Casting présente : R-Hamlet
Conception et mise en scène par Lausanne-Impro / Théâtre 2.21 (Lausanne) / Du 18 au 19 octobre 2024 / Critiques par Lou Sicovier et Odile Jaques.
Humour et costumes noirs
18 octobre 2024
Par Lou Sicovier
Dans ce spectacle d’improvisation en deux parties, la troupe Casting joue sa propre interprétation d’Hamlet, variant entre fous rires, faux raccords et codes James Bondiens. La surprise est le maître-mot de la pièce, et les comédiens en deviennent les premiers concernés.
Le théâtre d’improvisation se construit d’habitude sur des thèmes, jetés à la va-vite par les spectateurs sur des bouts de papier avant le début de la représentation. Cette fois, c’est sur le célèbre texte de Shakespeare que les comédiens se basent. Cependant, le spectateur est prévenu d’avance : nul besoin de connaître la pièce originale. Cette dernière transparaît par bribes, au même titre que des références cinématographiques, l’actualité journalistique, et les ennuis du quotidien qui tracassent les protagonistes.
Dans la première partie, les quatre comédiens (Odile Cantero, Blaise Bersinger, Greg Lersesche et Yacine Nemra) sont guidés par une cinquième personne (Yvan Richardet), casquette sur la tête et assise derrière un écran d’ordinateur. Celle-ci donne des indications pour jouer les principaux passages d’Hamlet, en y intégrant des répliques des films de James Bond. Le spectateur assiste donc à l’enterrement du père d’Hamlet, au mariage entre sa mère et son oncle, à l’interrogatoire mené contre Claudius, ou encore à l’exhibition de gadgets proposés à Hamlet en agent secret. Les rôles sont plus ou moins attribués, mais évoluent au fil des différentes scènes. D’ailleurs, les comédiens peuvent jouer tant un personnage qu’un concept, recevant par exemple comme indication de jouer une bombe. Le « metteur en scène » interrompt constamment les dialogues pour donner de nouvelles indications et précisions, sur la manière de se mouvoir, de réciter le texte, ou encore de mimer des gestes.
L’aspect d’improvisation se trouve donc conservé, puisque les quatre comédiens sont constamment mis à l’épreuve pour remodeler les scènes. Cela contribue à l’effet comique, puisqu’il y a des erreurs, des redites, ou encore des situations que personne ne pouvait anticiper. L’issue de la pièce est donc incertaine pour tout le monde, ce qui permet ainsi de nombreux rebondissements. Cette première partie s’achève sur des indications scéniques pour la suite du spectacle, donnant ainsi plusieurs pistes possibles sur la continuité et l’achèvement de la pièce.
La deuxième partie s’ouvre sur une course-poursuite en voiture, avant de se poursuivre sur un générique à la manière de James Bond : musique de Billie Eilish, lumières enveloppantes, gestes au ralenti, pancartes indiquant le nom des comédiens. Les différentes scènes semblent laisser plus de liberté à l’improvisation, avec l’absence du « metteur en scène ». Les répliques sont ainsi plus spontanées, et contribuent à l’imprévu : Hamlet se retrouve embarqué dans un carnaval, pardonne à son oncle Claudius, déclame des métaphores, ou prépare un feu d’artifice. Il finit d’ailleurs par renoncer à venger son père, préférant le pardon pour être en paix.
Ce qui est étonnant dans ce spectacle, c’est son aspect unique et insolite. Chaque réaction des comédiens fait prendre de nouveaux rails au déroulement de l’histoire, rendant ainsi impossible la prévision ou l’ennui. D’ailleurs, le spectateur est souvent sollicité pour donner son avis, faisant ainsi basculer le sens de la pièce dans une autre direction. Il y a également un aspect très naturel qui rappelle qu’il s’agit d’un spectacle, car les ruptures de cohérences dans l’action sont facilement reconnaissables et rompent parfois le flot de l’intrigue. Un comédien se fait tuer alors qu’il incarnait un rôle essentiel, un objet inoffensif est utilisé comme une arme une autre fois, et les comédiens oublient parfois incarne quel personnage. Mais cela donne aussi son charme à cette réinterprétation, puisque chaque parti pris est innovant et individuel. Chaque choix laisse l’opportunité à chaque comédien de prendre sa place, et permet par la même occasion de découvrir de nouvelles facettes de cette pièce shakespearienne.
18 octobre 2024
Par Lou Sicovier
There’s just no time to die or not to die
18 octobre 2024
Par Odile Jaques
Sur la scène du 2·21, cinq improvisateurices transportent l’histoire de Hamlet dans l’univers de James Bond. Un univers inattendu, beaucoup d’humour, des figures de styles, un générique sur du Billie Eilish, une course poursuite à moto, toutes les embuches étaient là, mais le groupe ne se casse la figure qu’à moto.
Dans une magnifique paire de collants, un réalisateur de renommée mondiale (Yvan Richardet) fait irruption sur scène. Il vient d’être contacté par Hollywood afin de faire le dernier James Bond en suivant l’histoire de Hamlet de Shakespeare. Quatre comédien·ne·s entrent alors sur scène afin de passer le casting (Odile Cantero, Blaise Bersinger, Adrien Mani, Yacine Nemra). Dans la première partie, il leur fait jouer quelques scènes clés comme la scène où l’agent Hamlet revient de mission et apprend que son père, l’agent 007, s’est fait tuer en mission et que le frère de James Bond, l’agent Claudius, a épousé M pour devenir le chef du MI5. Dans la deuxième partie, il s’agit de tourner le deuxième opus. Celui-ci commence quand l’agent Hamlet tue par mégarde l’agent 003, Polonius. Son « mentee », Laërte, rentre alors de mission pour le venger. Mais qui tirait vraiment les ficelles ?
L’ensemble du spectacle est improvisé et la prouesse tient à la fois dans la maitrise des deux univers et de leurs codes, et dans le mélange équilibré des deux mondes, improvisé sur le vif. Shakespeare est plutôt réputé pour ses longues tirades philosophiques tandis que l’univers de James Bond consiste principalement en scènes d’action. Le rythme de la narration était donc une corde tendue sur laquelle les comédien·ne·s ont su rester en équilibre : ce n’étaient ni des dialogues interminables ni de l’action sans explication. L’idée de faire la première partie sous forme de casting est originale et fonctionne pour captiver le public et lui expliquer le concept. Mais la deuxième partie, qui n’est qu’une grande histoire, est plus captivante encore et on peut se laisser prendre dans l’univers. La deuxième partie commence même si fort, entre une scène d’exposition et un générique aux petits oignons, qu’on se surprend à se demander si c’est vraiment improvisé.
Et pourtant oui, tout est improvisé mais cette question vient rapidement quand l’impro quitte le format du match, un format rapide et comique. Quand le public voit « impro » sur le programme, des attentes de formats courts et drôles lui viennent généralement. À ce titre, même si ce n’est pas un format court, R-Hamlet peine à se défaire des attentes humoristiques. Même si les tragédies de Shakespeare avaient une bonne part d’humour, ici, la tragédie s’est transformée en véritable comédie et le public, moi compris, était hilare pendant la majorité du spectacle. Pourtant, un petit nombre de plaisanteries et certains décrochages (rire provoqué non pas par le personnage mais par la·e comédien·ne qui l’interprète) font parfois sortir de l’action et une tragédie aurait été l’opportunité de faire légèrement moins d’humour en construisant une histoire plus émotionnelle. Malgré leur petit nombre, quelques scènes très grandioses ou émouvantes ont quand même été offertes au public et l’humour des autres renforce d’autant plus leur effet dramatique.
À ce titre, le jeu et la mise en scène improvisée ont vraiment rendu cette pièce époustouflante. Par exemple, Odile Cantero, qui jouait Hamlet, a très bien su montrer les signes de nervosité de son personnage, discret au début, avec de petits gestes parasites, qui se transforment petit à petit en TOC puis en « folie » verbale et gestuelle. Yacine Nemra a également réalisé plusieurs prouesses verbales par ses jeux de mots ou son aisance avec les figures de styles. Oui : comme si toutes ces difficultés de scénario ne suffisaient pas, les comédien·ne·s avaient chacun une figure de style qu’iels devaient essayer de produire le plus souvent possible. Une autre contrainte était celle de décrire verbalement tous les morts et les blessures, en plus de les jouer physiquement (« pan, la balle lui traverse le cœur et du sang asperge contre le mur »). Bonne idée de base, mais c’est là encore un outil dont la·e spectateur·ice se lasse s’il est utilisé à chaque emploi d’arme, en particulier dans l’univers de James Bond qui n’est pas réputé pour son pacifisme. Cependant, les bruitages et les mimes étaient en général très bons et ils ont réussi à nous faire passer d’une course de moto au carnaval de Rio sans aucun problème. Ajoutons que même la plus excellente des mises en scène est un peu gâchée si elle se déroule dans le noir : Stéphanie Rochat, à la technique et aux lumières, a parfaitement su accompagner les actions, les chorégraphies et les répliques.
Plusieurs questionnements éthiques ont été soulevés directement ou indirectement dans ce spectacle. Premièrement, concernant le sexisme et le genre, bien qu’il n’y ait qu’une femme et quatre hommes sur scène, iels ont su conscientiser et verbaliser l’univers généralement sexiste des films de James Bond et en jouer, notamment en inversant les genres de certains personnages et par le retournement de situation qui a fait de M la grande méchante de l’histoire. Le spectacle interroge aussi les clichés. Plusieurs fois, les comédien·ne·s ont joué dans des langues qu’iels ne connaissaient pas et ont donc soit parlé français avec un accent ou en imitant des termes et des sonorités ressemblant à la langue (« si, si, no coprenda »). Je n’ai pas la réponse à la question de savoir si cette technique peut être blessante pour certaines populations et je sais que plusieurs membres de la troupe ont à cœur de faire les impros les plus respectueuses possibles, et que ce sont des questions qu’iels se posent également.
Beaucoup de metteur·euse·s en scène se demandent s’il est possible de rénover ces classiques du théâtre, ou de les faire parler à un public contemporain. La réponse apportée par la troupe Casting est qu’il suffit de les mélanger avec un Naruto, un Disney ou un James Bond, et le tour est joué !
18 octobre 2024
Par Odile Jaques