La Belle et la Bête version Génération Z

Par Brian Aubert

Une critique sur le texte de la pièce :
La Belle et la Bête / De Ludovic Chazaud

Ludovic Chazaud, metteur en scène, comédien et directeur artistique de la Cie Jeanne Föhn, s’empare du conte classique de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont datant de la fin du XVIIIe siècle. C’est durant le premier confinement, au printemps 2020, qu’il réécrit La Belle et la Bête pour la scène, pièce qui verra le jour sur les planches en automne 2023 à l’Usine à Gaz, la Grange et la Comédie, puis qui partira en tournée. 

« J’avais envie d’écrire une pièce pour les enfants. De trouver aussi comment on raconte une histoire qui a déjà été écrite », annonce Ludovic Chazaud.Dès la première scène, à travers un moniteur TV vintage, apparaît le personnage de Bella, âgée. Sa petite-fille, en voix off, lui demande : « Tu te souviens de ton premier baiser ? » C’est en flash-backs qu’est racontée l’histoire de Bella (Isabella), de son premier à son dernier baiser, de sa vie de jeune fille en Italie jusqu’à la rencontre avec la Bête et les conséquences sur son destin. Un dispositif narratif et dramaturgique complexe, mais très lisible, est mis en place pour présenter cette histoire qui se déroule sur plusieurs années. Conformément à la tradition orale du conte, une grande partie de l’intrigue avance grâce à la parole partagée entre tous les comédiens sur scène, incarnant d’emblée le rôle de narrateurs : « Nous allons essayer de repasser la vie de Bella devant vous ». Cette voix over complète également les ellipses laissées par les dialogues entre le père, Bella, et ses deux sœurs, Magdalena et Nina. Ces ellipses marquent la transition d’une scène à l’autre, mais le rythme reste soutenu car chaque scène nous plonge souvent dans une action en cours. Le dispositif est également complété par la lecture d’extraits du journal intime de Bella.

« La fiction doit avoir un pied dans la vie et la vie un pied dans la fiction », déclare le metteur en scène. Le texte se construit sur deux temporalités : le présent de la narration et celui de l’échange entre Bella âgée et sa petite fille, mélangé au passé (la vie de Bella jeune). D’un côté, ces superpositions temporelles donnent à la pièce un aspect documentaire, avec le moniteur TV. D’un autre côté, elles la dotent d’une dimension fictive, voir onirique, à travers la présence d’un personnage fantastique (la Bête) et du dédoublement du personnage de Bella (âgée sur l’écran et jeune sur scène). La plus grande partie de l’action, sous forme de dialogues entre les personnages, mobilise beaucoup d’émotions, avec de longs passages sur la captivité de Bella chez la Bête. Sans chants, ni objets animés, cette version est très éloignée du conte fantasmagorique ré-imaginé par Walt Disney en 1991 : c’est une histoire un peu tragique sur l’amour et la vie.

Une touche d’humour, parfois à travers un langage familier, assaisonne tout le texte, évoquant de ce point de vue Cendrillon revisité par Joël Pommerat. Cependant, le texte invite à une lecture plus sombre : « Les hommes ont trop besoin de dominer ! » s’exclame la Bête en racontant la manière exécrable dont il a été traité dans sa jeunesse. Il parle de l’Homme en général, mais aussi des hommes. Ludovic Chazaud met au cœur de l’intrigue la relation nocive qu’entretient Bella avec son amoureux, Antonio. Ce dernier est présenté comme un bon à rien, profiteur, manipulateur, adoptant des caractéristiques que l’on rapporterait aujourd’hui à la masculinité toxique. A l’inverse, Bella trouve du réconfort chez la Bête et des liens affectueux se tissent entre eux. Mais à son retour dans sa famille, elle se plie de nouveau aux désirs d’Antonio et finit par se marier avec lui. Ce n’est pas le happy end attendu d’un conte pour enfants. Ludovic Chazaud rapproche le conte du réel, ce qu’il qualifie de « fantasmagorie réaliste ». Il espère que cela fera réagir le public, que cela provoquera les conversations. « Le rêve absolu serait que ce soit un spectacle où il y ait plusieurs générations qui viennent. Cela me plairait beaucoup que ce soient des jeunes adolescents qui viennent avec leur grands-parents pour qu’après des questions soient posées. » Comment était perçu le premier baiser par les baby-boomers, par comparaison avec la génération Z ? A-t-on la même vision de ce qu’est l’amour ? Qu’en était-il avant et maintenant de la condition de la femme, et du schéma patriarcal ? « Il y a tellement de siècles où la masculinité a fait du mal aux histoires » nous dit Ludovic Chazaud. Sa réécriture théâtrale lui permet d’explorer cette problématique et de demander, aux petits et grands, quel est le meilleur usage à faire des contes : à ne pas toucher ? ou, justement, à réécrire en les transposant ?