Par Antoine Klotz
Une critique sur le spectacle :
Les Univers / Mise en scène par Joël Maillard / Conception et écriture Tiphanie Bovay-Klameth, Joëlle Fontannaz, Nicole Genovese, Joël Maillard, Alexis Rime / Compagnie SNAUT / Tutu Production / L’ Arsenic Lausanne / du 5 au 10 avril 2022 / Plus d’infos.
Et si ? Chaque parcours possède son lot d’incertitudes et de regrets. Et si on pouvait abattre les barrières entre les mondes et les réalités pour en observer toutes les occurrences ? Joël Maillard explore les différents possibles des univers parallèles en faisant voyager les spectateurs de l’un à l’autre dans un spectacle aux longueurs certaines mais aux fulgurances hilarantes.
« D’autres mondes sont possibles », c’est le nom du vinyle que le groupe Les Univers a trouvé un jour aux puces de Rumine après n’avoir pas réussi à assister à une table ronde sur la taxidermie. La table ronde, c’est le format théâtral coup de cœur du groupe Les Univers après être parvenu à assister à une table ronde sur la taxidermie au Palais de Rumine. Tiens donc, les deux idées semblent se faire échos. C’est normal : ce sont deux univers parallèles nés de deux bifurcations possibles à partir du même événement, car c’est bien de multivers dont parle Joël Maillard dans Les Univers, création malheureuse de la période covid qui a enfin l’occasion d’être jouée à l’Arsenic. Il emmène ainsi les spectateurs de l’une à l’autre de ces réalités dans une suite de scènes liées entre elles par des références aux autres univers possibles. L’enjeu de la pièce consiste donc à comprendre comment l’on passe de l’un à l’autre en mobilisant nos connaissances préalables des autres réalités.
Le spectacle s’ouvre sur un groupe de reprises amateur que ne renierait pas une maison de quartier. La musique est gentillette, les imitations de Renaud ou Jane Birkin plus ou moins réussies. L’approximation est voulue et on se revoit aller écouter un groupe d’amis peu talentueux mais que l’on a tout de même envie de soutenir. Malheureusement, lorsqu’on imite bien le médiocre, sur la durée la reproduction et l’originale ont tendance à fusionner en un unique concert, c’est-à-dire, celui d’un groupe de musique amateur peu inspiré. Au bout de la troisième chanson, le temps devient long et les applaudissements polis. Heureusement, on change vite d’univers et on se retrouve spectateurs d’une table ronde dont la performance ne peut être qualifiée que de magistrale. Tous les codes du format ont été intégrés: le jeu est naturel, le propos passionnant. Le public est absorbé par ce que racontent les intervenants, notamment Joël Maillard, phénoménal en médiateur culturel à la timidité enflammée. Cette table ronde est l’occasion de faire le point sur le fonctionnement de la théorie des univers et donc du spectacle. On y évoque de nombreux possibilités, anticipation de ce qui va suivre. On se délecte des liens entre chaque réalité avec une grande satisfaction lorsqu’on arrive à les identifier. Rien n’est laissé au hasard et aucune idée n’est abandonnée. Coup de génie lorsqu’il s’agit de parodier le discours d’adieu d’un gourou de secte en le traitant comme une assemblée de société de campagne du Gros-de-Vaud, la salle est hilare tout du long. Coup d’ennui lorsqu’on pastiche un vaudeville dont le pitch ne laisse présager aucune issue heureuse. Que ce soit intentionnel ne rend malheureusement pas l’ennui plus supportable.
C’est là tout le problème de Les Univers : le spectacle ouvre beaucoup de portes, évoque de nombreuses possibilités et, dans un souci d’exhaustivité, s’acharne à vouloir tout traiter, tout intégrer dans sa narration ce qui inévitablement implique des longueurs. Lorsque le groupe de musique amateur revient à la toute fin, l’envie de les écouter n’est plus présente, surtout lorsqu’on connaît la qualité de la prestation. C’est dommage, car la pièce regorge de pépites: certaines chansons sont très drôles, certains costumes marquent les esprits par leur aspect on ne peut plus kitsch et on est très heureux de retrouver l’éléphant Babar dans une fabuleuse scène de karaoké. Cependant, les spectateurs doivent jouer les orpailleurs et séparer les pépites de quelques morceaux de gravier, ce qui nuit fortement à la valeur de la récolte. Certains univers valent la peine d’être visités et donnent même l’envie d’y retourner, d’autres méritent simplement de rester sur la liste des voyages que l’on ne fera jamais.