Le réalisme critique

Le réalisme critique est un courant provenant de la philosophie des sciences, développé par Roy Bhaskar dans les années 1970. Il se positionne à la fois contre le positivisme et contre les approches postmodernes. Au cours des années 1980, cette approche est de plus en plus mobilisée dans les sciences sociales, notamment dans les sciences de l’organisation.

Le réalisme critique

En philosophie des sciences, le positivisme a longtemps été la référence: on croit alors en la neutralité et l’objectivité de la science. Concernant la nature de la réalité (ontologie), ce courant adopte la posture provenant du réalisme: la réalité est indépendante de l’esprit et des descriptions qui en sont faites. La science permettrait d’observer « la » réalité: une réalité indépendante du regard que lui porte l’observateur. Selon le positivisme, le devoir du chercheur est de découvrir les lois universelles qui régissent le monde. Pour ce faire, il utilise la méthode scientifique et adopte une posture de neutralité par rapport à son objet.

Le positivisme est remis en cause par des intellectuels tels que Popper, Kuhn ou Lakatos, qui relèvent le fait que la connaissance scientifique est construite socialement, c’est-à-dire qu’elle est le fruit d’un processus social (et non une réalité que l’on peut observer objectivement).

Le constructivisme social postule que la réalité est construite à travers les interactions. La réalité (ontologie) et la connaissance (épistémologie) que nous avons d’elle sont donc étroitement liées: il n’est pas possible de les séparer. La connaissance dépendant du contexte où elle est élaborée, il est impossible d’être neutre. Ceci implique qu’il n’y a pas de vérité unique, universelle, puisque chacun construit sa réalité.

Ainsi, les réalistes considèrent que le constructivisme est trop relativiste et les constructivistes trouvent le réalisme trop déterministe.

Le réalisme critique proposé par Bhaskar dès les années ’70 est une critique du positivisme et du post-modernisme (qui considère qu’il y a autant de réalités que de points de vue). Sa démarche est avant tout un questionnement sur le plan ontologique: il se demande quelle est la nature des objets de recherche du scientifique, dans le but de proposer une méthode d’analyse appropriée.

Il remet en cause la nature de la réalité (ontologie) telle que considérée par les réalistes et les effets que cette vision a sur la façon dont on construit la connaissance (épistémologie). Selon lui, le réél existe (d’où le nom de réalisme), c’est-à-dire qu’il existe une réalité indépendante de l’observation et des descriptions humaines. Mais la connaissance que l’on a de la réalité n’est qu’une vision parmi d’autres: il existe donc différentes visions de cette réalité.

Réel et connaissance sont donc différents, c’est ce que Bhaskar explique avec sa stratification du réel en trois niveaux:

  1. Le réel: ce niveau contient tout ce qui existe: objets physiques ou sociaux, qui possèdent une structure, des propriétés et des pouvoirs causaux. Ils peuvent donc agir sur d’autres objets et produire des changements. « Par exemple, l’eau, de par sa nature, a le pouvoir de bouillir et de geler ou encore, la force de travail a le pouvoir de fournir du travail » (Ramuz, 2011, p.223).
  2. L’actuel: c’est le domaine des événements, ce qui se passe quand les pouvoirs causaux agissent. Ce sont « les relations entre les facteurs observables et non observables, qui sous-tendent l’empirie » (Dufour, 2013, p.56).
  3. L’empirique: ce qui est observable. Dans le champ scientifique, il s’agit du domaine qui contient les données ou les faits qu’il s’agit d’observer.

Le chercheur observe le domaine empirique, mais les domaines de l’actuel et du réel ne lui sont pas nécessairement connus et ne relèvent pas que de l’observation. Ce qui distique les réalistes critiques des positivistes est le fait qu’alors que les seconds cherchent les lois universelles qui expliquent les phénomènes, les premiers reconnaissent que toute observation est faillible et peut être erronée. Par conséquent, les théories ne sont pas figées, elle peuvent changer (« Positivism & Post-Positivism », s. d.).

La société est considérée comme « un ensemble de structures réelles constituées de pratiques et de conventions qui sont reproduites et transformées par les individus » (Hatch et Cunliffe, 2009, p.407). Le chercheur doit s’appliquer à découvrir les mécanismes génératifs et les structures qui gouvernent les institutions, les pratiques et les rôles (Hatch et Cunliffe, 2009, p.407).

Enfin, ce type de réalisme est dit critique car son objectif est de dévoiler les mécanismes d’oppression et de permettre leur modification (Dufour, 2013, p.57). L’accent est d’ailleurs mis sur le poids des structures (par exemple, sociales) auxquelles sont soumis les individus (Dufour, 2013, p.58).

Références

Danermark, B., Ekström, M., Jakobsen, L., & Karlsson, J. C. (2002). Explaining Society : Critical realism in the social sciences. London and New York: Routledge.

F.-Dufour, I. (2013). Réalisme critique et désistement du crime chez les sursitaires québécois : Appréhension des facteurs structurels, institutionnels et identitaires (Thèse de doctorat). Québec: Université de Laval.

Hatch, M. J., & Cunliffe, A. L. (2009). Théorie des organisations: de l’intérêt de perspectives multiples (2e éd.). Bruxelles: De Boeck Université.

Hédoin, C. (2010). Le réalisme critique de Tony Lawson : apports et limites dans une perspective institutionnaliste. Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy, 1(58), 103-131.

Naccache, P., & Urien, B. (2006). Du temps GMT au temps BMT : une interprétation de l’échec de l’Internet Time au regard de l’épistémologie réaliste critique. Cahier de recherche, Marsouin.org, 1. Consulté à l’adresse http://www.marsouin.org/IMG/pdf/Naccache-Urien_1-2006.pdf

Positivism & Post-Positivism. (s. d.). Consulté à l’adresse http://www.socialresearchmethods.net/kb/positvsm.php

Ramuz, R. (2011). Du fétichisme à l’hégémonie : comprendre les formes de domination pour articuler les stratégies de lutte. In M.-C. Caloz-Tschopp (Éd.), Colère, insoumission: perspectives (Vol. 7, p. 221-242). Paris: L’Harmattan.

Projets de recherche

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