Par Marguerite Thery
Une critique sur le spectacle :
Pile ou face / D’après Catherine Colomb / adaptation et mise en scène par le collectif CLAR / Le Reflet (Vevey) / du 16 au 17 avril 2024 / La Comédie (Genève) / du 19 au 28 avril / Plus d’infos.
Née en 1892 à Saint-Prex, dans le canton de Vaud, Catherine Colomb a écrit six romans qui marquent par leur originalité. Le collectif Clar adapte au théâtre le premier d’entre eux, Pile ou Face, paru en 1934, fresque de la vie de la famille L.
Dans une petite ville vaudoise, cette famille vit discrètement entre non-dits, résignation et désamour. Les deux époux, qui s’aimaient, ont fini par ne plus trop se parler pour mieux se supporter. Leur fille, qui vit avec eux, n’est pas plus portée vers le dialogue que ses parents : elle vit seule sa déception amoureuse. Le texte narratif de Catherine Colomb est en grande partie gardé : chaque personnage prend en charge tour à tour le récit, et s’adresse au public pour commenter en direct l’action qui se joue sur scène. Le dispositif noue ainsi une relation de confidence entre les personnages et les spectateurs. La mise en scène fait appel à un comique vaudevillesque : le mari arrive du bureau en sortant d’un placard, la robe de la femme se confond avec la tapisserie et la jeune fille au pair enchaîne les maladresses lors d’un souper mondain. Le quotidien étriqué de cette famille prend des allures de farce où l’on se moque joyeusement de la petite bourgeoise vaudoise. Une composition sonore vient rythmer et décaler certaines scènes, orchestrée par un des comédiens qui se poste à intervalles réguliers derrière un micro pour créer des sons étonnants à partir des objets qui l’entourent.
Sur le plateau, les quatre acteurs du collectif CLAR, Romain Daroles, Arnaud Huguenin, Loïc Le Manac’h et Chloë Lombard sont rejoints par Marie-Madeleine Pasquier, qui interprète Élisabeth, le personnage principal : une femme d’âge mûr enfermée dans une vie ennuyeuse. Elle se sauve dans son imaginaire pour faire exister ses rêves d’aventure et de liberté. Les spectateurs jubilent quand ils l’entendent glousser avec son preux chevalier fictif Robert, ou lorsqu’elle s’attarde à décrire des scénarios dans lesquels son mari meurt et qu’elle peut enfin jouir d’une vie libre. Elle est celle dont on connaît le mieux les aspirations, peu d’éléments permettent de rentrer dans la pensée des autres personnages. On comprend que le mari rêve d’être écrivain et que la fille vit un chagrin d’amour mais leurs interactions avec le public sont moins mises en avant. Une amertume sur ce qu’auraient pu être leurs vies les unit ; les spectateurs sont pris comme témoins.
Si la modernité de l’œuvre de Catherine Colomb nous frappe, c’est qu’on a l’impression de ne pas avoir beaucoup répondu aux questions qu’elle posait il y a 90 ans. Comment vivre sa vie ? Avec qui ? Dans quel but ? On sort avec l’envie d’utiliser la liberté dont les personnages sont privés, de prendre une journée seule à Genève, et de s’échapper là où les courbettes entre gens du monde ne sont pas de rigueur.