Se souvenir de notre mort

Par Roxane Cherubini

Une critique du spectacle :
Nous souviendrons nous / de Cédric Leproust / Compagnie Tétanotwist / Théâtre de l’Arsenic à Lausanne / du 10 au 15 décembre 2013

© Nicolas Di Méo

Avec Nous souviendrons nous, de et par Cédric Leproust, la compagnie Tétanotwist nous invite à nous réconcilier avec notre condition de mortels et à vivre avec le souvenir des défunts qui sommeillent en nous. C’est à l’Arsenic, du 10 au 15 décembre, que cette création innovante risque de vous surprendre.

Baigné dans le noir, le plateau est éclairé soudainement par une lumière vive. Un corps nu couvert d’argile, qui a tous les aspects d’un cadavre, se tient debout devant le public. L’effet visuel est percutant. Les yeux exorbités, la bouche entrouverte, le comédien évoque le destin de tout un chacun ; notre corps est voué à disparaître. Mais avant, il doit pourrir. La fragilité de l’homme et son inéluctable fin sont ici représentées. Une autre scène de cette pièce polymorphe : des projecteurs jaunes, aveuglants, situés au-dessus et au-devant du comédien. Ils dessinent sa silhouette, telle une ombre. Le reste du décor est immergé dans le noir. Seules quelques paroles se font entendre sur un ton rauque. Elles mêlent les pronoms « je », « il » et « on », visant par là à semer le trouble chez le spectateur ; à l’enseigne lumineuse « Qui suis-je ? », suspendue au plafond, répond l’incertain « Qui nous parle ? ». Cette confusion sert à établir une relation entre le soi vivant, le soi mort et nos proches disparus.

Cédric Leproust souhaite confronter le public à cette étape naturelle de la vie, trop souvent crainte et tue aujourd’hui. Pour jouir de l’existence, la mort doit lui être intrinsèquement rattachée. Afin d’amener l’assistance à ne plus la fuir, il intègre le silence et l’obscurité à son jeu. Le vide plonge l’audience dans un univers mystérieusement calme que l’Au-delà inspire. Mais surtout, il lui donne le temps d’y penser. Le metteur en scène concrétise sa démarche en favorisant la participation du spectateur dans la pièce. Celui-ci doit percevoir intimement la mort. La compagnie Tétanotwist recourt alors à un dispositif théâtral particulier, fait d’images abstraites et de fragments textuels, dans le but de provoquer l’imagination du public. Le spectacle ne se déroule pas comme à l’accoutumée ; il débute dans le foyer de l’Arsenic. Le comédien propose au public qui l’entoure d’écrire sur son torse un souvenir lié à une personne décédée. Il emmène ensuite l’assistance jusqu’à la salle. Il se veut alors le vecteur entre le public vivant et le monde des morts, favorisant ainsi l’investissement psychique de chaque spectateur.

Si la tristesse ou la compassion sont absentes dans Nous souviendrons nous, l’amusement, lui, est bien présent. Lorsqu’un chien de taille humaine toque à la porte de la salle à la fin de la pièce et vient se placer, tout naturellement, au côté du comédien, il suscite le rire. Cette touche humoristique est en légère contradiction avec le propos de Cédric Leproust. En effet, si ce dernier aborde frontalement la mort, pourquoi introduire un divertissement chargé de l’éloigner ? Mais ce paradoxe n’ôte rien à la valeur de cette pièce, qui explore de nouvelles formes théâtrales pour avoir un réel impact sur le public. De plus, il ne fait que renforcer l’idée qu’en ayant conscience de la mort, l’homme profite davantage de la vie. Après cette première création, on ne peut qu’encourager la compagnie Tétanotwist à rester sur sa lancée.

 

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