par Jonathan Hofer
La Paranoïa / de Rafael Spregelburd / mise en scène Frédéric Polier / du 3 au 22 mars / Théâtre du Grütli / plus d’infos
La Paranoïa ? Une fiction dans la fiction de la fiction où vous, spectateur, assistez à l’histoire dans l’histoire, de l’Histoire… L’équipe de Frédéric Polier nous donne ici à voir une pièce des plus particulières.
Pour faire court : La Paranoïa, c’est l’histoire de cinq personnages – un colonel, un astronaute, un physicien théorique, une écrivain – aux caractères atypiques qui se réunissent dans un hôtel uruguayen pour sauver la planète – très hollywoodien tout ça ! Pour ce faire, ils ont la mission de nourrir « les intelligences », des entités extraterrestres, affamées de fiction. Nos compères ont 24 heures pour trouver une histoire inédite afin de rassasier ces terribles entités, sous peine de voir la planète terre disparaître. On retrouve dans ce véritable pot pourri : une miss Venezuela vengeresse, un flic bedonnant, un président corrompu, … bref, un magnifique nanar des années 80.
Avec Frédéric Polier et son équipe du théâtre du Grütli, c’est trois heures – ou trois sauts de tortue, j’avoue ne plus être sûr – de spectacle où théâtre et cinéma alternent dans une ambiance détraquée. La scénographie comporte un écran où l’histoire qui doit sauver l’humanité se déroule au fil de son invention. Agréable stratagème qui n’offre pas le temps de s’ennuyer.
Mais sous une apparente gratuité, la pièce critique acerbement l’industrie du divertissement. Un monde où triomphent les clichés, les facilités artistiques et le plaisir pur. C’est un peu le principe des Cent mille milliards de poèmes de Queneau : en partant de stéréotypes esthétiques, narratifs, thématiques, … il est possible de créer une quantité presque infinie d’associations, qui amènent à un composé formel visant uniquement le divertissement.
La critique porte sur deux aspects liés : l’extravagance extrême des personnages créateurs engendre la grossièreté du scénario. Or, pour mettre cela en exergue, il ne suffit pas de jouer uniquement sur des superlatifs. Il faut savoir trouver la ligne exacte, ni trop, ni trop peu. Il faut que le metteur en scène sache entendre la voix de l’auteur, qu’il la transmette et guide ses acteurs dans ses méandres. Dans ce labyrinthe qu’est La Paranoïa, on ne peut que saluer la collaboration de Frédéric Polier et de Rafael Spregelburd : le directeur du théâtre du Grütli, qui a déjà monté une autre pièce de ce même auteur l’année dernière (L’Heptalogie de Hieronymus – basée sur le tableau Les Sept Péchés Capitaux de Hieronymus Bosch) entre parfaitement dans le fonctionnement des codes textuels de la pièce – les répliques policières vides de sens, les liaisons amoureuses superficielles, le pathos débordant, … : il sait jouer avec, surprendre, étonner.
La Paranoïa est un spectacle réussi, pas parfait sur le plan technique – quelques problèmes sonores dans les changements de plan cinématographiques, certaines sorties de scène un peu rapides – mais avec une base telle, il ne peut être que comme un bon vin : il se bonifiera un peu chaque représentation. Si vous avez le courage de vous laisser bousculer, à ne pas manquer !