Entretien avec Ludovic Chazaud

Par Brian Aubert

Un entretien réalisé le 3 décembre à Genève autour de la pièce La Belle et la Bête / De Ludovic Chazaud

Brian Aubert : Pourriez-vous parler de la genèse de la pièce ?  

Ludovic Chazaud : C’est une histoire qui a toujours rodé dans ma famille. C’était un conte qui fascinait ma petite sœur et qui avait beaucoup marqué ma fille. Elle y revenait souvent. Je me demandais donc ce qui marchait si bien dans ce conte. Il y a plein de problèmes, des choses de l’ordre du disfonctionnement relationnel, et que cela m’intriguait de découvrir pourquoi cela plaisait. Dans l’histoire, il y a quelque chose qui m’intriguait dans le fait que cette femme se met à la disposition, au service de la personne qui l’emprisonne. Pourquoi essaie-t-elle tout à coup de lui plaire ? Pourquoi ensuite arrive-t-elle à lui trouver du charme, à être tendre avec lui ?

À cette époque, je lisais beaucoup de textes sur la sociologie de l’amour et des pensées féministes, qui me remettaient en question quant à mon rapport aux femmes, en tant qu’homme hétérosexuel dans la société, la manière dont je me comportais face aux femmes qui m’entouraient et quels avaient été les schémas que les hommes autour de moi avaient adopté.

Ma petite sœur pouvait regardait en boucle le film de Disney et c’était un drame quand la Bête se transformait en prince. Ils ont tellement bien travaillé le dessin de la Bête que, quand il devient un prince, c’est assez horrible de le voir. Plus tard, elle s’est retrouvée dans un schéma de vouloir devenir une infirmière pour les hommes qu’elle fréquente et pour tout le monde. Elle travaille aujourd’hui dans le soin.

La grande question pour moi était : Est-ce qu’on n’impose pas cela et comment l’impose-t-on aux femmes ? […] Comment est-ce qu’on peut remettre en question ces schémas qui nous ont été inculqués ? J’ai interviewé beaucoup de femmes dans mon entourage qui m’ont parlé de leurs histoires d’amour pour voir comment il c’était construit avant : le premier baiser, le premier amour, etc. […] J’avais envie d’écrire un texte pour les enfants. De trouver aussi comment on raconte une histoire qui a déjà été écrite. Les contes qui rodent autour de nous depuis des générations ne sont pas rebattus, c’est dommage, il y a eu une période où on a beaucoup remanié les contes sur les plateaux de théâtre. Mais comment fais-t-on ? Qu’est-ce qu’on fait des mythes ? Faut-il complètement les réécrire ? Oublier qu’ils ont été écrits comme ça ? Je crois qu’on ne peut pas s’en débarrasser, il faut essayer de les regarder différemment, faire qu’avec ce nouveau regard on les questionne.

B.A. : Y avait-il donc une urgence dans l’écriture ?

L.C. : Je l’ai écrite pendant le premier confinement. Et maintenant elle va être jouée dans deux ans. Donc il y a une urgence relative. Mais il y avait cette idée à cette époque-là qui me mettait le feu […] Quelles histoires je pourrais proposer, à mon fils et ma fille, en tant que créateur d’histoires. Pour leur dire que tout va bien se passer, sans être moins réaliste, mais en proposant un regard plus lucide sur la société […] Il y a tellement de siècles où la masculinité a fait du mal aux histoires, où on a fait de la publicité pour une masculinité forte. Il y a une urgence calme peut-être, cela doit changer, mais cela s’est passé sur tellement de temps qu’on peut prendre le temps d’en parler et de rebattre justement les cartes. Il ne faut pas que cela s’essouffle, il faut que cela provoque un nouveau jeu qui dur, et c’est en proposant un nouveau regard sur les histoires aux nouvelles générations que cela peut avancer.

B.A. : Pourriez-vous expliquer pourquoi, il est important pour vous, que la fiction et la réalité soient liées dans votre pièce ?

L.C. : Cela doit communiquer […] La fiction est mise en écho avec le documentaire, donc la vision de la grand-mère, ce qu’elle raconte, elle, de sa vie, qui est la réalité : comment elle a vécu l’histoire avec cet homme et la Bête, et comment elle raconte son passé. Il faut le mettre en parallèle avec nous, voir comment on peut l’interpréter. Mais on a les clés des contes mythiques, des fables, pour le faire. Comme par exemple, quand nos grands-parents racontent leur histoire de vie, ils la racontent avec des trous, parce qu’il y a des choses dont ils ne se souviennent plus, ou qu’ils ne veulent pas dire. C’est à nous de les compléter, soit avec des images qu’on a, ou avec des choses qu’on pense savoir. Les enfants complètent avec ce qu’ils ont appris dans les contes. On mêle la réalité à notre fiction, comme un conte.