Par Claire Cornaz
Une critique sur le spectacle :
Le Paradis des chats / D’après Emile Zola / Adaptation et mise en scène Delphine Barut / Théâtre des marionnettes de Genève / du 27 avril au 8 mai 2022 / Plus d’infos.
Au Théâtre des Marionnettes de Genève, Delphine Barut et la Compagnie Mokett présentent Le Paradis des Chats, une adaptation dramatique de quatre nouvelles d’Emile Zola, tirées du recueil Nouveaux Contes à Ninon. En plus de la nouvelle éponyme, le spectacle adapte Le Chômage, Le Jeûne et Les Épaules de la Marquise, en entremêlant les intrigues, éclairant ainsi les différents aspects d’un monde bien zolien. Le spectacle nous emmène dans ce tableau animé, où la précarité des uns et la prospérité des autres sont présentées avec des marionnettes d’animaux et sous les lumières d’une satire presque tragique.
Le Paradis des Chats est originellement la seule nouvelle des Nouveaux Contes à Ninon à raconter directement les aventures d’animaux, ici celles d’un chat domestique et empâté à la recherche d’aventures sur les toits de la ville. Toutefois, dans le cadre du spectacle, les personnages des autres nouvelles ont eux aussi été métamorphosés en souris (pour Le Chômage), en hermine (pour Les Épaules de la Marquise) ou même en pélican (pour Le Jeûne) afin d’accentuer leurs traits et les aspects humoristiques, tragiques et ironiques de cet univers zolien. Le Paradis des Chats reprend certaines connotations associées à certains animaux: par exemple, les souris sont ici les petites gens, ouvriers, mendiants et personnes oubliées par un monde obnubilé par le profit; l’hermine n’est autre que la marquise elle-même, qui reste au chaud grâce à sa belle fourrure et ses richesses; et le pélican, un vicaire, clame ironiquement l’importance spirituelle du jeûne tout en arborant son large gosier. Sur scène, un grand coffre et des cases rectangulaires décorés de toutes parts servent de décor aux marionnettes, et parfois d’habitations. La taille de ces éléments est aussi indicatrice du statut de chacun : de petites boîtes pour les souris, un grand rectangle représentant un vitrail d’église pour le vicaire pélican, posé sur le coffre pour le chat, et l’hermine tient sa demeure dans le coffre même. Les marionnettes ressembleraient presque à des peluches, ou même des jouets, tenues et manipulées directement par les comédiens et comédiennes. A certains moments, ces derniers portent directement les costumes des marionnettes elles-mêmes. En effet, celles-ci changent de taille lorsque l’action le demande: tantôt petites lorsqu’elles gambadent dans le décor, tantôt en taille réelle de l’animal qu’elles représentent. Le spectacle est rythmé par une bande-sonore qui accentue les moments de peine ou de joie, et se transforme même en chanson de comédie musicale lorsqu’arrivent les présentations de la marquise – comme pour refléter la légèreté de sa vie prospère, en contraste avec les vies plus miséreuses des souris. Ces histoires et ces personnages s’entremêlent et se rencontrent, mais surtout via des allusions : le vicaire s’en va, prétextant une visite à la marquise; une colombe est attrapée au sortir de l’église par un chat affamé ; et une des petites souris, qui meurt de faim, mendie auprès de la marquise. Si chaque histoire cherche avant tout à peindre un portrait d’un pan de la société, leur rencontre développe un croquis global.
En une cinquantaine de minutes à peine, ce monde profondément réaliste fait tantôt rire, tantôt réfléchir, et lorsqu’on s’apprêtant à retourner à notre propre quotidien, on voudrait presque que le spectacle ait duré un peu plus longtemps, afin de profiter encore de ce tableau.