pouvant servir à établir l’historique de ces 3 bataillons du 1er octobre 1870 au 22 juin 1871 », Revue militaire suisse, n°13, 1872.
- Pierre-Yves Favez et Emil Dreyer, « Un drapeau de la Commune de Paris (1871) », Vexilla Helvetica, 2002-2003, vol. X.
- Jérôme Guisolan, Capitaine Cérésole (1836-1881), un officier suisse au service de la France, Pully, Centre d’histoire et de prospective militaires, 2016.
Pour citer ce billet de blog : Marianne Enckell, « Des trophées de la Commune en Suisse », Blog du Centre Walras-Pareto, 13 octobre 2021, https://wp.unil.ch/cwp-blog/2021/10/des-trophees-de-la-commune-en-suisse/.