Par Joanna Pötz
Une critique du spectacle :
Rome-Nanterre / d’après Valérie Mréjen / mise en scène Gian Manuel Rau / Théâtre de Vidy à Lausanne /du 3 au 20 décembre 2013
Créé au Théâtre de Vidy à la suite d’un projet pour le festival d’Avignon, Rome-Nanterre, spectacle joué par Dominique Reymond, propose une lecture belle et complexe de l’œuvre de Valérie Mréjen. La mise en scène de Gian Manuel Rau, qui joue avec sons et espace, reste entièrement au service de la parole et du texte.
Sur la scène semi-obscure, entourée de part et d’autre de spectateurs, des pans de murs troués de fenêtres, une chaise, une plante, une table de cuisine, un carton de costumes – et cette femme, tantôt visible par les spectateurs de gauche, tantôt par ceux de droite, tantôt par les deux parties; cette femme qui bouge un peu et qui parle beaucoup. En alternance avec sa voix, d’autres sons, d’autres voix désincarnées, sorties de micros placés aux bords de la salle, se mêlent et enveloppent le plateau et les spectateurs pour créer une ambiance déroutante, que viennent renforcer un éclairage variable et des textes projetés contre les murs.
La pièce propose les portraits successifs de sept femmes, une pour chaque jour de la semaine. Elles sont toutes incarnées par une même personne, l’actrice Dominique Reymond, qui sur scène change d’habits, de cheveux, bref, de personne. De l’adolescente à la femme âgée en passant par la quadragénaire, elles (ou elle, on en vient un peu à hésiter) nous racontent leur quotidien, leur enfance, leur pensées dépressives ou joyeuses; elles nous parlent du « grand-père qui disait … », de la tenancière de leur café préféré, de leurs projets futurs… Mais finalement, dans un présent ou un passé intemporel – « un présent de possibilité » comme l’appelle le metteur en scène –, seule la parole même, seul le ton nostalgique de la voix, importent.
Dans ces voix et ce texte (attention à ne pas s’en laisser distraire, au risque d’être perdu !), le spectateur reconnaît l’œuvre de Valérie Mréjen, en particulier des extraits ou des allusions à son roman Forêt noire. Une écrivaine en robe rose, en réponse à des questions, parle ainsi de « cerise sur le gâteau » et de « forêts sombres… comme l’ébène ». Gian Manuel Rau avait déjà une expérience de la mise en scène de romans (dont ceux de Gerhard Meier, Anne-Sylvie Sprenger, Fernando Pessoa) lorsqu’il a rejoint Dominique Reymond pour Trois Quartiers présenté à Avignon, puis pour Rome-Nanterre. Dans ces deux spectacles, dont le second prolonge le premier, Rau et Reymond reprennent les textes de Mréjen en les découpant, les réagençant ou les complétant. Le spectacle retient ainsi la capacité de la parole, plus que celle du geste, à faire émerger des portraits « qui deviennent vivants pour seulement quelques instants ».
Plus qu’une véritable action théâtrale donc, on retiendra de cette pièce une belle énonciation des textes de Mréjen, patiemment retravaillés. La pièce est à voir au Théâtre de Vidy jusqu’au 20 décembre.