Moral Accounting Matters : une histoire de la gouvernance comportementale, 1800-1945
Dans ce billet, originellement publié dans la newsletter no 18 de l’eSSPace recherche (juin 2020), Harro Maas, Gabrielle Soudan et Virgil Wibaut-Le-Pallac exposent le projet FNS sur lequel ils vont travailler ensemble entre 2020 et 2024.
Durant ces dernières années, les économistes comportementalistes ont de plus en plus remis en question deux des hypothèses centrales de la théorie économique, l’individu autonome et rationnel, en proposant des programmes dits « nudge » pour gouverner les choix des individus.
De tels programmes de « conduite des conduites » ne sont pas nouveaux, comme l’a déjà montré Michel Foucault. Notre projet de recherche reprend le fil d’un raisonnement généalogique pour mettre à jour non seulement les outils, les méthodes et les institutions envisagés pour gérer le comportement individuel selon des logiques de marché, mais aussi les dispositifs mis en place par les individus eux-mêmes. Dans cette perspective, ce sont surtout les femmes qui s’organisent pour contrôler le ménage de la famille dans un contexte économique de plus en plus défini par une séparation des sphères de la production interne et externe au foyer, comme illustré dans le frontispice original de Dombey and Son de Charles Dickens (1846), et par la croissance de la consommation de masse.
Dans ce cadre, nous nous intéressons aux documents et aux dispositifs publics et privés qui, en visant la gestion de la comptabilité morale individuelle, définit l’idée d’un agent autonome et rationnel dominant les discours des économistes et des philosophes analytiques. Cette évolution progressive de la comptabilité morale se traduit en trois épisodes distincts et particuliers : Genève au tournant du XVIIIe siècle, au moment de l’intérêt pour des programmes d’innovation pédagogique relatifs à la vie familiale et ouvrière ; l’époque Victorienne où une part croissante de la classe moyenne s’auto-éduquait par l’usage des dispositifs de comptabilité l’aidant à s’insérer dans une société de plus en plus gouvernée par les lois du marché ; les États-Unis de l’Ère progressiste à la Seconde Guerre mondiale.
Le projet est dirigé par le Professeur Harro Maas, au Centre Walras-Pareto pour l’histoire des idées économiques et politiques au sein de l’Institut des Études Politiques de l’UNIL. Un doctorant FNS, Virgil Wibaut-Le Pallac développe un travail doctoral intitulé « La comptabilité morale dans l’ère des lumières industrielles : Genève 1800-1845 », Harro Maas travaille sur la comptabilité morale à l’époque Victorienne, et une doctorante FNS, Gabrielle Soudan, s’attèle à un travail doctoral intitulé « le ménage et le mouvement de l’économie du foyer à l’époque progressiste : la création du consommateur rationnel ». Pour le premier volet un site-web est envisagé afin de rendre public les documents d’archives portant sur le sujet.
Le projet intègre des sources, des méthodes et des analyses liées à l’histoire sociale, politique et économique, et à la circulation des idées et des pratiques. Il questionne également les acteurs sociaux, plus spécifiquement le rôle des femmes au sein d’une société en constant changement. Il contribue ainsi à une histoire transversale et pluridisciplinaire qui nous aide à comprendre pourquoi l’expression « le paternalisme libertarien » doit être perçu comme un oxymore – et ce, contre l’opinion de ses inventeurs Richard Thaler et Cass Sunstein.
Gabrielle Soudan est doctorante FNS à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne, et membre du Centre Walras Pareto d’études interdisciplinaires de la pensée économique et politique. Dans le cadre du projet dirigé par le professeur Harro Maas, Moral Accounting Matters: une histoire de la gouvernance comportementale, 1800–1945, elle s’attèle à une thèse de doctorat portant sur la création du consommateur rationnel dans le cadre du mouvement des home economics à l’époque de l’ère progressiste (1890–1945).
Virgil Wibaut–Le Pallac est doctorant FNS à l’Institut d’études politiques de l’Université de Lausanne, et membre du Centre Walras Pareto d’études interdisciplinaires de la pensée économique et politique. Sa thèse au sein du projet Moral accouting matters du professeur Harro Maas porte sur l’usage de la comptabilité morale à Genève au début du XIXe siècle.
Harro Maas est professeur d’histoire et de méthodologie de l’économie au Centre Walras Pareto d’études interdisciplinaires de la pensée économique et politique de la faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. II a écrit largement sur les changements de méthodes d’observation, de modélisation et de visualisation de l’économie aux 19e et 20e siècles. II est l’auteur de William Stanley Jevons and the Making of Modern Economics (CUP, 2005) et de Economic Methodology, A Historical Introduction (Routledge, 2014). Il a édité, entre autres, Histories of Observation in Economics (Duke, 2012) avec Mary S. Morgan, et The History of Experimental Economics: A Witness Seminar on the Emergence of a Field (Springer, 2016) avec Andrej Svorenčík. Son livre sur Jevons a reçu le J. Spengler Best Book Award (History of Economics Society) en 2006 et son volume sur l’économie expérimentale a reçu le prix du meilleur livre de l’European Society for the History of Economic Thought en 2019.
Pour citer ce billet de blog : Harro Maas, Gabrielle Soudan, et Virgil Wibaut–Le Pallac, « Moral Accounting Matters : une histoire de la gouvernance comportementale, 1800-1945 », Blog du Centre Walras-Pareto, 14 juillet 2020, https://wp.unil.ch/cwp-blog/2020/07/moral-accounting-matters/ .