La Collection

la collection couverture

La Collection

Conception et mise en scène par le collectif BPM / Usine à Gaz (Nyon) / Du 20 au 21 mars 2025 / Critique par Hadrien Halter .


21 mars 2025

Des clichés poussiéreux

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© Anouk Schneider

La Collection est une série de spectacles créée par le Collectif BPM (Catherine Büchi, Léa Pohlhammer et Pierre Misfud), depuis douze ans maintenant. Se présentant comme une succession de sketchs, chaque spectacle tourne autour d’un ou plusieurs objets particuliers et désuets : ici, le diaporama et le roman-photo. Principe simple, pour un humour potache, dans un scénario au sein duquel se mêlent progressivement des intrigues familiales de plus en plus compliquées. Le spectacle brasse les idées reçues et aborde notamment des sujets comme les transitions de genre avec une trivialité et une légèreté dignes des plus mauvais feuilletons.

L’idée semblait bonne : trois ami.e.s se retrouvent lors d’une soirée arrosée pour se présenter une série de diapositives venues du passé plus ou moins lointain de chacun.e. Mais rapidement, un mystère apparaît : pourquoi les vies des trois ami.e.s semblent-elles bien plus liées qu’iels ne semblent le savoir ? Le monde va s’écrouler sous leurs pieds.
Il est difficile de se trouver dans une salle de spectacle à être, semble-t-il, le seul à ne pas rire. Faut-il simplement prendre acte du fait qu’on n’est pas le bon destinataire ? Cela amène tout de même à réfléchir. L’idée de départ du spectacle était intéressante : mettre en scène plusieurs spectacles autour d’objets obsolètes, comme une cassette audio ou une télévision à tube cathodique. Ce vendredi, le public de l’Usine à Gaz a assisté à l’épisode portant sur le projecteur à diaporama et le roman-photo, mélangeant une parodie des interminables séances de projections de diapos, accompagnées de récits de souvenirs de vacances, à un pastiche des romans-photos des magazines vite faits et vite lus.
Le principe repose sur une série de sketchs. Les trois ami.e.s observent, ébahis, un défilé de photos identiques : c’est la Bretagne, ou bien ce sont les Bahamas, ou bien c’est l’Australie. La salle rit, l’enchaînement de plaisanteries, bien que loin d’être révolutionnaire, fonctionne : le but est d’amuser, et le public apprécie. Malgré quelques réussites et quelques fulgurances dans les dialogues, les plaisanteries ne font pourtant souvent qu’à moitié mouche, soit qu’elles manquent de tension, soit qu’elles soient trop appuyées ou convenues. Une caractéristique frappe malgré tout dans le jeu des comédien.ne.s : leur complicité. Il est évident qu’iels s’amusent sur scène ; en témoigne, à propos d’une réplique sans doute imprévue, une crise de fou rire difficilement contrôlée.
La mise en scène se pique tout de même de quelques audaces en brisant régulièrement le quatrième mur pour souligner d’autant plus l’absurdité des relations entre les personnages. Elle reprend les codes du roman-photo, à coup de projections de « Tiens, tiens, tiens… » ou de « Comme c’est bizarre… » durant lesquelles on entend une musique inquiétante, tandis que les comédien.ne.s se retournent vers le public, dans une sorte d’arrêt sur image, avec des mines exagérément absorbées dans leurs réflexions.

L’histoire de surface révèle cependant vite une intrigue sous-jacente, un scénario alambiqué, à base d’histoires de trafic de drogues, de « coucheries », d’adoption et de triplés cachés. Tout se mélange dans un imbroglio aussi compliqué en apparence que simple une fois qu’il est explicité. Nos trois personnages principaux sont aussi enthousiastes que discoureurs et aussi aveugles à la réalité que désespérément incapables d’un raisonnement correct. Rien de très innovant, mais rien de très mauvais. Si le pastiche du roman-photo est explicite, on peut aussi y voir une reprise des codes et des clichés des scénarios un peu ridicules de télénovelas dramatiques.
Reste la question centrale, le problème principal de cette soirée de révélations, et selon moi de ce spectacle. Pour amener la scène de reconnaissance générale, il est révélé qu’une certaine Nancy, mère d’un des personnages, était en fait un homme, Daniel (l’image projetée est celle du chanteur Daniel Balavoine), un agent de la DGSE française qui a subi une « opération de changement de sexe » afin de se cacher en Suisse d’un réseau de narco-trafiquants équatorien. Est-il encore possible, en 2025, de parler avec autant de légèreté d’un sujet comme les opérations de changement de genre comme d’une excentricité qui prête au rire et qui relève d’un mauvais cliché de telenovela ? Il semble évident que les comédien.ne.s ne pensaient pas à mal lors de l’élaboration de leur spectacle : l’idée était de reprendre les codes du genre du roman-photo, afin de lui rendre un hommage tendre et néanmoins de s’en amuser, à la manière d’un OSS 117 au cinéma. Malgré tout, ici, le traitement de cette thématique dépasse la maladresse et en devient insultant. La transition chirurgicale du de Nancy/Daniel n’est jamais évoquée sous un autre angle que celui de la nécessité de se cacher du crime organisé. Aucune autre raison ne semble envisageable pour justifier une volonté de transitionner. Pire, lorsque le fils imite Nancy/Daniel sur son lit de mort, et lui confie qu’en réalité elle n’est pas sa mère, mais son père, il lui donne une voix grave et masculine : pourquoi utiliser ces clichés surannés qui étaient déjà vieillots et critiqués il y a vingt ans, trente ans, quarante ans ? Si le projet était de faire une parodie des situations alambiquées des romans-photos, n’aurait-il pas été possible de laisser de côté ces ressorts fatigués et pleins de mauvais esprit ? Ou alors, n’aurait-il pas été possible de remettre au goût du jour un cliché de ce type en faisant par exemple de Nancy une femme transgenre parfaitement épanouie, profitant de sa situation dangereuse avec ces narco-trafiquants pour s’offrir la transition qu’elle voulait tant, tous frais payés par l’état ? L’idée ne serait pas la meilleure, mais offrirait au moins un regard nouveau sur ce genre d’idées. Au lieu de cela, les comédien.ne.s en jouent en appuyant sur la confusion homme/femme par des jeux de mots et des grimaces, comme si le seul fait d’avoir effectué une transition de genre devait porter à rire. Un spectacle, en somme, que je ne garderai pas dans ma propre « collection ».

21 mars 2025


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