Dans la niaiserie des champs désolés

Par Antoine Klotz

Une critique sur le spectacle :

Farm Fatale / conception et mise en scène de Philippe Quesne / Théâtre de Vidy / du 30 mars au 3 avril 2022 / Plus d’infos.

© Martin Argyroglo

A quoi servent les épouvantails lorsque les oiseaux ont fini de chanter ? L’artiste plasticien Philippe Quesne se pose la question en mettant en scène des épouvantails déchirés par l’ennui et la solitude et, surtout, en quête de but. Une pièce musicale, légère et nihiliste sur le militantisme écologique occidental qui touche et agace par sa naïveté.

Le temps paraît bien long lorsqu’on n’a rien à faire. On trouve le moyen de s’occuper avec ce qui nous entoure, avec ce qu’il reste. En tout cas, c’est ce que font les épouvantails de Farm Fatale dans la pièce de Philippe Quesne. Une fois que les oiseaux ont disparu, ils se retrouvent dépossédés de leur occupation première : les effrayer. Alors, ils montent une radio libre sur laquelle ils diffusent des chants d’oiseaux et jouent de la musique, vestiges d’un monde passé et probablement détruit. Car c’est bien dans un monde post-apocalyptique que les spectateurs sont emmenés. Quel autre type d’univers pourrait bien être associé à l’absence d’oiseaux ?
 
Lorsque Pécuchet, un épouvantail militant, arrive dans les studios de la radio libre, on se rend compte de la vanité du combat écologique qui a été mené ces dernières années. La Terre a été dévastée malgré les beaux slogans dignes des marches pour le climat qui apparaissent sur les pancartes. « There is no planet B » a l’air tellement plus ridicule lorsque c’est un épouvantail niais qui l’arbore. Chaque épouvantail raconte la disparition de ses maîtres, souvent des fermiers écrasés par des forces extérieures, comme ces apiculteurs, incapables de produire du miel bio à cause des industries du tabac autour d’eux. Alors eux-mêmes les rejoignent en produisant des cigares. Tout a été vain malgré les efforts acharnés. Pourtant le désespoir ne fait pas partie du registre du spectacle, mais bien plus la naïveté de ceux qui se voilent la face. Tout n’a pas l’air complètement perdu pour ces survivants, bercés d’illusions qu’ils sont face à l’état du monde.                
On retrouve chez ces épouvantails une certaine fascination pour le vivant – dont ils ne font pas partie – dans un dernier espoir de revenir à une existence utile. Une des dernières reines abeilles d’Europe, Margrit, est interviewée en tant que témoin du monde passé mais incapable de repeupler le monde à venir. Les épouvantails lancent leur propre projet de repopulation mais il tient plus du rituel shamanique que du dernier espoir crédible du monde vivant. Les épouvantails amassent des œufs qu’ils entassent, protègent, vénèrent aveuglément dans une reproduction irraisonnée du passé. La civilisation a disparu alors on revient aux archaïsmes proches des religions tribales. On assiste ainsi à la naissance d’un culte du vivant où le messie rédempteur ferait son apparition sous la forme d’un poulet.


Malgré le sujet, on rit de bon cœur avec ces épouvantails, de leur naïveté, de leurs espoirs vains. On rit peut-être pour ne pas pleurer mais après tout, c’est bien tout ce qu’il nous reste, ça et la musique. A plusieurs reprises, les épouvantails interprètent des standards de la musique pacifiste, notamment Let it be des Beatles comiquement placée lors de l’interview de l’abeille. La fin est en demi-teinte : peu claire dans ses intentions et dans son discours, elle donne une impression de mollesse par rapport à la gravité de la situation. Cela fait des années que les artistes musicaux lancent des actions caritatives pour la planète, mais on ne peut pas dire que leur efficacité soit flagrante. Alors lorsqu’on nous dit qu’un rap peut mettre fin aux dernières atrocités de l’être humain, on lève les yeux au ciel : si seulement c’était aussi simple…