Coopération(s) et caetera : le colloque 2020 de l’association Charles Gide à Lausanne
Les 10, 11 et 12 septembre 2020 s’est déroulé à Lausanne le 18e colloque de l’Association Charles Gide. Un recul de quelques semaines aide à comprendre que cette expérience banale en apparence – un colloque parmi tant d’autres – s’est en fait révélée très inhabituelle. Aux ingrédients classiques s’est ajouté un ingrédient-surprise qui n’a cessé de rebattre les cartes : le Covid-19. Ainsi le colloque de Lausanne invite-t-il à un certain nombre d’enseignements et à diverses questions : les voici.
Le 15e colloque de l’Association Charles Gide s’est tenu à Lyon en 2014, le 16e à Strasbourg en 2016, le 17e à Nancy en 2018. Les membres de l’Association et les membres du Centre Walras Pareto ont décidé ensemble à la fin de l’année 2018 que pour la première fois, la manifestation aurait lieu hors de France en 2020. Lausanne donc en fin d’été, trois jours de septembre 2020. La thématique générale a été définie sans trop de peine. Il y serait question de coopération, au pluriel, sous toutes les coutures.
Les choses allaient bon train : un comité local d’organisation et un comité scientifique ont été mis sur pied, un appel à communications a été élaboré. Un site a été construit pour fédérer tout ce qu’il était bon de savoir sur le colloque ; une photo de la société coopérative de consommation « La laborieuse » (Troyes, France), datable des années 1930, a été choisie pour illustrer le site après de plaisantes discussions.
Un colloque malgré tout
Mais le Covid-19 est arrivé et les colloques se sont annulés les uns après les autres autour de nous. La stupeur de la mise en confinement n’était pas propice à la rédaction de propositions de communications, et le délai pour nous les remettre arrivait bientôt à terme… Que faire ? L’équipe d’organisation, qui s’est un peu resserrée à l’occasion autour des cinq cosignataires de ce texte, comprenait à la fois des optimistes et des pessimistes. Et il nous fallait vite communiquer aux potentiel·les participant·es.
Parmi les options envisagées, mais vite écartées : annuler, reporter ou passer intégralement en ligne. Une idée a émergé de nos réunions : nous allions organiser le colloque, quelle que soit la situation, avec une formule mixte, où nous accueillerons celles et ceux qui souhaiteraient faire le voyage – ou ne seraient pas empêché·es de le faire – et en ligne pour les autres. Nous avons bien mesuré le risque que si les conditions sanitaires se détérioraient beaucoup, nous pourrions nous retrouver juste entre nous à Lausanne, avec le reste des participant·es en ligne. Il fallait donc prolonger l’appel à communication, et communiquer clairement sur la question. On était en avril 2020, et les participants ont eu le choix de participer en ligne ou à distance, tout en ayant la flexibilité de changer d’avis, presque jusqu’au dernier moment[1]. Il restait cependant de nombreuses inconnues, et des interrogations techniques, notamment comment assurer la fluidité des échanges entre participant·es en présentiel[2] et en ligne.
Nous avons eu beaucoup de chance en termes de calendrier. Non seulement, nous avons bénéficié d’une accalmie sur le front sanitaire (les colloques ont été autorisés dès le 1er septembre à l’université de Lausanne ; et les voyages venaient d’être ré-autorisés entre la Belgique et la Suisse, tandis que ceux entre la France et la Suisse n’étaient – tout juste – pas encore assortis d’une mise en quarantaine). Mais en plus, la rentrée universitaire, qui tombait deux jours après le colloque, faisait de nous le premier évènement sur le campus depuis mars 2020, et nous avons été identifiés pour servir de répétition générale pour l’utilisation du nouveau matériel installé les jours précédents le colloque, et mis en place pour les enseignements mixtes de la rentrée de septembre 2020. À ce titre, nous avons bénéficié d’un soutien exceptionnel de la part des services centraux de notre université, et nous les en remercions sincèrement. Ils nous ont rassuré.e.s sur les aspects techniques, ont géré les aspects de sécurité sanitaire (désinfection quotidienne des locaux), et ont mis à notre disposition une aide technique durant le colloque, en la personne de Jessica Chautems, sans qui rien n’aurait été possible (merci à elle !).
Nous avons donc accueilli 40 participant·es sur le campus, plus une trentaine en ligne répartis sur les trois jours. Avec notre comité d’organisation, qui comprenait trois doctorant·es (pas seulement dans le comité local, mais également pour certain·es dans le comité scientifique), avec le soutien bénévole d’Andreas Stoller, de Rethinking Economics Lausanne, pour l’accueil, et avec le soutien financier et logistique de l’Institut d’études politiques et du Centre Walras Pareto de l’Université de Lausanne, ainsi que du Fonds national de la recherche scientifique, notre pari d’un colloque malgré tout était gagné.
Coopération(s) et histoire de la pensée économique dans tous leurs états
Il a donc été possible malgré les vents contraires de parler à Lausanne, en fin d’été 2020, de coopération(s) et de bien d’autres questions relatives à l’histoire de la pensée économique. La pandémie était dans tous les esprits et bouleversait la vie quotidienne lorsqu’est arrivée, au début du printemps 2020, l’heure fixée pour soumettre les communications et les sessions. Il a fallu choisir entre plus de soixante-dix propositions venues d’un peu partout : Suisse, France, Europe et au-delà ; et en provenance de différentes traditions disciplinaires : histoire de la pensée économique et histoire de la pensée politique, théorie politique, histoire, philosophie politique, sciences de l’éducation.
La question « Coopération(s) » était explicitement envisagée dans un sens large afin de favoriser les comparaisons et les dialogues disciplinaires. L’appel s’ouvrait ainsi :
« Coopérer, c’est-à-dire ‘faire quelque chose conjointement avec quelqu’un’ : l’idée a été explorée avant le XIXe siècle pour penser, entre autres, le fonctionnement économique et politique des sociétés. Elle s’est cristallisée dans les années 1820 sur un ensemble de significations convergentes : dans le sillage de Robert Owen, elle a d’abord désigné en particulier une forme d’organisation de l’économie fondée sur des ‘coopératives’ et adossée au projet d’une prise de décision partagée et d’une meilleure redistribution des richesses produites. Au cours de ces deux cents dernières années de nombreux auteurs – par exemple autour de l’avocat du ‘coopératisme’ Charles Gide (Devillers, 1998) et de l’École de Nîmes – l’ont placée au cœur de leurs recherches. Elle a donné lieu à un nombre remarquable de mises en œuvre – de The Rochdale Society of Equitable Pioneers jusqu’à The Preston Model, pour s’en tenir au cas britannique. »
Quant aux questions posées en fin de course, elles ratissaient large :
« Comment ont été théorisées et instaurées des institutions destinées à mettre en œuvre coopération et coordination en société ? » ; « Jusqu’à quel point l’histoire de la pensée éclaire-t-elle sur les raisons pour lesquelles individus et groupes coopèrent ? « La coopération est-elle plutôt le fruit d’une volonté politique de transformation de la société ou, plus prosaïquement, une bonne méthode pour conduire au mieux ses affaires (Hilson 2018) ? »
Il a été très réjouissant de constater que la thématique a mobilisé les énergies, comme en témoigne un programme riche et diversifié composé de neuf sessions centrées sur « coopération(s) » et sept consacrées à divers aspects de l’histoire de la pensée économique. À défaut de revenir sur tout, on se contentera ici d’un petit « inventaire à la Prévert »[3].
Côté coopération(s) : « Au sein des coopératives de logement: réécrire les scénarios de partage de la division du travail dans le ménage » (Lisa Buchter, Emlyon Business School), « Buddhist Economics and the process of Innovation for Community Development: A Case Study of Local Administrative Organizations in Uthai Thani Province », (Wanna Prayukvong, Mahidol University) ; également six interventions réunies sous la bannière « Eduquer à la coopération » (en partenariat avec l’AFHE), et trois sous la bannière « La coopération chez les socialistes (fin des années 1820 – 1840) ».
Côté histoire de la pensée économique : « The Relationship Between Theology and Economics: The Role of The first Jansenism » (Maxime Menuet, université Clermont-Auvergne) ; « Welfare Theory, Public Action and Ethical Values: Revisiting the History of Welfare Economics » (Antoinette Baujard, université Jean Monnet / université de Lyon) ; également trois interventions sous la bannière « Disequilibrium Macroeconomics: The French Case of the 70s ».
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Deux conférencières invitées ont donné du souffle au colloque. En première partie de colloque Ophélie Siméon (université Sorbonne-Nouvelle) avec « Pionniers avant Rochdale. Les origines du mouvement coopératif britannique, 1820-1843 ». En seconde partie de colloque Tine de Moor (université d’Utrecht) avec « The course of the cooperative. Understanding the role of institutions for collective action in the past millennium ».
Le colloque a été l’occasion de retrouver de vieilles connaissances, de connaître de nouvelles personnes, de discuter et de faire naître de nouvelles coopérations. Si les échanges et les discussions informelles ont été plus nombreuses avec les 40 participant·es sur place, le colloque a été incontestablement plus riche avec la trentaine de participant·es à distance. Et s’il nous fallait retenir que deux choses de toute cette expérience, pour nous, c’est premièrement que les rencontres entre collègues sont un besoin fondamental ; et deuxièmement, que si c’était à refaire, on referait tout pareil.
Justine Loulergue, Marius Kuster, David Sarech, Thomas Bouchet et François Allisson sont respectivement doctorante et assistante diplômée, doctorant FNS, doctorant et assistant diplômé, professeur associé et maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne, et membres du Centre Walras-Pareto d’études interdisciplinaires de la pensée économique et politique. Ensemble, elle·ils formaient le comité local d’organisation resserré du colloque.
Notes de bas de page
- C’est-à-dire en ayant la possibilité de se faire rembourser les frais de participation sur place, jusqu’à 10 jours avant l’évènement. Une possibilité qui complique singulièrement la planification financière. ↩
- Il s’agit d’un mot nouveau issu de la novlangue liée au Covid-19, et depuis usité dans la pédagogie universitaire. ↩
- Le programme complet est disponible ici : en téléchargement. ↩
Pour citer ce billet de blog : Justine Loulergue, Marius Kuster, David Sarech, Thomas Bouchet et François Allisson, « Le colloque 2020 de l’association Charles Gide à Lausanne », Blog du Centre Walras-Pareto, 16 octobre 2020, https://wp.unil.ch/cwp-blog/2020/10/le-colloque-2020-de-lassociation-charles-gide-a-lausanne/.