Et si on allait au théâtre comme au cinéma?

Par Noémie Jeannet

Une critique sur le spectacle :

Le Traitement / D’après Martin Crimp/ Mise en scène Julien Schmutz / Théâtre Equilibre-Nuithonie, Fribourg / du 4 au 8 mai 2022 / Plus d’infos.

© Guillaume Perret

Avec une esthétique se rapprochant à la fois du thriller psychologique et du « soap opera », c’est un spectacle aux allures de film que présente Julien Schmutz dans son adaptation du Traitement de l’auteur anglais Martin Crimp. Écrite dans les années 1990, cette pièce a pour sujets principaux la maltraitance des femmes, l’abus de pouvoir ou encore la manipulation par les mots. D’une manière fluide et cadencée, la mise en scène fait glisser dans des univers contrastés d’une scène à l’autre, maintenant la tension jusqu’au bout.

Après une seule représentation en novembre 2020, et un essai radiophonique sur RadioFr. en octobre 2021, la compagnie Le Magnifique Théâtre présente une pièce coup de poing. Andrew et Jennifer, des producteurs se désignant comme des « facilitateurs », recherchent des récits authentiques à porter à l’écran. Anne répond à l’annonce car elle pense avoir une histoire intéressante à raconter : la sienne. Elle a été séquestrée et bâillonnée pendant plusieurs années par son mari. Dès le début de ses entretiens avec le couple de producteurs, on sent que l’histoire d’Anne ne répond pas en tout point à ce que le box-office attend d’un film à succès. Par conséquent, Andrew et Jennifer décident d’en changer certaines parties en faisant appel à un comédien de renom, qui incarnera le mari d’Anne dans le film, et à un auteur, Clifford, qui y ajoutera des éléments de sa pièce de théâtre. Maltraitée une première fois par son mari, Anne se retrouve donc à nouveau dans une situation de négligence et de manipulation psychologique. Pour ceux qui façonnent son histoire, elle ne représente qu’un outil de création qui donne une direction à leur nouveau film. Après avoir été utilisée et « jetée », elle apparaît à la fin du spectacle de retour chez elle…sous l’emprise de son mari violent.

Le nombre de décors différents est impressionnant : quinze en tout, aussi divers qu’un bureau dans le quartier de Tribeca à New York, un restaurant japonais, un coin de Central Park ou encore une course en taxi. De grands écrans sont disposés sur la scène et sont déplacés entre chaque décor, mais aussi pendant les scènes comme lorsqu’Anne et son mari se retrouvent dans une rame de métro et que les écrans s’écartent et se referment, représentant les portes du véhicule arrêté. Les images projetées sur ces écrans changent d’une scène à l’autre pour créer une nouvelle ambiance à chaque fois. Cinq techniciens s’occupent des déplacements des écrans, des meubles, des accessoires et de caméras qui sont parfois utilisées pour projeter sur les écrans ce qui se passe sur scène. Malgré les nombreux changements, ils se font discrets et précis dans leurs mouvements, facilitant le passage en fluidité d’une scène à l’autre. La musique est très présente, notamment à la fin des scènes : ces transitions douces évoquent les pratiques cinématographiques.

Le public est transporté sans grand effort d’imagination d’un feuilleton mélodramatique à des scènes angoissantes de manipulation ou encore à des moments absurdes et drôles dans un taxi conduit par un aveugle. La mise en scène ingénieuse de Julien Schmutz amène parfois le public à se sentir comme devant un film à suspense. Par exemple, dans les minutes précédant les scènes de violence, les lumières diminuent d’intensité et la musique se fait saisissante et angoissante. Puis, on passe à une scène plus joyeuse comme celle où Anne découvre la nourriture japonaise aux côtés d’Andrew et de Jennifer.

Seul regret du spectacle : l’utilisation des techniciens, sans changement de costume, dans certains rôles, notamment dans celui du public présent, verre de champagne à la main, pour l’avant-première du film basé sur la vie d’Anne. Cela sort le public de l’histoire, car contrairement aux personnages entièrement incarnés et habillés de façon conforme à leur rôle, les techniciens semblent juste être utilisés pour « dépanner ». Fort heureusement, ces moments ne suffisent pas à ôter le plaisir que l’on éprouve à ressentir, au théâtre, la surprenante impression d’être assis dans une salle de cinéma.