Par Ivan Garcia
Summer Break / D’après Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare / Mise en scène de Natacha Koutchoumov / Théâtre les Halles / du 3 au 7 avril 2019 / Plus d’infos
Noire et angoissante, cette transposition du Songe d’une nuit d’été met en scène quatre comédiens qui, lors d’une audition, interprètent la fameuse scène de la nuit dans la forêt. De la féérie du songe au cauchemar horrifique, il n’y a qu’un pas… Et c’est celui qu’a décidé de faire Natacha Koutchoumov. Âmes sensibles, faites attention!
Faire du texte onirique de Shakespeare une tragédie aux airs de film d’horreur, il fallait oser ! Mais, après tout, pourquoi pas ? Avec Summer Break, le public assiste à une audition théâtrale. Sur scène, quatre comédiens postulent pour obtenir un rôle dans une mise en scène du Songe d’une nuit d’été. Plus la tension se fait sentir et plus les liens deviennent intenses ; retenus au casting, les duos formés révèlent déjà la configuration du film d’horreur qui va se jouer. D’un côté, les comédiens qui incarneront Héléna et Démétrius : ce dernier, plus petit que sa partenaire, semble complexé par sa taille ce qui le rend risible, même lorsqu’il tente d’inspirer peur et terreur. A l’inverse, Héléna inspire la crainte – très aisément – par sa gestuelle et son regard vide. Son obsession pour Démétrius qui, dans le texte original, rend la protagoniste charmante, est ici transformée en une pathologie digne d’un thriller. De l’autre côté, l’interprète de Lysandre, avec ses airs de Matt Damon, a tout pour plaire. Et cela se déroule comme prévu : la petite comédienne incarnant Hermia tombe, rapidement, sous son charme et ils s’amusent à répéter, devant ce diable de jury exigeant, la scène du baiser. Mais leur passion va devenir destructrice… A la fin de ladite scène, un grand rideau en cellophane opaque – semblable à ceux qu’utilise Roméo Castellucci – vient séparer la comédienne du reste du plateau, abaissant le rideau sur le songe, qui devient cauchemar.
Face à ce quatuor, il y a, du côté du public, un jury invisible à nos yeux. Il s’exprime, notamment, par le biais de la musique, qui met les artistes à rude épreuve. En changeant peu à peu de style, elle contribue à rendre l’atmosphère pesante et stressante ; on passe d’une musique électronique grinçante à des notes de métallophone – rappelant une boîte à musique – qui envahit l’esprit et, encore plus, l’espace.
Sur le plateau sont suspendus trois grands écrans en plastique ; l’un à l’avant-scène, les deux autres au fond, à cour et à jardin. Quelques rangées de chaises orange sont dispersées sur scène. Cela rend visible le dispositif de la pièce, la mise en abîme au sein de laquelle des comédiens jouent une pièce de Shakespeare. Mais l’utilisation de ces écrans en plastique derrière lesquels se placent souvent les comédiens, nous donne aussi la sensation que ces derniers sont flous, voire fantomatiques et réduit notre champ de vision, ce qui relève d’une esthétique de films d’horreur comme celle du Blairwitch Project ou de L’Exorciste. Mais c’est aussi la manière dont l’intrigue de la pièce de Shakespeare est réinterprétée qui fait de la comédie un film d’horreur de série B.
Rappelons-le, dans le texte d’origine, Hermia s’endort, en compagnie de Lysandre, dans la forêt ; c’est ce moment précis que la metteure en scène choisit pour faire basculer le registre de la pièce. Le songe d’Hermia est transformé en un terrible cauchemar ; le plateau devient obscur, Hermia délire et, mystérieusement, des personnages apparaissent et disparaissent, entre deux flashs de lumière, derrière les écrans. Parmi ceux-ci, un homme, avec une tête d’âne, référence au personnage de Bottom, qui se livre à quelques galipettes en compagnie d’Héléna et d’autres personnages. On pense au film Boogeyman, dans lequel la créature maléfique possède la propriété d’apparaître et de disparaître à tout instant. A d’autres moments, la mise en scène devient gore et montre du sang et des blessures ; Démétrius et Lysandre se mutilent afin de prouver leur amour à Hermia, et Héléna finira par s’arracher les cheveux. La violence physique s’exerce aussi envers autrui : Démétrius – dans le rêve – gifle Hermia par deux fois et celle-ci finit par saigner. A noter que, la plupart du temps, la souffrance scénique est montrée par des pantomimes muettes, à la manière des films de possession démoniaque ou du Sleepy Hollow de Tim Burton. En combinant écrans, pantomimes et apparitions spectrales, le spectateur se trouve face à des visions éphémères qui lui inspirent de la crainte et de la peur.
Summer Break intimide son public. L’esthétique déployée par Natacha Koutchoumov le place face à un étrange dilemme, entre l’adhésion et la répulsion ; c’est ce qui fait le charme du spectacle : faire de cette fable bien connue et de l’univers léger de Shakespeare un cauchemar angoissant suscite, à la manière de la tragédie aristotélicienne, à la fois crainte et pitié.