Par Brian Aubert
Une critique sur le spectacle :
Farm Fatale / conception et mise en scène de Philippe Quesne / Théâtre de Vidy / du 30 mars au 3 avril 2022 / Plus d’infos.
Farm Fatale, créée au Kammerspiele de Munich en 2019, dans une mise en scène et scénographie de Philippe Quesne, est une pièce née d’une écriture collaborative lors des répétitions, caractéristique propre au collectif Vivarium Studio.
Dans un décor aseptisé, au sol et fond blanc, avec quelques bottes de paille çà et là, se trouvent quatre épouvantails, rejoints ensuite par un cinquième. Une opportunité rare de voir sur scène des épouvantails se mouvoir et parler. La dernière fois qu’une telle occurrence s’est produite devait être dans Le magicien d’Oz, quoique sur grand écran, et dans un décor somptueusement coloré, fantastique et enfantin. Les épouvantails de Farm Fatale, eux, sont magnifiquement habillés et habités par Sebastien Jacobs, Léo Gobin, Michèle Gurtner, Nuno Lucas et Gaëtan Vourc’h, et manifestent dans leur performance un côté enfantin et joueur dans un monde qui les a laissés pour mort. En effet, leur Cité d’Émeraude d’autrefois est devenue stérile. Iels n’ont plus de métier car les oiseaux, tout comme les humains, sont des espèces en voie d’extinction. Leur seul espoir de vie prend la forme d’une émission radiophonique où iels interviewent des insectes et discutent – avec leur voix techniquement modifiées – de sujets pressants, comme la discrimination de carottes génétiquement modifiées. Comme toute émission de radio, elle comporte également de la musique. Et ces épouvantails, intellectuels, activistes écologiques, humoristes amateurs, et musiciens, jouent en direct. Leurs auditeurs et spectateurs ont par exemple eu droit à une cover de Stand by Me de Ben E. King.
Mais de quoi Farm Fatale parle-t-il donc ? En anglais, allemand, suisse allemand et français, on réussit à faire rire les spectateurs à plusieurs reprises grâce à ces épouvantails errants qui n’hésitent pas à faire allusion, de manière décalée, aux conséquences de la crise climatique. Extinction d’espèces animales, agriculture et élevage intensifs, pollution atmosphérique… sont tant de thématiques, certes abordées tout au long de la pièce, mais de manière timide. La catastrophe imminente de la fin du monde flotte au-dessus de nos têtes, mais ce futur imaginé par le concepteur de la Cité des Épouvantails, Philippe Quesne, ne parvient pas à nous toucher de plein fouet. Peut-être est-ce dû, dans un premier temps, à la naïveté des épouvantails qui pensent que la musique peut changer le monde, mais aussi, dans un deuxième temps, au type d’humour qui les accompagne. Celui-ci passe surtout par des jeux de mots et du comique de situation : une épouvantail demande par exemple à une abeille si elle est « bee-sexual »…
L’approche employée dans Farm Fatale pour aborder une thématique maintes fois traitée au théâtre est certes nouvelle. Toutefois, on regrette que certains mécanismes du spectacle nous empêchent de pouvoir nous identifier pleinement aux personnages et à leur cause qui est similaire à la nôtre, certainement à cause de l’ancrage spatio-temporel flou et d’une fin mystérieuse à l’atmosphère déconcertante. Finalement, on a plus l’impression d’être confrontés à une sorte d’épisode post-apocalyptique des Télétubbies plutôt qu’à une réflexion cohérente et aboutie sur l’état de notre planète et de notre société.